Alien 5 Eternity (cinquième épisode)

 



  
                                                                  
CHAPITRE N°4

    Zoom, sur la Terre. Sur les côtes bordant l’océan, sur les monts et vallées, sur les immenses étendues de champs et de forêts quadrillées qui les recouvrent, sur les canaux qui les irriguent. Sur la Cité, plantée au milieu. Sur les interminables buildings transparents qui s’élèvent au dessus des nuages. Descente vertigineuse, d’étages en étages, au travers des parois et sols en diamantine illuminés. D’un balcon bulle vers un salon au mobilier à sustentation. D’un bureau à une cuisine. D’un vestibule à une galerie marchande. D’un restaurant à une salle de ciné. D’un jardin suspendu à une piscine géante pleine de gamins jouant avec des dauphins. On passait d’un couple endormi dans la douce intimité de sa bulle opaque à une foule de consommateurs attablés pour l’apéritif sur une vaste place intérieure. De la tranquillité d’une étude à la clameur d’un stade bondé. 
    Formant des strates, les quartiers d’appartements s’intercalaient entre les complexes culturels, sportifs, universitaires et récréatifs, les galeries marchandes, les parcs et les promenades. Où qu’ils soient, et bien que parfaitement isolés de l’extérieur, les habitants de la Cité avaient toujours l’agréable sensation de se trouver au dehors, à l’air libre. Une subtile climatisation naturelle leur apportait un air sain et riche en oxygène, du plus profond des sous-sols jusqu'au dernier étage de la plus haute des tours. Un ingénieux système de puits et de réflecteurs leur envoyait assez de la lumière extérieure pour qu’ils en bénéficient. Telle était la Cité. La vie y était si facile que des millions de citoyens n’avaient même jamais daigné quitter la tour qui les avait vus naitre.  
    D’où il était, le professeur Foller apercevait un large pan de la Cité. Les gigantesques dômes en diamantine, serrés les uns contre les autres et blanchis par le soleil de midi, s’étalaient sous ses yeux comme un paysage de collines enneigées. Aucun autre édifice, plus haut que celui dans lequel il se trouvait, ne se dressait entre lui et le vaste horizon qu’il contemplait. Il regardait sans la voir l’interminable chaîne de montagnes qui émergeait des nuages, par-delà la Cité. Debout, face à la large baie vitrée, absorbé par de sombres pensées, Foller attendait que le Gouverneur des Amériques le reçoive.
    Une paroi coulissa sans bruit dans un coin de la salle d’attente. Un androïde en uniforme se présenta à lui et parla sur un ton monocorde :
- Professeur Foller ! Le Gouverneur vous attend !       
    Edward Foller pénétra dans le vaste bureau. Assis dans un fauteuil de cuir, dos à lui, un homme de bonne corpulence fumait un cigare en regardant le paysage. D’épaisses volutes parfumées montaient vers le plafond, instantanément aspirées par des évacuateurs de fumée parfaitement silencieux.
- Entrez, Professeur ! Pardonnez mon retard, mais le conseil a duré plus longtemps que prévu ! dit le Gouverneur, en faisant pivoter son fauteuil.
- Asseyez vous ! Êtes-vous tenté par un cigare aux vertus médicinales ? Une pure merveille… Vous sentez ? Le haschich et le tabac sont roulés à la main. C’est autre chose que les vaporisateurs… Désirez-vous boire quelque chose ? Un rafraichissement ? Un remontant ? Bon, alors…! Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il avant d’aspirer une grosse bouffée de fumées enivrantes.
    Foller était assis en face de lui de l’autre côté du bureau. La lumière du jour se reflétait sur la surface de bois vernis et l’éblouissait. Une fois de plus, il se sentait humilié.
- Je sollicite l’appui du Gouvernement ou, au moins, une faveur, si ce n’est trop lui demander. Je pense mériter mieux qu’une retraite anticipée. J’ai formé Lady Ripley durant un an et elle se croit, déjà, en droit de prendre ma succession. C’est insensé. Elle me vole mes meilleurs assistants. Elle séquestre mes données informatiques. Elle a aussi créé un comité de soutien populaire pour se faire élire à la tête de mon propre labo et c’est un véritable raz-de-marée. J’aimerais savoir ce que je peux attendre de vous en contrepartie. Je sais que vous avez grand besoin d’elle, et que je plaide en vain pour ma réhabilitation. Si je ne peux garder la direction de mon service, j’espère, au moins, obtenir un nouveau poste au sein du Gouvernement et pouvoir, ainsi, continuer à le servir dignement comme je l’ai toujours fait ! 
- Mais bien entendu, mon cher ami ! Si vous pensez ne pas supporter une retraite anticipée. Nous vous trouverons une fonction des plus gratifiantes, rassurez vous ! Il est vrai que vous auriez du mal à retourner la situation en votre faveur. Même nous, ne le pouvons pas…! Le peuple a confiance en Lady Ripley. Ses arguments ne manquent pas de pertinence et il serait bien inutile d’essayer de la déstabiliser. Nous ne pouvons que laisser faire et prendre sur nous. Votre aide nous aura été précieuse et le Gouvernement a bien l’intention de vous récompenser pour cela. Si  l’expérience réussit et qu’elle devient la Mère de ces clones, vous en deviendrez le Père historique. Gloire et honneur retomberont aussi sur vous ! 
    Foller resta dans l’expectative. Le gouverneur saisit le verre d’alcool posé sur son bureau pour en siroter une gorgée, puis il raviva son cigare avant d’ajouter :
- Je ne vous conseille pas de saisir la Justice si jamais vous en aviez l’intention. Il y a sa plainte qui vous pend au nez. Tout cela pourrait très vite prendre de l’importance...! 
    Le professeur réagit aussitôt :
- Je me contrefiche de cette plainte. Il n’y a aucune preuve…! Moi, je vous parle de compétences et je compte bien la trainer devant les tribunaux pour qu’elle me rende mon labo. Ne serait-ce que pour retrouver mon honneur. Moi aussi je pourrais témoigner de son comportement. D’autant plus que j’ai été son complice. Elle a oublié de vous dire qu’elle a tenté de me corrompre en m’invitant à laisser la mutation évoluer jusqu’au bout…!
    Le gouverneur ne le laissa pas continuer.                     
