Alien 5 Eternity (premier épisode)


ETERNITY (Alien 5) : Premier épisode.

Premier épisode

 

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« Il nous faudra, sans cesse, penser l’impensable, imaginer l’inimaginable, pour espérer un jour dépasser les limites de l’impossible… ».

Lady Ripley…

ETERNITY

Chapitre 1

En l'an 2680 de l'ère chrétienne, et plus précisément en l'an 457 de l'ère citoyenne, les dernières grandes religions encore représentées à travers le système solaire par quelques minorités pacifistes, achevaient de disparaitre, diluées, dans le flot des métissages culturels et des découvertes scientifiques qui submergeaient les sociétés. La Science finissait d’absorber Dieu pour devenir l’unique objet de foi des humains. Une croyance comme une autre, en définitive...!

Il manquait toutefois au gouvernement de cette époque, un messie, un prophète, un guide… et pourquoi pas une femme, pour incarner cette nouvelle religion. Une femme assez forte et téméraire, assez belle et adulée, assez digne et respectée et surtout assez ambitieuse pour devenir une idole incontournable que personne ne pourrait ignorer, une divinité capable de rendre à l'humanité ce qui lui manquait le plus... la foi et le courage !

Cette rareté…! Le gouvernement mondial venait de la trouver en la personne d’Ellen Ripley, Lieutenant de son état, considérée disparue depuis plus d'un demi millénaire et finalement ressuscitée. Comble de l'ironie, cette femme était une créature mutante, un clone créé par le pire des ennemis... les militaires.

L'origine mi-humaine, mi-extraterrestre de cette femme, ses miraculeuses caractéristiques physiologiques et biologiques, ses exploits légendaires, son sacrifice, sa résurrection, sa majesté naturelle et sa grâce sauvage... tout cela faisait d’elle une très convaincante sainte moderne. Personne, à part, peut-être, la plus concernée, ne pouvait imaginer à quel point elle allait devenir bien plus que cela.

Une poignée de dirigeants du Gouvernement Civil de l’Union Intercontinentale se préparait à intercepter la toute nouvelle Ellen Ripley. Ils attendaient de reprendre contact avec Call, cette auton si naïve et si généreusement dévouée à la cause des civils, et ils comptaient sur cette dernière pour leur ramener la Mutante saine et sauve.

Ellen Ripley, encore bouleversée par ce qu'elle venait de vivre, se sentait comme une étrangère dans un monde inconnu. Le peu d'espoir qui brûlait en son for intérieur ne pouvait calmer la terrible angoisse qui l'envahissait à cet instant. Elle qui espérait tant retrouver sa liberté savait qu'elle fonçait tout droit vers le pire des pièges. Elle pressentait néanmoins une possible renaissance au sein de cette société, au coeur même de ce piège qu'on lui tendait. Un étrange sentiment de puissance montait en elle par vagues régulières et une terrifiante idée lui traversait l'esprit. C'était comme une projection. Comme une prémonition qu'elle tentait vainement de refouler en se remémorant son lointain passé.

Voilà plus de cinq siècles qu’elle avait quitté la Terre. Les anciennes grandes métropoles comme New-York, Londres, Rio, Mexico, Pékin, Tokyo, Paris, Moscou, Le Caire, Sidney et tant d’autres, avaient toutes entièrement disparues de la surface du globe. D’immenses mégapoles verticales les avaient remplacées qui se dressaient aussi hautes que des montagnes au milieu de nulle part, séparées entre elles par des milliers de kilomètres de forêts bien ordonnées, de plaines cultivées et d’océans foisonnants.

Ces gigantesques cités étaient nées il y a bien longtemps, lors d’un implacable projet social élaboré par de grands consortiums immobiliers liés aux éco-gouvernements. Une folie qui avait transformé la planète en un immense champ de bataille expérimental.

La guerre était venue là, comme une ironique intention du destin, au "hasard" du calendrier des tensions civiles, énergiquement et tragiquement aidée en cela par une multitude de conflits larvés, ethniques ou religieux, de guerres urbaines, de luttes de classes fratricides qui finirent de détruire le monde rural et entamèrent une grande partie des métropoles.

Ces salauds de profiteurs, ces fils de putes d’affairistes avaient réussi à attirer plusieurs milliards de citoyens dans leur mégalopoles en l’espace de quelques malheureuses années, le tout orchestré sur des rouleaux de papier imprimé. Ah, l'argent ! L’homme avait toujours su transformer le moindre de ses outils en arme mortelle, et le meilleur d’entre eux s'était finalement avéré être le plus fatal. Comble du cynisme, ces infâmes hypocrites avaient eu la prétention d’organiser la civilisation la plus pacifiste de l’histoire de l’Humanité et y étaient vraiment parvenus.

Néanmoins, des décennies plus tard, les habitants de ces méga-cités avaient fini par prendre le contrôle du pouvoir, via l'extranet, en s’associant aux détenteurs du savoir, tout aussi pressés d’évoluer que l’étaient les citoyens. Ensemble, ils avaient réussi à former un gouvernement civil très puissant et s’étaient très vite débarrassés de cet ordre tyrannique et mégalo-maniaque qui les étouffait depuis toujours.

Il est inutile de vous décrire le monde tel qu’il était dans ce lointain avenir puisque nous y sommes, nous-mêmes, en partie, déjà installés, et qu’il est aisé d’en imaginer la suite. Tout y était robotisé et informatisé. Chaque grain de matière était sous tension et sous surveillance. Une foule d’androïdes et de robots plus performants les uns que les autres exécutaient les travaux les plus pénibles, avaient les tâches les plus ingrates et s’occupaient des choses les plus ordinairement indécentes.

Abandonnées au milieu d’interminables étendues d’arbres et de champs cultivés, les ruines des vieilles villes s’effondraient sur elles-mêmes et s’effaçaient de l’horizon, jour après jour, inexorablement grignotées par la nature qui reprenait ses droits.

Exactement à l’endroit où débute notre aventure, s’étendaient les antiques restes du "Grand-Paris". Il n’y avait plus, en ces lieux historiques, qu’un vaste désert de pierres et de ferrailles enchevêtrées, recouvert de poussière. La plupart des gens qui vivaient là, était condamnée à l'exclusion, "exclue de la Cité avant réintégration". Les prisons n'existant plus, les condamnés venaient se réfugier dans les ruines des métropoles abandonnées pour exécuter leur peine, et parfois pour le reste de leur vie. Les autres, auxquels se mêlaient les clandestins et les mercenaires, étaient des conservateurs nostalgiques de leurs origines et d’un passé révolu. Bien souvent nés sur place, ces derniers étaient totalement allergiques à la "citoyenneté". La grande majorité des individus qui fréquentaient les lieux étaient pourtant des habitants de la Cité, des habitués qui avaient soit une double vie, soit un business intéressant à y faire. De ceux-là, il pouvait y en avoir un sacré paquet les soirs de fête.

Ce qui apparaissait comme un désert, regorgeait en fait d'une vie intense et souterraine qui grouillait avec la vermine.

ETERNITY

CHAPITRE N°1

- Volf…volf…! 

Volvic leva les yeux au ciel. Son regard bleu transperça le masque de poussière blanche qui recouvrait son solide visage. De minuscules gouttelettes blanchâtres perlaient au bord de ses cils et lui brouillaient la vue. Il cligna plusieurs fois des paupières pour s’en débarrasser.

Hektor, le petit canidroïde, réitéra ses jappements d’alarme : « Volf… volf ! ». Volvic lui ordonna de se taire d’un claquement de doigts et tendit l’oreille. Le bruit des réacteurs lui parvint, alors, à travers l’épais rideau de nuages qui coupait le ciel en deux. Il fronça les sourcils.

Bien que soulagé de ne pas reconnaitre le vrombissement caractéristique des patrouilles de la police territoriale, Volvic s’étonna du vacarme grandissant. Le bruit enfla encore. Un énorme fracas semblant venir de toutes les directions à la fois l’enveloppa et fit subitement monter sa tension. Effrayé par le vacarme soudainement assourdissant, Volvic imagina un énorme vaisseau de fret en perdition prêt à s’écraser avec toute sa cargaison de containers blindés. 

L'aéronef creva le sombre plafond nuageux dans un fracas infernal et lui fonça droit dessus. Le cœur de Volvic s’arrêta net, comme pétrifié.