- Et elle fait bien de le cacher…! C’est de vous, dont il est question, Professeur. Pas de Lady Ripley…! Vous n’aviez pas à accepter sa proposition, d’ailleurs. Attaquez-la, si ça vous fait plaisir, pour l’honneur, comme vous dites, mais sans aller plus loin…! Vous n'avez aucune chance de retrouver la direction de votre labo, mais je peux, par contre, vous proposer un poste à hauteur de vos compétences. Vous n’avez pas à vous inquiéter pour cela…! Au fait, mon cher ami, vous qui l’avez côtoyée d’assez près, dites-moi donc ce qu’elle nous cache d’autre sous sa toge qui a pu vous rendre si imprudent ! Ne me dites pas, tout de même, que c’est pour son côté extra-terrestre…! 
    Foller sentit sa paupière droite se tétaniser. Il fixa le gouverneur d’un regard un peu fou, tentant d’empêcher que son œil se mette à trembloter dans son orbite.
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    Quelques mois plus tard, après avoir engagé un procès contre Lady Ripley, le Professeur Foller, isolé dans un petit salon du Palais de Justice, attendait la sentence avec nervosité. Son insupportable tic le fit soudainement cligner de la paupière droite. D’un geste brusque, il se couvrit l’œil du plat de la main et appuya dessus du bout des doigts. Au même instant, la porte coulissait derrière lui. Un androïde avança de trois pas dans la salle d’attente et annonça :
- La cour va rendre son verdict. Veuillez me suivre, Professeur Foller ! 
    Foller se retourna et suivit l’assesseur androïde. Il pénétra le premier dans la salle du tribunal. La majorité de l’audience était composée de journalistes et autres représentants de la société civile. Pour le reste, des scientifiques et des responsables gouvernementaux, ainsi que de nombreux curieux, assistaient au procès.  Foller s’assit derrière son avocat dans l’indifférence générale.
    Lady Ripley entra dans le prétoire sous les ovations. Les juges de la Cour, plus tolérants que d’habitude et tout autant subjugués par l’imposante présence de la "Mutante", la regardèrent descendre les quelques marches menant à la tribune blindée qui l’isolait du public avec une certaine admiration. Lady Ripley balaya la salle d’un regard et d’un sourire pour saluer l’auditoire, les juges et les avocats.  
    Le professeur Foller attendit que l’ordre et le calme soit revenu pour applaudir à son tour, d’un air condescendant et obligé. Il frappa très ironiquement des mains jusqu’à s’en rendre ridicule.
    La "Mutante" répondit à la provocation par un sourire, puis fit face à la Cour. Malgré son impressionnante stature, malgré l’incroyable transformation de son squelette et plus particulièrement celle de son crâne oblong... pailleté d’or pour l’occasion... malgré la puissance phénoménale qui émanait de sa personne, elle réussit à garder une attitude pleine d’humilité. Debout dans sa longue toge de drapés immaculée, les mains posées sur la rambarde, elle ressemblait, pourtant, plus à une déesse de l’Antiquité qu’à une citoyenne venue réclamer ses droits devant la Justice.  
    Le premier juge observa l’audience d’un bref coup d’œil, puis se saisit de l’arrêté pour le lire. La feuille claqua dans le silence de mort du prétoire :
- Monsieur Foller Edward, levez-vous ! Citoyens, citoyennes, après délibérations, au vu et entendu de tous les arguments et preuves que les deux parties ont fait valoir, la Cour, par la présente décision de justice, déboute le Professeur Edward Foller de sa plainte et la juge irrecevable. Par conséquent, la Cour autorise Lady Ripley, puisque ses compétences le lui permettent, de rester à la tête du laboratoire de recherche qui lui a été attribué par le gouvernement. La séance est levée !
     Aussitôt, les applaudissements retentirent, ainsi que quelques bravos épars lancés par des fans. Les juges se levèrent dans un bel ensemble et tout le monde suivit le mouvement.
    Le Professeur Foller se pencha vers son avocat pour le remercier de ses efforts, s’avouant, lui-même, vaincu d’avance et endossant toute la responsabilité de la défaite. Il avait, au moins, lavé son honneur et ça lui suffisait. 
    L’auditoire peinait à se diriger vers la sortie. Les journalistes présents et des curieux, dont, certains s’étaient hissés, debout, sur les bancs, restaient sur place pour observer la "Mutante" jusqu’à la dernière seconde. Parmi eux, Nico, qui, lui, se faufilait dans le public pour se rapprocher de Foller. Voyant ce dernier prendre congé de son avocat, le jeune homme leva un bras en l’air, puis se mit à gesticuler et à sautiller pour attirer l'attention du professeur. Il força le passage, zigzagant entre les gens en agitant la main, et parvint, enfin, aux abords de la tribune, une seconde avant que Foller n’en franchisse le seuil. D’une voix légèrement suraigüe, il lui lança :      
- Professeur ! 
    Foller se retourna en haut des marches et reconnut aussitôt Nico, un de ses meilleurs assistants, débauché, comme toute son équipe, par sa remplaçante. Il lui fit un petit signe de la main, haussa les épaules et sourit en signe de dérision, pressé de disparaître.
    Nico se contenta de sourire au professeur, et en quelques gestes tenta de lui signifier que toute l’équipe l’attendait au dehors pour le saluer.  
    Le fait est que Foller préférait éviter les épanchements hypocrites et maladroits de ses ex-collègues qu’il aurait pu qualifier de bande de traîtres. Il était bien inutile de leur dire le fond de sa pensée. Il répondit par la négative, secouant imperceptiblement la tête et esquissant une moue de dépit, puis, il plongea son regard dans celui du jeune homme pour lui réitérer son salut. L’échange fugace lui rafraichit soudain la mémoire. Il se souvint, alors, par quelle sorte de passion le beau Nico était habité. Ils restèrent un instant, les yeux dans les yeux. Le jeune assistant eut un pincement au cœur et sentit le désir l’envahir subitement. Foller lui fit son plus beau sourire avant de disparaitre.     
    En un éclair, Foller venait d’échafauder un terrible scénario dont le pauvre Nico allait être la première victime. Arrivé au bout du couloir, il avait déjà imaginé, dans ses moindres détails, le déroulement de son infâme projet. L’amour que semblait lui porter son ex-assistant lui offrait l’occasion d’une magnifique et extraordinaire vengeance. Il jubilait en pénétrant dans la petite salle d’attente. La lumière du soleil lui mit, encore, du baume au cœur.