Il restait au vaisseau moins de trois cents mètres à parcourir avant d'atteindre le sol lorsque celui-ci se braqua brusquement dans les airs sous l’effet des rétrofusées. Le vieux remorqueur se balança dangereusement dans le vide, réussit à se stabiliser, puis amorça sa descente en grondant. L'engin ressemblait à un gros corps d’autruche carré, sans cou, ni tête. Son énorme train d’atterrissage se résumait à deux grandes pattes qui pendaient dans le vide en dessous de la vieille carlingue; elles se plièrent brutalement au contact du sol, puis s’immobilisèrent dans un jet de vapeur pressurisée.

Volvic resta un moment indécis, intrigué par l'aspect anachronique du vaisseau. Il se remémmora les infos du matin en se demandant si une telle coïncidence était possible. Cela arrivait parfois qu’un cargo s’écrase sur Terre ou atterrisse en catastrophe au milieu de nulle part. On retraçait alors l’évènement dans les médias et on décorait les héros... s’ils étaient morts. Il n’y aurait guère trouvé plus d’intérêt. Mais, là, si c’était bien ce qu’il pensait, il pouvait se féliciter d’avoir été au bon endroit, au bon moment.

Sans quitter l’aéronef des yeux, Volvic se débarrassa du fusil hypodermique qu’il portait en bandoulière pour le déposer sur le bord de son "chariot", un plateau à sustentation magnétique surchargé de pierres et de ferrailles.  Il s’empara de la télécommande qui pendait à son cou, puis fit avancer le plateau pour aller le garer tout au bord de la crête. 

Vus du vaisseau, et même avec de bonnes jumelles, le "chariot" et son chargement devaient ressembler à un tas de gravats émergeant des broussailles. Volvic se glissa dessous en rampant et se posta à plat ventre. Il sortit sa mini longue-vue d’une des poches de sa veste-chasseur, coucha quelques herbes qui le gênaient avec la main, se mit d’aplomb sur ses coudes, puis posa son œil sur la lentille. 

Rien ne bougeait en contrebas. Seuls, le ronronnement et les légers cliquetis du chariot à sustentation venaient rompre le silence pesant qui régnait sur la plaine.

Volvic pensa que la "Mutante" et tout l’équipage feraient mieux de déguerpir au plus vite si les militaires étaient à leurs trousses. Une réflexion qui l’amena, aussitôt, à entrevoir les risques qu’il prenait, lui aussi, en restant là, à attendre de devenir un témoin gênant. Les militaires étaient sans scrupules en général et faisaient rarement dans le détail. Nombre de généraux avaient été condamnés par contumace à l’exclusion civile pour des assassinats perpétrés sur Terre. Et bien évidemment, au contraire de lui que l’on avait si injustement exclu de la Cité, aucun d’entre eux n’y était revenu pour exécuter sa peine.

La trappe d’accès au pont inférieur du vaisseau se souleva au même instant et trois silhouettes apparurent, alignées face à lui dans l’encadrement du sas. Volvic ne distinguait pas leur visage d’aussi loin, mais put reconnaitre deux femmes, dont l’une de grande taille. Sûrement "Elle"… ! pensa-t-il. Il y avait aussi cet homme très corpulent qui portait un autre individu sur son dos. Un blessé, très certainement...!

Les deux femmes sautèrent à pieds joints dans la terre sablonneuse. L’homme, son fardeau humain sur les épaules, s’agrippa au rebord du pont d’accès et se laissa pendre jusqu’au sol à la force de ses bras. Après quelques palabres, l'homme, le blessé toujours accroché à son cou, prit la direction opposée à celle que les femmes avaient choisie. Par un curieux hasard, ces dernières se dirigèrent pile vers l'endroit où Volvic se trouvait.

Celui-ci essaya de ne pas les perdre de vue et suivit leur cheminement à travers sa petite lunette. Il distingua, peu à peu, plus de détails. Il sentit l’émotion l’envahir quand le visage de la "Mutante" se tourna vers lui pour lancer un regard dans sa direction. Il faillit en lâcher la mini longue-vue qui tremblota un moment dans sa main.

Les deux fugitives atteignirent très vite le bas du plateau. Volvic les vit avaler la côte à vive allure. Elles devaient logiquement déboucher à quelques dizaines de mètres de sa cache et il décida d’aller à leur rencontre. Peut-être, aurait-il l’occasion de les aider. Evidemment, s'il prenait ce risque, ce n’était pas par pure générosité de sa part, mais parce que le gouvernement en faisait la demande depuis plus de trois jours sur tous les médias. Retrouver la "Mutante" avant les militaires était la priorité absolue et il pouvait sûrement y trouver son compte. 

Volvic s’extirpa de sous le chariot. Il hésita quelques secondes sur le choix qu'il avait à faire, puis décida dans l'urgence de saisir l'opportunité qui s'offait à lui. Suivi de son canidroïde et de son chariot brinqueballant, il serpenta entre les ruines d'un ancien quartier pavillonnaire jusqu'à un bosquet de ronces. Il ordonna au chien de se coucher dans les hautes herbes auprès de lui, s’accroupit derrière le feuillage roussi, prit la télécommande à son cou et déposa le plateau à sustentation au sol.

Il était trop nerveux. Le "chariot" tangua dangereusement et perdit une partie de son chargement avant de s’immobiliser. Volvic tenta ensuite de tirer quelques tiges feuillues de l’entrelacs de ronces pour voir au travers mais une méchante épine lui piqua le pouce et le fit pouffer de douleur. Et merde… ! Une goutte de sang perla, puis deux, puis trois. Volvic porta la blessure à sa bouche pour la suçoter.

Il entendit soudain des pierres dégringoler, puis les éclats de voix des deux femmes qui venaient d'atteindre le haut de la crête. Affolé, il se baissa en reculant, trébucha sur une racine et tomba à la renverse. Des mots lui parvinrent alors distinctement. Les deux fugitives étaient toutes proches. Volvic resta couché sur le dos, les quatre fers en l’air, le coeur battant et le souffle court... figé comme une statue.

Les deux femmes s’arrêtèrent soudainement de parler, très certainement surprises par la vue qui s’offrait à elles. Et il y avait de quoi…! Là, à leurs pieds, s’étendait les ruines du Grand-Paris.

La Lieutenant Ripley ne comprit pas tout de suite ce qu’elle découvrait là, puis de vagues souvenirs lui revinrent peu à peu en mémoire. Des images de cartes postales pleines de vie et de couleurs et quelques visages flous traversèrent fugacement son esprit. Aucune sensation de mélancolie ne ressurgit pour l’angoisser, mais un vague sentiment de colère retenue la contrariait tandis qu’elle regardait ce paysage désolé. Voilà ce que les humains avaient réussi à faire de la plus belle ville du Monde, pensa-t-elle. Un véritable désert ! Et elle se demanda comment cela avait pu arriver. Par quel terrifiant cataclysme…

Ellen Ripley posa un genou au sol, prit une poignée de terre dans sa main, comme pour en évaluer l’inutilité, et resta un long moment à observer la ville en ruines. Seule trônait encore au milieu des vieilles pierres érodées et des ferrailles rouillées, la Tour Eiffel décapitée. La haute aiguille de fonte était pliée en deux, plantée dans la boue et les décombres qui recouvraient le lit de la Seine asséchée.

Aucun gratte-ciel, aucun autre monument ne subsistait. Quelques quartiers, au loin, formaient de vagues collines et des falaises déchiquetées. Une odeur de craie écrasée flottait dans l’atmosphère. Un désert de poussière et de débris issus du passé s’étendaient devant elle, à perte de vue. Call la sortit de sa contemplation :

- Ellen ! Il faut quitter cet endroit et trouver de l’aide, les militaires ne vont plus tarder ! 

La Lieutenant eut une légère contraction. Elle laissa filer la fine terre sablonneuse d’entre ses doigts, ouvrit la main, puis la frotta d’un coup sec sur sa cuisse en se retournant vers l’auton :

- Pourquoi faire…? Et pour aller où…? Regarde…! Crois-tu que j’ai encore envie de me battre pour ça ? 

Et elle désigna l’horizon au dessus du Grand-Paris ravagé. Elle avait du mal à réfléchir. Elle savait qu’il fallait fuir, mais elle ne pouvait se décider à agir. Totalement résignée, elle sentait le piège se refermer sur elle et n’entrevoyait pas le moins du monde ce qui allait advenir. Elle s'en fichait d'ailleurs éperdument. Elle n'avait plus vraiment d'ennemi, en définitive. Que ce soient les militaires ou un quelconque gouvernement terrien qui l'interceptent lui importait peu; l'un ou l'autre ferait d'elle ce qu'elle en attendait.

Call répondit   :

- Mais tout ça…! Tout ce que tu vois, c’est de l’histoire ancienne. La population n’a pas disparue, elle a changé de place. C’est là-bas qu’il faut aller sans tarder, tu y seras en sécurité. Fais-moi confiance… ! Partons d’ici...! 

- Te faire confiance…?! Toi, qui voulais me tuer…! Il n’y a sûrement rien à espérer de mieux de ceux qui t’en ont donné l'ordre...! 

- Tu sais parfaitement que c’est le xénomorphe qu’ils voulaient tuer ! rétorqua Call. Ils t’ont toujours considérée comme une victime du pouvoir militaire. Tu n’as plus rien à craindre d’eux, maintenant...! Il faut partir tout de suite, Ellen, ou il sera trop tard ! 

- Mais il est déjà trop tard…! Et où veux-tu aller, dans ce désert ? 

Ellen Ripley se mit, soudain, à humer l’air à la façon d’un animal. Elle trouva vite dans quel sens se diriger et fit un signe pour prévenir Call qu'un individu les épiait.

L'auton avait détecté Volvic dès la sortie du vaisseau et savait très exactement où il se trouvait. Elle comptait sur lui et sur son esprit citoyen pour les aider à sortir de ce pétrin. Elle désigna l’endroit en pointant le bosquet de ronces avec son doigt.

Ripley ressentait une immense excitation, une véritable exaltation qui lui faisait l’effet d’une grande bouffée d’oxygène. Son instinct de chasseur se révélait pleinement à elle en cet instant. D'un geste, elle ordonna à Call de contourner la cache pour prendre l'homme à revers. Elle se plia en deux et sans le moindre bruit disparut dans les hautes herbes en flairant sa "proie".


CHAPITRE N°2

A huit-cents kilomètres de là, dans le vieux complexe militaire de Toulon, un des derniers bastions terriens de l’armée de métier, une sorte d’ambassade et de comptoir d’échange dont civils et militaires se partageaient le contrôle, le Lieutenant Haribo prenait ses fonctions et se dirigeait gaiement vers sa «play-station», engoncé dans son fringant uniforme et ses bottillons cirés. Il salua fièrement ses coéquipiers, pour ne pas dire ses congénères, d’un air emprunté, en souriant de sa bonne grosse face de mongolien à s’en faire rentrer les yeux à l’intérieur de la tête. D’une démarche très militaire et le buste bien droit, il avançait entre les deux interminables écran-cloisons qui bordaient la salle de contrôle de chaque côté, et face auxquelles deux longues rangées d’officiers, tout aussi trisomiques que lui, étaient occupés à surveiller les milliers de données et d’images holographiques projetées devant eux.

Il aurait pu, dans le passé, sembler bizarre de ne trouver, ici, que des « handicapés cérébraux », mais vues les circonstances, cela était, aujourd’hui, tout à fait banal, voire parfaitement normal. Depuis qu’ils avaient été chassés de l’Union-Continentale-Universelle-Civile (la C.U.C.U.) et de tous les territoires que celle-ci protégeait. Après avoir perdu soldat après soldat, officier après officier, sans avoir su les empêcher de partir vers une vie citoyenne, les militaires avaient décidé de ne garder que leurs plus précieux éléments. Les derniers qui restaient et les seuls que les civils acceptaient sur leurs territoires. Et cela fonctionnait à merveille...! Ils étaient vraiment très obéissants, relativement doux et serviables, bien assez intelligents, adroits et minutieux pour le travail qu’ils avaient à fournir. Cerise sur le gâteau... ils étaient tous leurs descendants...! Cela resserrait d’autant plus le lien qui les unissait.

Le Lieutenant Haribo cessa de sourire en s’arrêtant au niveau de son poste de pilotage, fit un quart de tour et d’un geste impérieux cogna du doigt sur l’épaule de son congénère pour le prévenir de sa présence. Il le salua en claquant du talon, puis resta figé dans son salut quelques dizaines de secondes avant de s’entendre dire «Repos, Lieutenant !» par son coéquipier, qui s’amusait toujours à le faire patienter jusqu'à la dernière seconde. Ce dernier se retourna en pivotant sur son siège pour faire son rapport.

- Nous sommes à quatre minutes, trente de l’objectif ! Cibles mouvantes ! Une auton à détruire et une pirate pour repêchage ! dit-il en retirant son oreillette d’un mouvement gauche et en se levant à contrecœur. Pour une fois que le jeu en valait la chandelle. 

Le lieutenant Haribo se mit à son poste et se concentra immédiatement sur son écran, sans prendre la peine de répondre au salut militaire de son coéquipier qui claqua plusieurs fois des talons avant de repartir.

Le lieutenant Haribo ajusta l’écouteur sans-fil sur son oreille, puis tapa son code d’identification. Une jolie petite voix rassurante lui souhaita la bienvenue au nom de l’état-major, le félicita pour son dévouement, puis termina par d’exaltants encouragements, ainsi qu’un «papa et maman qui t’aiment !».

Devant lui, l’écran holographique projetait une vue satellite de la France. Sa cible, un petit point rouge lumineux, clignotait à l’emplacement de l’ancienne capitale européenne, tandis que le signal en bas de l’image, qui indiquait la position de son vaisseau, se déplaçait imperceptiblement, droit dessus. A chaque nouvelle dizaine de kilomètres effectués, la cartographie évoluait et de nouveau détails apparaissaient. L’aéronef était, en réalité, directement connecté à l'état-major militaire basé sur la Lune, via un des derniers satellites de l’Armée encore en orbite autour de la Terre.

Le Lieutenant Haribo était là pour commander, déplacer ses soldats-androïdes du mieux qu’il pouvait, afin d’appréhender les sujets recherchés. Et puisqu’il n’avait pas grand-chose à faire pour la majeure partie du temps, un mini test d’attention lui était proposé toutes les trente secondes, histoire de s’assurer à l’état-major de son acuité et de son attention au travail. C’est ainsi qu’il pouvait, par défaut, vivre pleinement sa mission.

Il avait en charge, l’un des quatre escadrons qui formaient le bataillon de repêchage, et il voulait être certain de sa fonctionnalité. Il vérifia donc que tout fonctionnait correctement, tout particulièrement en ce qui concernait la puissance de feu de son arsenal. Il avait entre ses mains, une très puissante artillerie létale et non-létale, bien plus importante qu’il ne lui semblait nécessaire. Il dénombra, pour un seul escadron de douze soldats : mille-deux-cent cartouches à infra-basse et autant de balles explosives-perforantes. Cent-vingt mini-roquettes à infra-basse et à gaz. Une soixantaine de grenades du même style. Sans compter le faisceau paralysant équipant les fusils multifonctions, les Multi. De quoi anéantir tout un troupeau de rhinocéros en moins d’une demi- seconde.  Largement suffisant pour exploser une auton et capturer une pirate ! pensa-t-il. 

CHAPITRE N°3

Volvic savait que les deux fugitives venaient de le repérer et son sentiment oscillait entre l’envie de se lever pour leur dire : "Bonjour !" et l’envie de fuir au plus vite le danger imminent. Il avait eu quelques instants pour peser le pour et le contre, pour prendre conscience de l’importance de l’évènement et des forces qui allaient être déployées. Le risque lui paraissait, soudain, bien trop énorme et il redoutait de se trouver pris sous le feu des militaires s’il tentait d'aider la "Mutante".

Volvic se redressa d’un coup de rein, marcha accroupi jusqu’au "chariot" et le fit redémarrer d’une simple pression sur la télécommande. Vite… ! Il devait faire vite ! Il régla le niveau de flottaison au plus bas, puis, au dernier moment, voulut récupérer son fusil. Il le chercha d’un air affolé durant quelques secondes. Merde ! Son arme avait dû tomber tout à l’heure sans qu’il s’en aperçoive.