- Bonne journée, Professeur Foller. N’oubliez pas vos dossiers et autres effets personnels ! lui rappela l’assesseur-androïde en repartant.
    Foller s’approcha de la cloison opaque et luminescente qui le séparait du public, puis d’un simple effleurement de la main la rendit entièrement transparente. De l’autre coté, dans le hall du tribunal, la foule s’amassait en groupes bien distincts de journalistes impatients, de curieux indécis et fébriles, de membres du gouvernement aux airs condescendants et de scientifiques aux avis partagés. Les journalistes se pressaient, déjà, autour des deux avocats. Le professeur fit coulisser la paroi en diamantine et sortit.
    Il chercha tout de suite son ex-assistant dans la foule éparse et l’aperçut près de l’entrée de la salle d’audience, avec d’anciens collaborateurs et collaboratrices. Leurs regards se croisèrent. Foller mit assez d’intensité dans le sien pour signifier son intérêt, puis se dirigea vers l’attroupement de journalistes qui cernait les deux avocats.
- Messieurs, dames, autant vous adresser directement à l’intéressé, puisque le voilà…! s’exclama l'avocat du professeur.
    Sans attendre, un des journalistes se précipita vers Foller et lui tendit son portable sous le nez :
- Professeur, allez vous faire appel de la décision du tribunal ? 
- Bien sûr, que non ! J’ai dit tout ce que j’avais à dire. J’espère, maintenant, que Lady Ripley saura mener à bien ce que j’ai commencé ! 
   Une jeune femme lui demanda :
- Votre plainte a-t-elle un lien avec un conflit d’intérêt impliquant les membres du gouvernement… ? 
- Vous avez trop d’imagination, ma petite…! Le gouvernement n’a rien à voir là-dedans. Il n’y a pas, non plus, de conflit personnel comme il l’a été suggéré. La cause de mon éviction est due à un manque de confiance maladif qui rend Lady Ripley légèrement paranoïaque. Sa méfiance pourrait paraitre indécente au regard de la confiance que nous lui accordons, mais je préfère mettre cela sur le compte de la maladie. Comme vous, elle craint que certains d’entre nous soient au dessus des lois et puissent en profiter...!     
- Qu’allez vous faire, maintenant ? demanda un journaliste.
- Je vais, évidemment, continuer mes recherches sur l’a.d.n humain et prendre mes fonctions à la direction des Offices de Contrôle. Il n’est pas exclu que je collabore indirectement aux expériences mutagènes de Lady Ripley...! 
- Pensez-vous que ces expériences représente un risque pour l’Humanité ? reprit le jeune journaliste.
- Savez-vous, jeune homme, le nombre de risques que nous prenons tous les jours, et ce dans de nombreux domaine, pour faire progresser la Science ! Ce n’est qu’un de plus parmi tant d’autres…! Voilà, c’est tout ce que j’avais à dire. Je vous remercie de m’avoir entendu...!
    Foller se retourna vers son avocat.
- Je vous laisse, Maître…! 
    Nico déboula devant lui et se précipita à sa rencontre en lui tendant la main, un timide sourire aux lèvres.
- Bonjour, Professeur. Je ne veux pas vous déranger. Je voulais juste vous dire à quel point j’étais désolé et, aussi, que toute l’équipe allait vous regretter !   
- Je te remercie de ton soutien, mon petit Nico ! dit Foller, en prenant la main du jeune homme dans la sienne.
Heureusement, il se souvenait de son prénom.
- Tu vois, c’est toi qui m’a convaincu de ne pas fuir comme un voleur. Je me sens moins seul. Tu leur diras, à tous, que j’apprécie leur soutien et que je leur souhaite bonne chance !
    Il avait deux, trois secondes pour mettre son plan en branle. Il posa son autre main sur le poignet gracile du jeune homme et planta, à nouveau, son regard dans le sien. Nico avait l’habitude de soutenir le regard des hommes. L’intensité que Foller mit dans le sien ne lui laissa aucun doute. Il sentit la délicate emprise se relâcher et les mains du professeur se retirer doucement en effleurant la sienne d’une furtive caresse. Il balbutia :
- Bonne chance… à vous… au nom de toute l’équipe ! 
- Merci à vous, tous. Et merci à toi, Nico ! dit Foller avec le plus de sincérité possible. 
    Nico le regarda s’éloigner avec l’espoir de le voir se retourner une dernière fois sur lui. Foller ne manqua pas de le faire et le gratifia d’un regard soutenu et sans équivoque. 
                                                                      
CHAPITRE N°5

- Il est tard, Nico. Tu peux t’en aller si tu veux. Je finirai seule...! dit Lady Ripley sans se retourner.
    Le regard de Lady Ripley était rivé sur l’hologramme qui tournoyait lentement devant elle. Elle plongea en quelques clics au cœur d’un tronçon d’a.d.n. Le labo était plongé dans l’obscurité et les lueurs colorées du diffuseur illuminaient faiblement son visage.
  Nico se frotta les yeux du bout des doigts en soupirant. Il était ganté et vêtu d’une fine combinaison blanche qui le recouvrait des pieds à la tête. Devant lui, affichés sur l’écran holographique, s’alignaient des caractères par milliers. Il se leva, s’approcha d’une des cloisons du labo et posa la paume de sa main sur la paroi. Aussitôt, une pâle lumière éclaira la pièce.
   Lady Ripley, assise dans son vieux fauteuil en merisier, le corps drapé d’une étoffe immaculée, observait son jeune assistant. Il allait ouvrir la bouche pour la saluer et lui souhaiter de bonnes fêtes quand elle se mit à parler :   
- Approche-toi, Nico…! Donne-moi ta main...! 
    Le jeune homme s’approcha sans hésiter. Lady Ripley lui prit la main et la posa à plat dans la sienne, paume contre paume, puis elle la recouvrit maternellement de son autre main.
- Que c’est agréable…! murmura-t-elle.
   Nico était tout près d’elle et il sentait son odeur épicée, un peu âcre et acidulée. Un froid glacial traversa très vite la fine pellicule latex de son gant. 
    Lady Ripley, les yeux fermés, souriante, goûtant avec bonheur le chaleureux contact, le garda ainsi durant quelques secondes.  Mais elle avait besoin d’encore plus. Elle releva la tête et trouva le regard clair et un peu triste de Nico. Elle l’attira à elle, le forçant à s’agenouiller, puis elle lui retira son gant de latex sans s’arrêter de caresser la peau nue qui apparaissait. Elle ferma les yeux et posa doucement la paume offerte et les doigts si fins de son assistant sur sa joue en les pressant tendrement. Elle avait la peau douce mais glacée, blanche comme la neige et aussi dure qu’un masque de cire.
    Le bras tendu, légèrement penché vers elle, Nico se tenait à quelques centimètres du visage de Lady Ripley, inspirant doucement les effluves de sa respiration. Il la regarda faire, n’éprouvant aucun dégoût, ni aucune crainte, et observant les très visibles changements qui s’étaient opérés depuis la dernière fois. Il la trouvait splendide malgré l’étrange mutation qui la transformait. Le renflement de ses tempes, aussi large et épais qu’une racine d’arbre, courait le long de son crâne pour se perdre dans l’énorme proéminence sclérosé qui lui couvrait la nuque. À l’arrière de ce bulbe organique, de cette coiffe pharaonique allongée et formée de trois anneaux de chair soudés entre eux, sa collerette translucide s’épanouissait, étirée comme une voile de jonque sur de longues arêtes blanchâtres.  
    La Mutante s’attarda un moment pour profiter de cette paume tendre et apaisante qui lui chauffait la joue. Enfin, elle se redressa et plongea son regard noir dans celui de son assistant. 
- Montre-moi comme tu es beau ! lui dit-elle sur un ton très maternel en lui retirant sa capuche.
    Nico était d’une rare beauté androgyne et, malgré ses trente ans, avait encore des airs d’adolescent asexué. La Mutante balaya quelques mèches baladeuses qui tombaient sur le front du jeune homme, puis lui caressa le visage des deux mains, glissant du bout des doigts le long de ses tempes brûlantes, de ses joues lisses et fermes, effleurant le bord de ses lèvres.   
- J’aurais tant aimé avoir un fils comme toi. Aussi beau et doué que tu l’es ! 
    Nico rougit subitement, gêné par le compliment et en même temps fier et heureux de l’honneur que Lady Ripley lui faisait. Il n’aurait pas renié sa mère pour autant, mais se sentait soudain très proche d'elle. Il ne savait plus quoi dire. Après un court silence, celle-ci reprit :
- Tu es le seul en qui je peux avoir confiance, Nico. Je le vois dans tes yeux et c’est pour ça que je t’ai choisi. Tu es comme un fils pour moi…! Et je ne dis pas cela pour que tu te sentes obligé de supporter mes petites manies ! 
- Oh, mais c’est tout-à-fait supportable…! la rassura t-il.
- Je ne veux rien t’imposer, à ce sujet-là. Mais ces moments me font tellement de bien que je ne saurais comment y renoncer…!
-  Disons que je fais, ainsi, partie de votre psychanalyse…! 
- Je vois que tu lis aussi dans mes pensées…! Les psychologues qu’on m’inflige sont une calamité et ils se fichent tous du secret professionnel. Au contraire…! Ils rapportent toutes leurs analyses au gouvernement dès qu’ils sortent d’ici. Ils espèrent en vain que je leur livre le fond de ma pensée, mais pour cela il me faut un véritable confident… et je veux que ce soit, toi...! 
- Moi…?! Mais… je ne sais pas...! Je n'ai jamais su garder un secret...! 
- Allons, allons...! Je t’accorde toute ma confiance, mon cher enfant...! Et ce ne sont que des confidences entre amis. Je ne te demande pas de garder un secret-défense. Je veux juste te parler de moi…!  Ce que j’ai à t’avouer n’a rien à voir avec nos recherches. Je le cache à mes psychologues pour éviter qu’ils se fassent des idées. Ce qu’ils cherchent à savoir je vais te le dire…! Assieds- toi...! Tu peux poser ta tête sur mes genoux si tu veux…! 
   Nico hésita une seconde, puis fit ce que Lady Ripley lui suggérait. Cette dernière se mit à lui caresser le front d’une manière très maternelle.
- Tu dois bien te douter que la mutation que j’ai subi a pu avoir des conséquences sur mon esprit et sur mon inconscient. Eux aussi s’en doutent…! Et ils ont raison, car je suis vraiment en train de changer. La mutation s’attaque maintenant à ma mémoire. Je ne peux pas dire que ma personnalité en soit affectée; je me sens devenir, non pas quelqu’un d’autre, mais quelqu’un de plus…! J’ai toute ma mémoire mais de nouveaux souvenirs apparaissent; des choses un peu cauchemardesques s’y installent peu à peu. Le pire, tu vois, c’est que même si je sais pertinemment d’où je viens, j’ai maintenant la sensation d’être une étrangère et de venir d’autre part. Je ne me sens plus complètement humaine…! 
    Nico releva la tête et croisa son regard.
- Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te dévorer tout cru, aussi appétissant sois-tu….! Disons que je ressens toujours cette appartenance à l’Humanité, tout en reconnaissant mes vraies origines…! Je ne sais pas comment cela va évoluer et je ne veux pas m’en inquiéter tant que les symptômes n’ont aucune conséquences sur mon comportement. La seule chose qui m’inquiète vraiment, c’est de ne pas m’en apercevoir. Cette chose que j’ai en moi cherche certainement à prendre le dessus et je n’ai déjà plus la volonté de m’y opposer. Quand elle aura réussi à le faire, il sera trop tard ; elle se taira et ne se dévoilera plus jamais. Je t’en parle tant que cela est encore possible...!          
- Vous pouvez retarder le processus, voire le bloquer, peut-être ! 
- Bien sûr que je le peux, mais je ne le veux pas. Je le ferais si j’étais encore moi-même, mais je n’ai plus le contrôle de ma volonté. Elle s’en est emparée dès le début…!   
    Nico se redressa soudain.
- Vous voulez dire que ce n’est pas vraiment vous qui agissez. Que c’est cette chose qui me parle…!    
- À l’évidence…! Je ne vais pas le nier. Je ne suis plus que sa porte-parole ! 
- Je ne peux pas le croire. Vous vous moquez de moi. Vous essayer de me faire peur ! 
- Tu as peur…?! 
- Non, je ne crois pas…!  C’est juste difficile à croire ! 