Un craquement, tout proche, le retint de chercher plus longtemps et il se glissa promptement sous le plateau à sustentation pour s’y dissimuler. Il aurait bien aimé que ce soit un bolide, mais ce genre d’engin ne volait pas à plus de cinq, voire dix kilomètres à l’heure sans la charge. Aucune fuite possible. Il fallait résister et tenir le siège en espérant que les deux fugitives abandonnent rapidement. Volvic misait maintenant sur l’arrivée des militaires et se sentait honteux d’être soudainement devenu aussi lâche. Tant pis ! Il préférait être en sécurité...! 

Il entendit le craquement des herbes plus distinctement et le bruit des pas qui s'accéléraient. Une sueur froide lui glaça la nuque. Par chance, en tournant la tête, Volvic aperçut la crosse noire de son fusil hypodermique dépassant du bosquet de ronces. L'arme était là, à quelques pas. Du courage, voilà ce qu’il lui fallait. Et il tenta le tout pour le tout. Il rampa sur le côté, prit une grande inspiration, puis arrivant à découvert, n’osa plus aller de l’avant.

Volvic pensa alors à faire avancer son chariot jusqu’à l’endroit où l'arme se trouvait. Les mains tremblantes, il extirpa la télécommande de sa poche et déverrouilla la sécurité afin d’augmenter le niveau de flottaison. Il fit avancer le plateau à sustentation de quelques mètres en rampant par-dessous et alors même qu'il se saisissait du fusil par la bandoulière, une poigne froide, dure comme l’acier, lui attrapa une cheville et l’entraina en arrière avec une effrayante facilité. Volvic enfonça ses doigts dans le sol de toutes ses forces et réussit à agripper un petit arbuste pour se retenir. Peine perdue. Call était assez puissante pour le trainer, malgré cela. L'homme commença, alors, à se débattre furieusement et il secoua les jambes dans tous les sens pour tenter de s’échapper. Il se retourna brusquement, au risque de se déboiter le genou, et pointa le canon de son arme vers son attaquante.

C’est à cet instant qu’il heurta très malencontreusement la télécommande de son chariot avec la crosse du fusil hypodermique et enclencha la descente du lourd plateau à sustentation. Bon sang ! Il avait oublié de remettre la sécurité. Il sentit, tout de suite, la carlingue vibrer et peser sur le haut de son crâne. Il lâcha son arme et se coucha en repoussant de tous ses membres le chariot qui tentait de se poser au sol. Sentant la pression inexorable lui exploser les muscles, Volvic cria comme un désespéré.

- Aidez-moi…! Aidez-moi ! 

L’auton lâcha la jambe du civil pour saisir le bord du chariot des deux mains. La pression se relâcha un chouia sur le pauvre Volvic, mais pas assez pour qu’il puisse s’en délivrer. Le "chariot" pencha dangereusement et des pierres se mirent à dégringoler du chargement. 


Call se mit à hurler :


- Ellen, viens m’aider! 

Le cœur et le cerveau de Volvic étaient sur le point d’exploser. Ses poumons le brûlaient et son corps tout entier était tétanisé. Un dernier cri s'étouffa dans sa gorge.

Ellen Ripley sortit d'un bosquet de ronces à grands pas, contourna le plateau surchargé pour se poster auprès de Call. Elle se pencha en avant, attrapa la carlingue à deux mains et concentra son énergie, toute son incroyable force animale, vers les muscles appropriés. D’une seule poussée, elle éjecta le chariot et tout son chargement par-dessus la crête, comme un vulgaire morceau de carton. Celui-ci virevolta dans les airs en projetant des débris qui valdinguèrent et retombèrent tout autour d’eux dans un nuage de poussières. Le plateau d’acier chromé scintilla dans le ciel, s’immobilisa l’espace d’une seconde au dessus de l’horizon, puis chuta subitement pour aller s’écraser dans la pente qui surplombait la ville morte.

Volvic tentait de retrouver ses esprits. Des débris l’avaient blessé à la tête et l'avait presque mit knock-out. Un filet de sang coulait sur son front. Il posa la main sur son crâne pour tâter la blessure, puis retira ses doigts ensanglantés pour les observer d’un air bizarre. Un craquement, tout près de lui, l’aida à retrouver une partie de ses sens. Juste assez pour que, instinctivement, il se relève sur son séant et s’empare du fusil qui pendait  à son épaule. Il tourna la tête en direction du bruit. Une immense douleur lui vrilla les tempes et sa vue se brouilla. Une masse sombre et indéfinissable lui apparut alors à contre-jour. La haute et monstrueuse silhouette qui approchait, se pencha sur lui. Sans plus chercher à comprendre, plongé dans la plus profonde confusion mentale, Volvic leva son arme et vida tout son chargeur de seringues hypodermiques sur la "Mutante".

La Lieutenant Ripley sentit à peine les aiguilles lui transpercer la peau. Affolée, Call fonça sur le civil et envoya le fusil à terre d'un coup de pied.

- Bon sang, elle vient de te sauver la vie !


Volvic s’évanouit en s’étalant de tout son long. L'auton se retourna vers sa protégée. La Lieutenant semblait bien supporter le poison. Ses pupilles étaient certes complètement dilatées et son regard noir en devenait incertain, mais elle se tenait debout sans chanceler.

L'auton s’enquit, alors, d’aider le civil. Deux, trois baffes suffirent à le réveiller. Ce dernier, complètement hébété, contempla durant quelques secondes le doux visage penché au dessus du sien et murmura en bafouillant :

- Je m’excuse… je m’excuse ! 

Call prit le civil par-dessous les épaule et l'aida à se relever. Volvic gémit de douleur, grimaça et répéta plusieurs fois "Je m’excuse, j’ai eu peur...!" en se retenant à elle. Call fit quelques pas avec lui, le temps qu'il reprenne ses esprits.

Ellen Ripley qui n’avait pas bronché, réagit avec un peu de retard et demanda sur un ton vaporeux :

- Et de quoi avais-tu peur, mon ami ! 

Volvic se figea. L'auton se retourna vers sa protégée et la dévisagea avec méfiance avant de la questionner :

- Ca va ? Tu te sens bien ?

Les anesthésiants engourdissaient peu-à-peu la Lieutenant Ripley qui s’en trouvait fort aise. Plusieurs seringues s’étaient plantées dans sa poitrine et se balançaient en s’entrechoquant. Un sourire radieux précéda sa réponse :

- Parfaitement bien, ma petite Call… ! Parfaitement bien !

CHAPITRE N°4

Le lieutenant Haribo reçut l’ordre de tirer les premières roquettes à infra-basses. La cible était maintenant à portée de tir et il se faisait une joie d’avoir à presser le gros bouton rouge. Il savait par expérience que certains projectiles manquaient parfois leur but de quelques encablures. Il préféra, donc, compter jusqu’à dix avant de s’exécuter.

Le signal de mise à feu clignotait à l’écran et résonnait dans son oreillette avec insistance. Haribo resta patient. Il plaça lentement sa main au dessus du rupteur. Vint l’effleurer délicatement du bout des doigts. Ferma les yeux, puis appuya d’un coup sec en contractant tout son corps. Il ressentait toujours avec beaucoup de plaisir ce petit courant électrique qui lui chatouillait la colonne, lui remontait jusqu’au cerveau pour venir lui picoter le haut du crâne à chaque fois qu’il "tirait un coup".

CHAPITRE N°5

Il y avait assez de drogues pour assommer un éléphant. Pourtant, la Lieutenant Ripley s'étaient vite habituée aux effets délétères des anesthésiants. Elle était plutôt euphorique et volontaire, mais certainement pas capable de réfléchir correctement. Call se chargea, donc, d’interroger Volvic sur la possibilité de se connecter à un modem dans ce foutu désert. Peut-être en possédait-il un, lui-même.

- Vous allez mieux ? Vous pouvez vous tenir debout ? demanda-t-elle au civil en desserrant son étreinte.

- Ouais... ça va aller, merci ! répondit Volvic.

Call le relâcha complètement et reprit :

- Vous avez un portable…? 