- C’est pourquoi je préfère le taire...! Ils auraient vite fait de diagnostiquer une schizophrénie aigüe et de m’envoyer en cure. Le gouvernement y trouverait matière à m’affaiblir. C’est donc à toi que revient la responsabilité de me surveiller. D’empêcher que l’instinct de cette chose ne supplante le mien et ne me force à commettre l’irréparable…! La Génétique nous promet de grandes choses mais elle peut aussi devenir la pire menace qui soit. De terribles dérives sont à craindre avec le clonage de mutants et je ne veux pas en être responsable…! Tu me seconderas dans toutes mes recherches, tu contrôleras chaque expérience et tu auras accès à toutes mes données. Tu seras mon ange-gardien, ma bonne conscience au cas où celle-ci disparait tout-à-fait…! C’est toi qui donneras l’alerte. Est-ce que tu penses pouvoir le faire...?      
- C’est beaucoup de responsabilités et je ne sais pas si je mérite la confiance que vous m'accordez, mais je veux bien essayer…! 
- Tu es un ange. Je te remercie, mon cher enfant…! Cela me rassure de te savoir à mes côtés. Bon, allez...! File maintenant...! Quelqu’un doit t’attendre au dehors...!
    Lady Ripley glissa, une dernière fois, les doigts dans les boucles de sa chevelure satinée, en lui souriant, se pencha sur lui et déposa un baiser appuyé sur son front.
    Nico regarda Lady Ripley avec la folle envie de lui sauter dessus pour l’embrasser à pleine bouche. Il lui prit la main et y déposa un baiser plein de ferveur. Il se releva au bout de quelques secondes, gêné de s’être ainsi laissé emporter, et se dirigea vers la sortie. Il pensa à prendre un gant en passant devant le distributeur pour l’enfiler sur sa main nue, puis il tapa le code d’ouverture et la porte coulissa sans un bruit. Le jeune homme se retourna vers Lady Ripley qui le regardait en souriant d’un air maternel. Fallait-il qu’elle ait confiance pour le laisser partir avec de l’a.d.n mutant incrusté sous ses ongles et dans les plis de ses lèvres.
- À la semaine prochaine, alors…! Bonsoir...! dit Nico en remettant sa capuche.       
- Bonsoir, Nico…! Passe de bonnes fêtes ! 
- Oh, excusez-moi. J’allais oublier…! Bonne année à vous aussi...!
                                                                                 
    Nico se retrouva dans le couloir qui menait à la salle de nettoyage. De chaque coté, une paroi en diamantine le séparait des deux laboratoires de clonage qui à cet instant étaient plongés dans la pénombre. À l’intérieur, des petites lueurs rouges clignotantes s’alignaient tout du long. En y regardant de plus près, on pouvait apercevoir les cylindres de croissance accélérée serrés les uns contre les autres, et à travers leurs cloisons transparentes, les silhouettes des premiers clones en sommeil, enveloppés d’un faible éclat de lumière. 
    Arrivé au bout du couloir, Nico pénétra dans un sas et se dirigea vers l’une des portes situées face à lui. Il entra dans un petit cabinet surchauffé et, là, se dévêtit entièrement. Une à une, il jeta ses affaires dans la corbeille à pesage et finit par les gants qu’il laissa tomber nonchalamment, bras tendu, sur le tas de vêtements. Un signal retentit et, aussitôt, le casier se retourna lentement sur lui-même, envoyant le tout au fond de l’incinérateur. La combinaison se consuma en moins d’une seconde. Nu comme un ver, Nico fit les quelques pas qui le séparait de la cabine de douche. Les cloisons étaient parsemées, au sol comme au plafond, de minuscules gicleurs pointés sur lui. Bras en croix, il supporta patiemment les séances de jets gélifiés et de rinçage. Le séchage fut plus agréable. Il passa ensuite à l’étape du scanner, puis à la lumière bleue du détecteur d’a.d.n. Le portique amovible le balaya de ses rayons colorés des pieds à la tête. Tout fût contrôlé, jusque sous les ongles et presque cheveu par cheveu.    
    Le jeune homme sortit du dernier sas de contrôle et se retrouva dans un long couloir, face à une enfilade de porte. Il entra dans la première, tapa son code sur le boitier de commande fixé à la paroi, puis attendit quelques secondes en les égrenant dans sa tête. Prévenu par le léger déclic du monte-charge, il tendit le bras juste avant que le bip ne signale le dépôt de ses chaussures et de ses habits du matin, lavés, pliés et repassés. Le panneau dissimulé s’enfonça de quelques centimètres dans la cloison, puis coulissa sur un côté pour dégager l’ouverture. Nico sortit le paquet du casier et entreprit de se rhabiller.
    À la sortie de la cabine d’habillage se trouvait le vestiaire commun, lumières éteintes. Une des parois diffusait, néanmoins, une pâle lueur blanche qui se reflétait sur le sol fluorescent. Le jeune assistant avança dans la pénombre, entre les rangées de placards. Tout était silencieux. Il entendait seulement le frottement de ses pas sur le sol. Le rythme lui donna soudain l’envie de danser. Il se mit à rouler des hanches et à se dandiner dans l’étroit passage, tournoyant sur lui-même. Mélangeant les pas de valse à des poses de jazz et de funk plus sexy. Il dansa ainsi jusqu’à l’allée principale en terminant par une triple girouette. Et soudain, un bruit… Il s’arrêta net. Resta un moment immobile, puis, rassuré, entamant une série de déhanchements langoureux et de ralentis suggestifs. Même vêtu comme il l’était, avec un style plutôt masculin, sa silhouette évoquait celle d’une superbe jeune femme parfaitement galbée. La forte lumière des plafonniers le figea de surprise dans une attitude des plus féminines. Bras croisés sur la poitrine, les genoux légèrement fléchis, il affichait une moue provocante.
    Ian Horst, le Monsieur Sécurité de Lady Ripley sortit au même instant d’entre les rangées de vestiaires.
    Nico se trouva nez à nez avec lui et sursauta sous l’effet de la surprise. 
- Ah, cest vous...! Vous m’avez fait peur…!   
- Ah, bah… c’est mon métier ! répondit Horst, d’un air goguenard. Celui-ci ôta son oreillette et la glissa dans sa poche de pantalon.
- Vous partiez…? lui demanda Nico. 
- Ah, non… J’arrive. Je passe les fêtes, ici. J’en profite pour faire une grande inspection… C’est bientôt, le grand jour, n’est-ce pas !
- Un peu après les fêtes, si tout va bien ! 
- Eh, oui… Les esprits s’échauffent et je dois redoubler d’attention. D’ailleurs, je t’ai à l’œil, mon petit ! dit-il en lui faisant un clin d’œil.
    Le jeune assistant le suivit dans son jeu :
 - Ah…! J’ai pris ma douche...! Et il fit le geste de montrer pattes blanches en prenant un air irréprochable. 
    Horst se marra un peu. Puis, après un silence, pensif, il murmura :
- Je la plains, la pauvre…! 
    Nico, un brin gêné, ne put que acquiescer.
- Bon, allez…! Prends tes affaires, mon garçon, je te raccompagne...!

CHAPITRE N°6

    La fête battait son plein au sein de la Cité. De nombreux quartiers s’étaient mis en quatre pour accueillir leurs visiteurs et pour les amuser. Foller déambulait dans l’un d’eux, le plus décadent de tous, à la recherche de Nico. Voilà des mois qu'il hantait les lieux, aussi discrètement que possible, dans l'espoir d'une rencontre fortuite avec son ancien assistant.
    Dans la "rue", ou plus précisément le long des promenades qui desservaient ce quartier de la Cité, les chars à paillettes et à franges défilaient lentement, accompagnés de musiques tonitruantes, secoués de soubresauts plus ou moins amples selon les énergumènes qui se trouvaient dessus. Tous se déhanchaient, virevoltaient et sautaient en l’air, en proie à l’extase. Ils étaient heureusement protégés des chutes par une barrière de sécurité électro-magnétique, qui les renvoyaient gentiment d’où ils venaient quand ils s’en approchaient d’un peu trop près. Certains hurluberlus en profitaient pour se jeter contre avec force, pour rebondir et revenir à fond dans le pogo dont ils s’étaient éjectés.      
    Trop décalés pour Foller qui espérait ne pas découvrir Nico perché sur un de ces chars à sustentation en compagnie de folles déjantées. Il le cherchait parmi la foule, fouillant les alentours du plus loin qu’il pouvait en espérant que celui-ci ne croise pas son regard inquisiteur s’il le rencontrait. Il croyait l’apercevoir, là, riant avec une bande de camarades, ou encore, là-bas, hélé à la terrasse d’un café par une connaissance. Un peu plus tard, il crut le reconnaitre, au coin d’une rue, en plein baiser, lové entre les bras musclés d’un homme bien plus âgé. Il comprit son erreur quand le jeune homme reprit son souffle, l’air conquis. Il erra ainsi quelques heures en suivant les défilés de chars, perçant la foule du regard, tout en redoutant que quelqu’un découvre son identité. Il se regardait, parfois, dans le reflet d’une vitre pour se rassurer. Sa barbe de trois jours, ses lunettes stylisées, son faux piercing discrètement collé à son oreille et, surtout, son crâne rasé et lissé de frais, le rendait presque méconnaissable. Pas très sexy, certes, mais pas complètement laid, et même, un poil macho. 
    Fatigué de marcher, Foller s’arrêta dans un bar, s’assit en terrasse et commanda un cappuccino bien serré à un des serveurs-androïdes. Il régla immédiatement sa consommation en scannant sa carte bancaire sur le flanc de celui-ci. Il sirota longuement son café en inspectant chaque visage, chaque silhouette qu'il aperçevait, mais sans plus vraiment y croire. Et soudain, il entendit crier « Nico…! ». Il se tourna aussitôt dans la direction d’où le cri avait été lancé. De nombreux passants se promenaient. Il remarqua une belle blonde qui se dirigeait vers un petit groupe de femmes qui attendait à l’entrée d’un cabaret. Une jeune fille fendit se jeta au cou de la nouvelle venue et l’embrassa sur la bouche. 
    Le professeur un peu interloqué, se détourna illico. Du coin de l’œil, il vit la petite bande s’engouffrer à l’intérieur du cabaret et disparaitre. Cherchant ailleurs, il crût à nouveau reconnaitre son ancien assistant dans la démarche et l’allure d’un éphèbe aux cheveux roux. Il se leva et partit aussitôt à sa poursuite. Il comprit, quand il fut assez près de lui, qu’il était vain de chercher ainsi, au hasard des rues. Des Nico, il y en avait des centaines qui allaient traverser le quartier toute la nuit. Il décida d’arrêter là ses recherches et de trouver un endroit où diner.  
    Le pub était bondé. Foller s’installa au bar et commanda une demi-bouteille de vin plus quelques babioles à grignoter. Le serveur-androïde déboucha la bouteille et lui remplit son verre qu’il déglutit aussitôt en deux, trois gorgées avides. Le professeur soupira d’aise et se reversa la même chose. Puis pivotant avec son tabouret à sustentation, une sorte de frisbee en forme de cul, il but tranquillement son vin en regardant à l’extérieur.
    Il sursautait de temps en temps, chaque fois qu’il voyait une tête rousse apparaitre au loin, dans la rue. Il s'ennivra gentiment, sans bouger de sa place, sans rien boire d’autre que du "vin rouge français". Les heures passèrent et il finit par se retrouver face au bar, la tête dans les mains, à réfléchir à un autre plan pour attraper sa proie. 
  Minuit arriva sans qu’il s’en rende compte. Il fut même surpris du nombre de clients qui remplissaient la salle du pub quand ceux-ci débutèrent en choeur le compte à rebours :
- Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un, ZERO…! YEAAAH…! BONNE ANNÉE…! 
    Foller émergea de ses rêves de revanche, reprit ses esprits et commanda une coupe de champagne, pour faire comme tout le monde. Il la bût avec lassitude.
- Vous n’avez pas l’air de vous amuser, on dirait…! Vous trinquez ! l’interpella soudainement une très jolie femme au visage androgyne. Celle-ci tenait, déjà, une flûte de champagne entre ses jolis doigts manucurés sertis de faux ongles vernis de noir.
- Heu…! Oui bien sûr ! Bonne année…! répondit-il, décontenancé et un peu gêné.
- Bonne année…! Je peux m’asseoir...?
- Si vous voulez…! J’allais partir…! »
- Partir maintenant, alors que la fête commence...! Vous n’allez pas jouer les solitaires à un moment pareil, alors qu’une jolie femme vous aborde...!  
- Je ne sais pas…! 
- C’est peut-être moi que vous espériez…! 
- Ça aurait été avec plaisir…! Mais, en fait, je n’attends personne. J’étais juste venu profiter de l’ambiance et il est temps que je rentre. Tout ça, ce n’est plus de mon âge ! prétendit-il.   