Volvic fit non de la tête. Sil avait su… ! L'auton continua :

- Où peut-on trouver de l’aide ? Nous devons prévenir une équipe de sauvetage le plus vite possible. Notre vaisseau est tombé en panne… 

Volvic lui coupa la parole :

- Je sais…! Je sais qui vous êtes…Pas la peine de me barat… 

Call attrapa brusquement l’avant-bras du civil et serra assez fort pour l’interrompre, puis elle jeta un coup d’œil vers la Lieutenant Ripley qui s’approchait d’eux en souriant. Celle-ci ne semblait pas avoir entendu. Le civil continua :

- Il y a bien une solution, mais c’est compliqué…! 

Volvic espérait qu'en aidant les deux fugitives, la citoyenneté dont il avait été injustement déchu par le gouvernement lui serait rendue. S’il réussissait, bien sûr, à se faire passer pour leur sauveur. Il mesurait toutefois le danger potentiellement mortel qu'il courait en prenant ce risque.

- Il y a un Sound-club à environ trois kilomètres d’ici. On peut le rejoindre en passant par les sous sols…! Là-bas, vous pourrez appeler les secours…! 

Call prit un ton légèrement suppliant :

- Vous devez nous guider. Nous n’avons pas beaucoup de temps ! 

Volvic hésita quelques secondes. Il redoutait de se sacrifier pour rien et de finir en victime collatérale d'un conflit qui ne le regardait pas. L'espoir d'une réhabilitation citoyenne, éventuellement posthume, n'était somme toute qu'une bien mince consolation pour un tel sacrifice. C'est le désir de retrouver femme et enfant qui le décida.

- Ok...! répondit-il  


Ellen Ripley, à moitié ivre, s’approcha de lui et l’attrapa par le revers de sa veste.


- Regarde-moi dans les yeux… que je sache si on peut te faire confiance ! lui demanda-t-elle.

Surmontant son appréhension, Volvic plongea son regard bleu clair dans celui de la Lieutenant, plus noir que la nuit. L’émotion le submergea instantanément. Son cœur fit un bond. Il frissonna de haut en bas et dut faire un effort pour éviter de se mettre à trembler. Les jambes flageolantes, il se retint au bras de l’auton pour tenter de rester digne.

Call se délivra de l’emprise de Volvic. Elle fit face à la Mutante, la repoussa en arrière avant de lui retirer impérieusement toutes les seringues hypodermiques qui pendaient encore à sa poitrine. Elle jeta les cartouches vides à terre. 

- Il faut faire vite ! Par où… 

Call n’acheva pas sa phrase. Volvic tendit le doigt, en direction du plateau qui s’évasait au bout de la crête.

- C’est par là-bas...! dit-il.

Il fit deux, trois pas, puis s’arrêta net en s’exclamant d'un air affolé :

- Hektor..! Merde, j’allais l’oublier...! HEKTOR…!!! 

Il se mit aussitôt à fouiller les environs en claquant des doigts.

- C’est un petit canidroïde… ! dit-il pour toute explication. 

La Lieutenant n’avait que faire de son chien-chien électromécanique.

- Pas de temps à perdre pour un foutu robot…! lança-t-elle sans réfléchir;

Elle s’arrêta subitement de parler en voyant Call la toiser d’un air qui en disait long. Elle s’excusa d’une grimace et d’un sourire affligé. Volvic s’en remit à l’auton.

- Il m'est très utile… ! Il faut que je le récupère...! dit-il en battant les herbes avec la main.

Call détecta le canidroïde qui émettait encore en état de veille. Il gisait au milieu des gravats, caché par la broussaille à quelques mètres de là. Elle s'empressa d'aller le ramasser et de le rendre à son maitre.Volvic lui prit le chien des mains, manipula le petit canidroïde en tout sens durant quelques secondes, le reposa à terre, puis claqua des doigts pour le remettre en fonctionnement.


- Ah, ça va…! Il était juste déconnecté ! conclut-il.

La Lieutenant Ripley esquissa un sourire narquois :

- C’est bon, on peut y aller ? 

- Oui… ! Il faut faire vite ! répondit Call.

L’homme blessé se remit en route. Il perdit d’abord l’équilibre, se rattrapa, puis se mit à courir en titubant. Son chien lui emboita le pas et trottina à son côté. Call et la Mutante firent de même, adaptant leur foulée à celle du civil.

Ils coururent environ trois-cent mètres à travers les ruines. Les deux fugitives durent retenir le malheureux Volvic plus d’une fois pour lui éviter de tomber à la renverse. Enfin, complètement épuisé, souffrant le martyr à cause de son épaule, celui-ci s’arrêta subitement. Il se plia en deux en se tenant les côtes et en soufflant comme un bœuf et n’eut que la force de relever son bras valide pour désigner, sans le regarder, une espèce de puits d’aération en béton qui sortait du sol à vingt mètres de là. 

- C’est là ! finit-il par dire

Call, l'air inquiet, observa le ciel durant un bref instant.

- Dépêchons-nous ! dit-elle

Ils atteignirent très vite l’endroit. Gravirent un talus de terre entassé jusqu'aux bords surélevé du puits et se retrouvèrent au dessus d’une large bouche d’aération circulaire condamnée par une grille de métal oxydé.

Call s’agenouilla aussitôt et tira dessus sans succès. La rouille avait soudé les éléments ensemble. Volvic tenta de lui prêter main forte et s’époumona vainement avec elle. La Lieutenant Ripley les repoussa tous deux de côté avec son bras.

Elle se pencha, passa les doigts à travers les mailles d’acier et tendit ses muscles. La grille grinça et se tendit brusquement comme un filet de pêche que l'on remonte. Ellen Ripley tordit son poignet dans tous les sens pour casser la rouille. D’horribles crissements se firent entendre avant que la grille ne s’arrache de sa gangue d’un seul coup.

- Et voilà ! dit la Lieutenant d’un air amusé.

- Vite, vite, il faut-y-aller ! fit Call sur un ton suppliant.

Ellen Ripley repoussa la grille de métal puis s’engouffra la première dans le conduit d’aération. Elle s’assit au bord du vide, se retourna habilement et se laissa glisser dans le puits en tâtonnant avec le pied à la recherche d’un échelon. Elle s’assura une prise, puis se mit à descendre sans plus attendre. L’auton se retourna vers le civil.

- A toi, maintenant…!  

Volvic se sentit pris de vertige en approchant du gouffre. Il s'agrippa à l'avant-bras de l'auton pour se rassurer. Call détecta les deux missiles qui fonçaient droit sur eux, au même instant. Elle cria de toutes ses forces en émettant un son de haut-parleur saturé :

- Ellen ! 

Les deux missiles à infra-basse explosèrent ensemble dans le silence le plus total.

Call comprit, tout de suite, qu’il ne s’agissait que d’infra-basses, sans danger pour elle. Sans danger pour une androïde, certes, mais loin de l’être pour les humains. Volvic vacilla une fois en arrière, une fois en avant, puis plongea dans le vide sans un cri. Call se précipita, tendit un bras et in-extremis, rattrapa le civil par le ceinturon de son pantalon. Peine perdue...! Call s’arc-bouta, puis fut jetée à terre, entrainée par le poids du blessé. Son torse percuta violemment le petit muret de béton circulaire qui cernait le puits d'aération et elle s’arrêta net. Retenant le corps inerte de Volvic d’une main, elle chercha une prise pour s'y accrocher. Volvic, plié en deux, finit sa courte chute contre la paroi noircie du conduit d’aération et resta suspendu dans le vide sans bouger. Du sang se mit à couler goutte-à-goutte par le bout de son nez.

Le cœur de l’auton n’en pouvait plus de surchauffer et ses forces l’abandonnèrent. Elle devait pourtant tenir coûte-que-coûte, quitte à en perdre un bras.

- Ellen ! hurla-t-elle.

Ellen Ripley s’était arrêtée en entendant l'appel de Call et avait relevé la tête. Un silence pénétrant, absorbant tout sur son passage, l’avait soudainement frappée au visage et traversée de haut en bas. Elle s’était littéralement sentie aspirée de l’intérieur et s’était accrochée de toutes ses forces aux barreaux de fonte. Avait-elle perdu conscience…? Elle crut entendre quelqu’un l’appeler au loin et rouvrit les yeux. Là-haut, Call criait son nom. Elle releva la tête et aperçut le corps de Volvic qui pendait dans le cercle de ciel bleu, dix mètres au dessus d’elle. Elle réagit aussitôt et se hâta de remonter vers eux pour les aider.

- Dépêche-toi, je suis en train de lâcher ! implora l’auton, dans un sifflement de boite vocale.

Le poids conséquent du civil fit peu-à-peu basculer Call par dessus le muret sans que celle-ci ne puisse rien y faire. Ses courroies de transmissions patinaient en couinant à travers sa carcasse. Volvic était trop lourd pour elle et sa prise était trop incertaine. Elle glissa progressivement par à-coups et poussa un dernier cri en passant par-dessus bord :

- Ellen…! 

La Lieutenant vit les deux corps tomber sur elle et eut juste le temps de les esquiver. Puis, avec plus d’habileté que ne le ferait une panthère, elle attrapa au passage la veste de Volvic en la transperçant de ses ongles noirs. La toile épaisse se déchira sur quelques centimètres mais résista. Aussi bien que le ceinturon auquel Call était restée agrippée.

La voix d'Ellen Ripley résonna contre les parois du conduit :

- Ca va, Call, tu tiens bon ?

L'auton se balançait dans le vide, fermement accrochée au pantalon de Volvic, dont elle apercevait le haut des fesses, blanc et luisant, apparaitre peu-à-peu sous le tissus de jean distendu.

- Je chauffe un peu, mais ça ira ! répondit-elle. Et elle ajouta : Fais vite, j’ai peur qu’il perde son pantalon ! 

Mâchoires serrées, les retenant tous deux pendus dans le vide à bout de bras, la Lieutenant Ripley se laissa glisser d’échelon en échelon. Lâchant une barre d’acier pour rattraper la suivante de sa seule main libre. A chaque fois, elle sentait la veste se déchirer un peu plus sous la tension. Il restait un saut de puce, tout au plus, trois, quatre mètres à effectuer, lorsqu’elle sentit la toile craquer entre ses doigts, puis se déchirer bruyamment. L'Auton venait de glisser lourdement en entrainant le pantalon de Volvic avec elle.Elle se cramponnait maintenant aux chevilles de ce dernier.

Call comprit qu’elle était de trop. Sans même chercher à évaluer la distance et le risque qu’elle prenait, elle sauta dans le vide. Une seconde de plus et Volvic descendait avec elle. Elle atterrit brutalement sur un sol de ciment en partie inondé et chuta en arrière dans une flaque d’eau.

Ripley sentit la tension se relâcher. Elle se dépêcha d’atteindre le fond du puits d'aération et déposa le civil évanoui sur le sol. Quelle ne fut sa surprise !

Elle eut un léger mouvement de recul et un petit temps d’hésitation. Puis elle dut contenir le fou-rire qui se déployait dans sa gorge, au vu de ce qu’elle découvrait, là, sous son nez. Volvic, le pantalon sur les chevilles, avait une gaule d’enfer. Son membre rouge se dressait au sommet de ses puissantes jambes dénudées et tremblotait par intermittence au rythme de ses battements de cœur. Le phénomène était en réalité fort douloureux et faisait partie des nombreux effets secondaires inhérents aux explosions d’infra-basses.

Parfaitement conscient, bien que complètement paralysé, le blessé souffrait mille morts de ses blessures. C’était comme si des centaines de rongeurs lui fouillaient les intestins et lui retournaient les viscères. Les infra-basses lui avaient fractionné, explosé et presque entièrement anéanti, le fin réseau capillaire qui alimentait ses organes, le noyant dans son propre sang.

Call s’était immédiatement relevée de sa chute. S’inquiétant pour sa blessure qui lui brûlait l’intérieur et faisait fondre son électronique, elle souleva le cuir râpé de son veston. Le trou béant dans son bas-ventre crachotait des étincelles en grésillant.

"Sale blessure !" se dit-elle. "Pourvu que ça tienne !"

Elle reboutonna les quelques fermoirs de son veston qu'il lui restait encore et dut retenir le pan de cuir avec sa main contre la plaie incandescente pour la dissimuler. Saloperies de militaires ! pensa-t-elle. Ils avaient presque réussi à l’avoir, mais elle irait jusqu’au bout de sa mission. Quoiqu’il arrive !

- Regarde ce que tu rates, ma petit Call ! dit Ripley en voyant l'auton sortir de l’ombre.

Call se figea sur place en découvrant la taille phénoménale que le sexe rougeoyant du pauvre Volvic avait finalement atteinte.

- Oh, la, la ! Qu’est-ce qui se passe…? Il faut vite le réveiller ! fit l’auton en détournant le regard.

- Il faut d’abord le rhabiller ! lui répondit Ripley d’un air moqueur en la voyant s’effaroucher comme une pucelle.

Call, vexée, mit alors sa pudeur de côté et vint s’agenouiller auprès du blessé pour l’ausculter. Il semblait bien qu’il restait un peu d’espoir ; mais elle devait avant tout le rendre présentable. L’auton détourna son regard de l’objet encombrant, puis se pencha pour tirer le pantalon à elle. Elle fit ce qu’elle put jusqu’au moment où il lui fallut loger "la chose vivante" dans son habitacle. Et là, elle commença à s’énerver. Elle n’arrivait pas à s’en dépatouiller. Non, vraiment, elle ne pouvait pas aller plus loin. Elle esquissa, malgré-elle, un geste de dégoût.

- Bon sang, Ellen, tu pourrais m’aider au lieu de te foutre de moi ! dit-elle en lâchant le tout.

Elle ne pouvait imaginer qu’un tel truc puisse se ranger dans un endroit aussi étroit. C’est Ripley qui dut s’y atteler. Celle-ci s’accroupit face à Call d’un air goguenard. Elle coucha le membre douloureux du plat de la main contre le bas-ventre de Volvic et dit :

- Vas-y, maintenant... Remonte son pantalon ! 

La douleur intense réveilla brusquement Volvic qui redressa le buste en hurlant sa souffrance. Il y eut soudain comme un flash dans sa tête. Une nausée lui souleva l’estomac. Une myriade de micro-pixels scintillants l’aveugla totalement. Il se pencha d’un côté et sans pouvoir se retenir vomit très malencontreusement sur l’auton. Une horrible gerbe de liquide ensanglanté et nauséabond jaillit hors de son gosier dans un énorme renvoi.

Call se redressa, puis se figea. Elle n’était pas juste éclaboussée. Volvic venait carrément d’arroser sa blessure de vomissures. Un puissant jet de vapeur, de fumées et de gaz s’échappa instantanément de la cavité brûlante en sifflant, crachant et pétaradant comme du pop-corn, puis s’embrasa brusquement en provoquant une longue et intense flamme bleutée qui disparut aussi rapidement. Un immonde relent de viande macérée à l’oignon, mélangé à l’odeur du sang brulé, envahit lentement l’endroit. 

Volvic choqué se releva maladroitement pour finir de se rhabiller, Ripley, elle, contemplait la scène en se pinçant le nez. Inquiètée par la blessure de Call, elle chercha le regard de l'auton et y trouva de quoi la rassurer. Call lui répondit d'un air volontaire et sans équivoque.

- Je vais très bien...! 

Call savait qu’elle n’en avait plus pour longtemps. Une infime mais insidieuse vibration s’était déclenchée au sein de ses organes vitaux et n’allait pas tarder à endommager son cœur à fusion nucléaire. Elle s’efforça de ne rien montrer de ses défaillances et s’enquit de l’état de Volvic.

Le civil se tenait penché contre la paroi humide de l’immense conduit d’aération et finissait de vomir en toussant et en crachant comme un condamné en phase terminale. Il se retourna enfin, les regarda toutes les deux un instant et glissa dos au mur.

- Il va falloir le porter ! dit l'auton.

Les deux femmes s’approchèrent de lui et l’empoignèrent chacune par un bras pour le mettre debout.

- Ca va aller ; on va vous aid… commença l’auton, sans pouvoir terminer sa phrase.

Volvic se déchaina :

- Mon chien… mon chien…! Je ne partirai pas sans lui !  Et il se mit à gueuler : HEKTOR… HEKTOR ! en levant la tête vers l’entrée du puits d’aération.

- Volf…Volf…! Volf… Volf…! aboya illico le petit canidroïde, perché tout là-haut sur le bord du muret à plus de vingt mètres au dessus d’eux.

- Ah, ah, ah…! C’est bien mon chien ! On va venir te chercher ! cria-t-il.