- Votre âge…? Oh, quelle  importance…?! 
   Une charmante jeune femme blonde, aux grands yeux verts, les interrompit soudain.
- Professeur…? Professeur Foller…? 
   Le professeur se retourna et crut reconnaitre la jeune femme blonde qu’il avait entrevue quelques heures auparavant dans la rue en train d’embrasser une autre jeune fille, mais sans en être vraiment certain.  « Merde…! Qui c’est celle-là. Comment elle me connait ? » pensa-t-il.
- C’est vous, Professeur…!? réitéra l’éblouissante beauté.
- Peut-être…! À qui ai-je l’honneur ?
   Il fut superbement étonné par la réponse de la jeune femme. Jamais, il n’aurait pu le reconnaitre.
- C’est moi…! Nico ! 
   Foller ouvrit de grands yeux ronds et sourit bêtement. Ce qui fit instantanément rire Nico et rendit l'autre jalouse.  
- Place à la jeunesse…! s’exclama cette dernière en levant son verre avant de s’éclipser.
- Nico…!? s’exclama Foller.
   Ce dernier perdit brusquement l’équilibre, tapant du coude sur le comptoir, en voulant se redresser, incapable de cacher son émotion. Le hasard faisait bien les choses dès que l’on ne comptait plus dessus. Nico se précipita pour le retenir.
   Foller se trouva face à six paires d'yeux rehaussés de longs cils voluptueux et parsemés de paillettes scintillantes. Il reconnût la jeune fille qui avait embrassé Nico. Celle-ci semblait être la concurrente à éliminer s’il voulait appliquer le plan qu’il s’était fixé. Tant pis pour elle. Il ne pouvait laisser échapper une telle occasion.
   Il arrêta son regard sur Nico et lui fit un grand sourire sans équivoque. Le trouvant, d’ailleurs, incroyablement plus belle en femme qu’au naturel. Il ne savait plus trop sur quel pied danser, tout-à-coup, sentant le désir s’emparer de lui. Il s’accrocha à l’avant-bras du jeune homme, serrant doucement les rondeurs graciles de sa chair et se mit debout en disant :
- Je crois que j’ai un peu trop bu ! 
    Celle qui l’avait accosté auparavant se mit à fouiller dans son mini sac à main en lui répondant :
- S’il n’y a que ça qui vous tracasse...!
    Elle dégaina une cigarette électronique encore emballée, vérifia la couleur de l’embout et lui tendit gracieusement en ajoutant :
- Tenez ! Avec ça vous ne ferez plus votre âge… Ça va vous dégriser ! 
    Le professeur se saisit de la cigarette, se tourna vers Nico d’un air indécis, comme s’il avait besoin de son consentement, puis tenta maladroitement de libérer l’inhalateur de son emballage.
- Laissez-moi faire…! proposa le jeune homme.
   Nico cisailla le sachet d'un coup d'ongle, puis demanda :
- Vous n’avez jamais essayé ? 
   Foller répondit par la négative, d’un sourire embarrassé. Il regarda les doigts fins et habiles tirer la cigarette de son étui de plastique, observant à la dérobée l’exquise féminité des contours et des traits de son ex-assistant. Leurs regards se croisèrent à nouveau, prêts à fusionner. Foller vit en un éclair les évènements s’enchainer les uns derrière les autres. Il retourna la cigarette dans tous les sens, faisant mine de ne pas en connaitre le fonctionnement.
   Nico sourit gentiment et fit exactement ce que Foller attendait de lui. Son ex-assistant lui reprit la cigarette des mains, tira sur le filtre du bout des ongles pour allumer la cigarette, puis la porta à sa bouche. Il aspira une première bouffée du bout des lèvres, ses grands yeux verts plantés dans ceux du professeur et dit en lui soufflant la fumée à la figure :
- Je suis sûre que ça va vous plaire !
    Puis il lui tendit l’inhalateur. Du rouge s’était déposé sur le filtre et la marque de ses lèvres y était parfaitement visible. Foller y apposa les siennes, puis tira une longue bouffée de vapeurs essentielles.
   Les regards qu’ils se lançaient, cette cigarette et leur salive qui se mélangeait, tout cela avait profondément irrité la jeune Emma, qui finit par perdre son calme :
- Bon, tu viens…! 
   Nico se retourna vers elle, exaspéré.
- Je vous rejoins, ne m’attends pas…! 
    Emma resta immobile et jeta un regard méprisant à son concubin. Elle toisa ensuite Foller de haut en bas, puis répondit :
- Je t’attends, alors dépêche toi…! 
- Si tu y tiens…! Laisse-moi au moins lui souhaiter la Bonne Année !   
   Nico se retourna vers Foller, les yeux pétillants, et lui tomba littéralement dessus. Il passa ses bras légers autour de son cou, lui susurra "Bonne Année !", puis posa ses lèvres brûlantes sur les siennes.
    Foller "la" laissa faire sans réagir, pressant doucement les lèvres offertes de Nico et inspirant sa douce haleine. Ils restèrent ainsi, un instant, s’effleurant du bout des lèvres, les yeux dans les yeux. Le jeune homme, conquis, soupira d’aise, et reprit l’inhalateur que le professeur tenait entre ses doigts pour en aspirer une bouffée.
- Vous restez faire la fête avec nous, Professeur ! dit-il en lançant un regard provocateur à sa "fiancée" et en entrainant Foller avec lui.
    Emma ferma brusquement son visage, leur tourna le dos et disparut dans la foule.
  Foller, extatique, suivit Nico. Il répondit avec lui aux accolades chaleureuses des clients et sa présence au côté du jeune travesti réfréna les ardeurs de certains fêtards un peu trop entreprenants. Un sentiment de fierté envahit le professeur à l'instar du séducteur exhibant sa nouvelle conquête. 
    Les amies de Nico se trouvaient autour d’une table à sustentation, à rire des mauvaises blagues de trois mâles hyper sportifs qui les avaient invitées à trinquer avec eux. Le champagne coulait à flots et les coupes débordaient. Une des jeunes femmes s’étonna de l’absence d’Emma en apercevant Nico et Foller, main dans la main.
- Et Emma…! Où est-elle passée...?
- Elle est sortie prendre l’air…! répondit Nico en s’installant à la table avec le professeur.
    Pas besoin de lui faire un dessin, la petite piquait encore une crise de jalousie. La jeune femme se leva et quitta précipitamment le pub pour rattraper Emma.     