Ripley, sous l'effet narcotique des anesthésiants, s’énerva subitement :

- Saute, le chien, saute…! Viens voir maman ! ordonna-t-elle, en claquant des doigts comme le faisait son maitre.

- Elle est bien bonne celle-là…! s’indigna Volvic, complètement interloqué par le sadisme de la Lieutenant. Call s’interposa :

- STOP…! Stop…! Tu es devenu folle ou quoi ? dit-elle. Puis, en s’adressant à Volvic :


- Ecoutez, il est trop tard. Il faut partir… La deuxième salve ne va pas tarder si nous restons là ! 

Le civil tourna légèrement la tête vers elle et la regarda d’un air vaseux.

- Et comment je vais vous montrer le chemin, moi ? Il fait nuit noire, là-dedans ! 

C’était vrai. Le chien était indispensable. Call implora la Lieutenant de ses grands yeux désolés. Sans un mot, Ellen Ripley lâcha Volvic, l’abandonnant aux bons soins de l'auton, pour remonter chercher le canidroïde. Elle grimpa les échelons quatre-à-quatre et atteignit l’air libre en quelques secondes.

- Volf… volf… volf…! Le chien se mit à aboyer en la voyant s’approcher. 

Ripley tendit le bras pour attraper le canidroïde surexcité. Elle l’empoigna par une de ses pattes avant et le tira à elle, Hektor lui jappait dans les oreilles avec tellement d’ardeur qu’elle finit par le secouer fermement, d’un air agacé, pour tenter de le faire taire. Sans résultat. C’est à cet instant précis que les militaires surgirent.

La Lieutenant perçut un grondement lointain au milieu des jappements et leva les yeux. Un imposant vaisseau apparut par-dessus le front de nuages sombres qui barrait le ciel et déversa ses quatre escadrons de soldats dans les airs.

Ripley ficha une des pattes arrière du canidroïde entre ses dents afin d'avoir les mains libres. Elle se saisit ensuite de la grille en métal pour la remettre dans son châssis. Agrippée d’un côté à un échelon et de l’autre au maillage d’acier, elle se mit ensuite à tirer par-dessous. Le cerclage commença lentement à se tordre et d’un coup, au prix d’un terrible effort, toute la grille descendit sur un bon demi-mètre en raclant le béton dans un effroyable grincement.

La Lieutenant jeta un dernier regard à travers la grille déformée. Les bataillons de soldats-androïdes se séparèrent en files indiennes, puis foncèrent dans différentes directions. Il était temps de foutre le camp...! Elle se mit à redescendre à la manière des grands singes, à la seule force de ses bras. Se jetant dans le vide, tendant une main, deux, trois mètres plus bas pour attraper un nouvel échelon avant de lâcher l’autre. Elle découvrait au fil des obstacles et des nécessités, toutes les incroyables performances dont son nouveau corps était capable.

Call et Volvic la regardèrent faire ses acrobaties avec un léger sentiment de frustration, beaucoup d’admiration et un soupçon de frayeur.

Ripley sauta au sol et lança le canidroide dans les bras de son maitre.

- Ils viennent de débarquer par dizaines…! Ça ne va pas être du gâteau ! 

Le chien cessa tout de suite d’aboyer sous les caresses de Volvic qui le reposa très vite à terre, prêt à servir.

- Lumière ! ordonna-t-il en claquant des doigts.

La lumière fusa au travers des orbites flamboyants du canidroïde. Un large faisceau blanchâtre éclaira, alors, le lieu où ils se trouvaient.

Le conduit circulaire, d’un bon diamètre, s’élargissait à un endroit et passait en colimaçon derrière la paroi. A leurs pieds, le sol en béton était parsemé de flaques d’eau et sa surface noircie, craquelée d’un peu partout, était recouverte de petits cratères dus à l’érosion.

- Allons-y, vite ! s’exclama Call.

Volvic respira un grand coup en faisant la grimace, puis d’un geste, commanda à son chien de prendre les devants. Le pan de lumière se mit à trembler par petites secousses quand le canidroïde s’élança. Tous trois suivirent le canidroïde jusqu’à l’étroit passage. Ils se retrouvèrent à l’intérieur d’une galerie d’évacuation qui se séparait tout de suite en deux autres. Volvic s’arrêta un moment pour réfléchir au meilleur chemin à prendre dans ce dangereux labyrinthe qu’étaient les sous-sols du «Grand-Paris».

Au dessus d’eux, à l’extérieur, les soldats-androïdes se servaient, déjà, des fer-à-souder et des maillets pour percer la grille qui bloquait l’entrée du puits. L’écho étouffé de leurs efforts parvint aux oreilles de Volvic et le fit sursauter. Pris d’angoisse, celui-ci se décida un peu au hasard.

- C’est par là ! dit-il en désignant la direction d’un geste de la main. Puis, il se mit à courir dans le tunnel en chancelant derrière le canidroïde qui galopait à toutes pattes pour éclairer le chemin.

Le civil les ralentissait beaucoup trop, pensa Call, qui s’inquiétait fortement de leurs poursuivants. Il leur fallait accélérer la cadence s’ils voulaient avoir une chance de leur échapper. Sans s’arrêter de trottiner, les deux femmes s’entendirent en se faisant des signes pour remédier au problème.

Elles remontèrent à la hauteur de Volvic, l’attrapèrent, chacune par un côté de son ceinturon, et le soulevèrent avant de brusquement reprendre de la vitesse. "Aie…! Putain… elles m’auront tout fait ces deux-là !" pensa Volvic, en se raccrochant à l'épaule des fugitives pour ne pas basculer en arrière. La couture de son jean lui écrasa les bollocks. Ah, les salopes…! Elles ne savaient pas ce que c’était que de se faire trimballer, comme ça, avec un tel barda dans le futal !

Ripley en pleine course, se pencha vers l’avant, puis, au passage, s’empara du canidroïde qu'elle coinça sous son bras pour s’en servir comme une lampe de poche.

- C’est par où ? cria Call en approchant d’un croisement.

Volvic essayait tant bien que mal de s’orienter, de se souvenir des itinéraires qu’il avait empruntés dans sa jeunesse pour traverser la ville lorsqu’il sortait rejoindre ses amis et partait avec eux faire le tour des soirées Indy ou des Sound-clubs de l’époque. C’est justement dans une de ces boites qu’il voulait les emmener. Au "Voie-Lactée"...! Lieu sacré, ouvert en permanence depuis des siècles. Cela faisait plus de vingt ans qu’il n’y était pas retourné mais il avait encore le plan en mémoire. Ballotté en tous sens, il réussit à répondre en ahanant :

- Aie…aie…aie… à droite ! 

Et puis encore à droite, à gauche, indiquait-il en crispant toujours plus fort ses poings sur les épaules des deux fugitives. A droite, à gauche et ainsi de suite…! Ils ne s’arrêtèrent plus avant un moment, avalant kilomètre sur kilomètre, galerie sur galerie, au travers d’immenses et obscures carrières creusées dans le calcaire.

CHAPITRE N°6

Il faut bien se rappeler que les militaires avaient depuis longtemps colonisé la Lune dans son intégralité, ainsi que la plupart des planètes et lunes du système solaire. Sans parler des exoplanètes, les plus proches comme les plus lointaines (depuis peu, jusqu’à trois-cents années-lumière) qui étaient quasiment toutes leurs propriétés. Comme toujours, Armée et Commerce ne faisait qu’un.

C’est pourquoi les militaires, à défaut des prérogatives et des privilèges de l’ancien temps, défendaient, becs et ongles, toutes leurs colonies. Même les moins productives qui pouvaient, à elles seules, alimenter la Terre en matières premières durant plusieurs millions d’années. Les plus importantes contenaient parfois, dans leurs flancs, l’équivalent d’un soleil-an. De quoi chauffer notre belle planète bleue jusqu’à sa disparition.

La Lune était leur plage de sable blanc. Ne pouvant plus profiter de toutes celles qui s’étendaient le long des plus belles côtes de l’Univers, sur la Terre, ils se contentaient de celle-là. La quasi-totalité des généraux, hommes et femmes, avaient émigrés là-haut, lors de leur exil forcé, certains même avec toute leur famille. Les plus courageux d’entre eux, pour ne pas dire les moins lâches, avaient pris la route de l’Espace. Abandonnant maris, femmes et enfants pour une vie d’aventure et de pouvoir. De beaucoup trop de pouvoir, selon les Civils.

Heureusement, les relations entre la Terre et la Lune étaient bien moins tendues qu’on aurait pu le croire. Pour rien au monde, les militaires exilés sur la Lune ne se seraient risqués à une guerre improbable contre les civils. Il y avait de nombreuses dissensions et autres dissidences au sein même de l’Armée, que seuls les accords d’échange bilatéraux parvenaient à équilibrer. Les Militaires envoyaient leurs matières premières vers la Terre qui, elle, en échange, exportait sa matière grise et ses technologies. Moins expéditifs, les Civils talonnaient les Militaires sans oser les attaquer. La menace d’une guerre suffisait à calmer les deux parties.

Le Général D’Arko sortit de ses rêveries. La Terre tournait imperceptiblement au dessus de sa tête et il pouvait la voir au travers des parois de diamantine comme s’il avait les pieds dans l’océan. De sa bulle, il n’en sortait jamais réellement. Il n’appréciait guère les sorties extra-véhiculaires et mis à part les rares trajets qu’il effectuait régulièrement à travers les souterrains de la base pour se rendre au siège de l’état-major, il y restait cloitré vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Nourri, logé, blanchi, aimé, respecté et comblé selon tous ses désirs.

Sa bulle se trouvait installée au fond d’un modeste cratère, un peu à l’extérieur de la base, sur les côtes dites de «la Fécondité», face à la Mer de poussière du même nom. Un lieu prédestiné, pour lui qui y avait eu six enfant de deux mariages différents. De sa première épouse, il avait eu un fils unique, qui seul l'avait suivi dans son exil. Sa seconde femme avait dû supporter deux grossesses forcées pour atteindre son quota familial de trisomiques. Mais elle lui en avait, fort heureusement, pondu trois autres qui faisaient sa fierté. 

Sa femme partie voir leur fille à l’autre bout de la base, il en avait profité pour barboter quelques temps avec sa maitresse-androïde et pour la regarder, que dis-je, pour la contempler avec avidité, pendant que celle-ci s’ébrouait dans le bassin ovale qu’il avait fait construire tout contre la paroi protectrice du dôme. Une touche de sable fin et une rangée de palmier venait parfaire le décor.

Assis au bord de la piscine, les pieds dans l’eau, le Général se caressait l’entre-jambes, le regard perdu dans les plis et divines rondeurs de sa créature qui ondulait sous les remous bleutés. La sonnerie d’urgence de son oreillette se déclencha. C’était une version électronique de Beethoven. Il se connecta, se remit debout, secoua les muscles de son fessier nu pour en faire tomber le sable, puis éjecta les derniers petits grains collés à sa peau du bout des doigts. Il était pudiquement vêtu d’un simple string noir. Un fin duvet gris remontait jusqu’à son poitrail. Tout son corps était sculpté à la mode body-building, car il voulait pouvoir se regarder dans la glace sans honte quand il faisait l’amour à sa maitresse ou à sa femme.

Il se saisit de la télécommande prise dans la lanière de son string et la retourna d’un petit geste acrobatique dans le creux de sa main. Il replaça sa longue mèche noire sur son front, puis s’approcha du diffuseur emboité sur son socle au centre de la bulle. Le visage de son interlocutrice apparut devant lui, à hauteur de ses yeux. C’était une très charmante trisomique. Il s’horrifia soudain à l’idée de lui trouver une jolie petite moue, presque appétissante.

- Bonjour, ma belle ! Donnez-moi le secteur 15, poste 11012 ! dit-il sur un ton doucereux.

- A vos ordres, mon Général !  répondit l'officière qui disparut aussitôt avec un grand sourire.

Bon sang, il ne les supportait plus ! Il espérait, maintenant, ne pas tomber sur un de ses propres descendants. Parce qu’au fond de lui-même, et ils avaient beau faire partie de sa famille, il en avait vraiment trop honte. Pour dire la vérité, il les détestait de toute son âme. Il redoutait par-dessus tout d’être confronté à l’un de ses fils ou pire, à l’un de ses frères. Pour les premiers, il pouvait toujours mettre ça sur le dos de sa femme, alors que pour ses frères, il ne pouvait pas nier provenir du même «panier». Ce fut le Lieutenant Haribo…

L’officier trisomique semblait avoir un peu de mal à se concentrer, à la fois sur son écran et sur les paroles du Général .

- Alors, mon garçon, comment t’appelles-tu ? 

- Lieutenant Haribo, quinzième section, mon Général ! 

- Détends-toi, mon petit, on a une minute devant nous. Te fais pas de bile, tu as fait ce qu’il fallait ! 

Il secoua les jambes l’une après l’autre, puis opéra une génuflexion avant de reprendre :  


- A partir de maintenant, tu dois faire très attention à ne pas tuer l’otage. Je confirme que c’est un civil. Alors, plus d’infrabasses pour lui. Tu as compris ? 

- Oui, mon Général ! 

- Et pour l’auton, je veux que tu t’en débarrasses au plus vite, c’est la plus dangereuse ! Je compte sur ton intuition mon garçon, pour trouver le bon chemin et atteindre la cible. Mais pas de bavure, hein…! 

Si la mission échouait à cause des civils, il avait encore une chance de récupérer la Mutante grâce à la vigilance de ses mercenaires. Bien que ces derniers soient plutôt du genre à la lui revendre par petits bouts. 

- Bonne chasse, Lieutenant. Terminé ! dit-il en tournant le dos au diffuseur holographique.


Le Général D’Arko se mit à réfléchir. Que risquaient-ils ? Evidemment, très gros ! Ils ne pourchassaient pas, là, un vulgaire mercenaire de banlieue qui les aurait entourloupés. C’est l’Union Civile qu’ils affrontaient dans ce combat. Il leur fallait être les plus rapides. Rattraper la "Mutante" était la priorité.

Ils avaient, pour l’instant, toutes les chances de réussir. Les escadrons de soldats-androïdes talonnaient les fugitives qui se dirigeaient têtes baissées dans le piège qu’il leur tendait. Et si cela ne suffisait pas, il tenterait, alors, un ultime assaut, quitte à enfreindre toutes les limites autorisées.

Il répugnait à faire assassiner un civil et ne pouvait s’y résoudre malgré l’enjeu de la mission. Il allait donc falloir la jouer serrée. Il ne désirait nullement terminer sa vie en exclu si la chance basculait du côté des Civils. Le plus simple était que les frères Chbebenski fassent le boulot. Si le civil y passait, il n’en serait pas responsable. Il se méfiait fortement des patrons du "Voie Lactée", mais il connaissait leur force de frappe et n’envisageait aucune autre solution. Ces deux vermines étaient sa seule réelle chance de réussite.



La "Mutante" était, tout compte fait, un de leurs meilleurs atouts. Ils avaient commis l’erreur de ne s’intéresser qu’aux xénomorphes, jusqu’à vouloir l’éliminer intégralement, alors qu’elle était la Mère, l’origine, la quintessence même de cette race à part. S’ils la laissaient s’échapper, les civils auraient tôt fait de l'utiliser à leur profit pour les anéantir. 

Une fois revenue entre leurs mains, la "Mutante" deviendrait une arme très persuasive. Les troupeaux de xénomorphes et de mutants qui en naitront, finiront vite par avoir raison des velléités de conquête et de colonisation des Civils. L’espace leur fichera la trouille durant encore des millénaires. Eux, qui ne voulaient déjà pas affronter les maladies chroniques et leurs désagréments auxquels tous les militaires de l’espace étaient confrontés… à se demander, d’ailleurs, pourquoi lui-même subissait tout cela, au lieu de retourner sur la Terre.



Vaste question, renvoyant à l’égo, à l’orgueil, aux sentiments de pouvoir et de domination, à l’instinct animal, à l’esprit de conquête. Une question qui finalement ne se posait plus, puisque la "Mutante" allait leur permettre de s'en affranchir. Et même s’ils n’étaient pas les grands gagnants de cette lutte incessante, ils allaient pouvoir continuer à défendre leurs territoires et à s’étendre jusqu’aux frontières de la Galaxie.

 

Fin du premier épisode.

Second épisode : http://lesmainssansmaitre.blogspot.fr/2015/08/eternity-alien-5-second-episode.html


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