    Nico était collé au professeur. Leur mains se rejoignaient parfois en une timide caresse tandis qu’ils écoutaient d’un air rêveur les discussions et les blagues tout en sirotant leur coupe de champagne ou en suçotant leur inhalateur. Peu de temps après, la petite peste réapparut en partie consolée par sa bonne amie, et fut accueillie par des applaudissements et des sourires réconfortants. Elle trouva vite sa place, captivant sans délai l’attention des trois beaux mâles qui invitaient. 
    Le brouhaha des discussions s’évanouissait dans les éclats de rire, quand tout à coup, Foller entendit les paroles qu’il attendait.
- Et si on allait terminer la soirée dehors…! À l’extérieur, je veux dire !
   L’approbation fut quasi générale et l’excitation monta d’un cran. Seul, un des trois mecs body-buildés s’y opposa.      
-  Vous voulez dire du côté des exclus…! J’suis pas du voyage ! 
    La déception fut elle aussi unanime et un « OH ! » de reproches fusa aux oreilles du récalcitrant. Comme il fallait bien contenter les deux parties, Foller proposa :
- Si vous êtes d’accord… 
   Il s’arrêta pour questionner Nico du regard, puis reprit :
- Vous êtes tous invités dans ma villa !  Le silence se fit interrogatif et il dut ajouter : Au bord de la mer...! 
    L’ovation surpassa ses attentes. La salle entière se retourna sur eux. Nico souriait, peut-être un peu déçu de ne pas s’y retrouver seul avec lui, mais heureux de l’intention.
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    Dans le taxi-bus qui les menait tous à destination, le calme s’était installé. La plupart des invités somnolait en contemplant l’horizon courbe, bercés par le défilement de l’étendue océanique et le ronronnement du moteur magnétique. Une certaine indécence régnait à bord. Quelques couples et ménages à plusieurs s’étaient formés et se bécotaient en riant, sans autre excès. Foller et Nico, assis face à face, genoux contre genoux, parlaient doucement entre eux, le visage collé au hublot.
- Moi, je trouve que ça vous va bien. Ça vous donne un petit coté baroudeur…! Surtout sans les lunettes...!   
     Le professeur avait envie de rire aux éclats. Il n’avait jamais pensé que cela serait aussi facile et qu’en plus il y prendrait du plaisir. Il se passa le plat de la main sur les joues pour se frotter les poils de la barbe et répondit :
- C’est vrai…! Ça me change de mes costumes et de mes habitudes étriqués. C’est comme une seconde peau !
    Puis, il se remit à fixer l’océan étincelant.
- Tiens regarde, les voilà…! dit-il à Nico.
    Le jeune homme aperçut les îles à l’horizon et les regarda grossir à vue d’œil.
- C’est magnifique ! dit-il, admiratif.
    Foller contempla le jeune homme, son profil, son cou élancée, les mèches blondes qui ondulaient sur sa peau velouté. Il le vit rougir et se remit alors à observer le paysage avec lui.
  De son côté, la pauvre Emma, jalouse et humiliée, cherchait vainement à capter l’attention de son amant en faisant du gringue à l’un des trois sportifs qui les avaient suivis dans cette virée improvisée.   
_

    Une minute plus tard, ils atterrissaient directement sur la plage et tous les invités descendirent de la navette en criant leur bonheur, sautant à pieds joints dans le sable encore chaud. Les «filles» retirèrent leur bottines et leurs chaussures à talons puis s’égayèrent sur la rive pour s’amuser dans l’écume des vagues. Les trois sportifs se désapèrent illico, s’arrachèrent presque la chemise et plongèrent dans la mer avec des hurlements, à la grande joie de ces "dames". Foller se tourna vers eux et cria :
- Profitez du coucher de soleil, j’en ai pour une minute !
    Foller gravit la dune au pas de courses jusqu’au terre-plein, avala les escaliers sans effort, puis traversa la terrasse avant de disparaitre dans l’ombre de l’imposant balcon qui surplombait l’entrée de la villa.
    Foller s’arrêta devant la lourde porte de bois blindée à double pan, tapota son code et posa son doigt sur la languette de détection. Le déverrouillage s’opéra instantanément. Le vestibule s’illumina automatiquement quand il pénétra dans la maison. Il referma derrière lui, puis se dirigea, aussitôt vers une porte dissimulée sous la charpente de l’escalier, qu’il ouvrit en tapotant un code sur le clavier mural. La paroi coulissa et il descendit précipitamment par un petit escalier en colimaçon qui menait au sous-sol. Il alluma les lumières, puis traversa la cave dans toute sa longueur à grandes enjambées. Dissimulé derrière une vieille armoire à étagères, qu’il déplaça en la faisant glisser sur le sol, se trouvait son petit laboratoire secret. Il l’avait, lui-même, creusé dans la roche. Il lui fallut encore taper son code et apposer son index sur la petite languette qui venait de basculer sur un côté du détecteur. Son A.D.N, ses empreintes et ses pulsations sanguines furent immédiatement analysés, puis un pan du mur recula avant de pivoter vers l’intérieur pour lui ouvrir le passage. Il s’engouffra dedans.
    À l’intérieur tout était blanc étincelant. Un cylindre de clonage et un tas de machines étaient stockés dans un coin du labo. Des dizaines de bidons de couleurs différentes s’amoncelaient au pied d’une haute étagère métallique. Foller fonça tout droit vers un meuble, ouvrit un des tiroirs et en retira un sachet contenant une seringue à biopsie.   

    Dehors, le soleil flottait sur un océan de flammes orangées qui tranchait avec le halo bleuté de la nuit. Toute la petite bande d’amis s’était regroupé sur le bord de la plage. Les trois boys ruisselants se dandinaient devant leurs admiratrices qui applaudissaient en riant. Les autres contemplaient les derniers instants du soleil couchant.       
    Quand ils se retournèrent, la villa brillait de tous ses feux et des petites lumières au sol éclairaient l’escalier qui menait à l’entrée. Le puissant éclairage qui embrasait les longues baies vitrées illuminait les alentours et la silhouette de Foller se découpait dans l’encadrement de la porte d’entrée.    
    Ils se mirent tous à marcher vers la villa, peinant et trébuchant dans le sable. Les filles remirent leurs chaussures à talons et leurs bottines en arrivant au bas de l’escalier. Toute la bande franchit les derniers mètres avec un air emprunt de solennité, ébahie par l’ampleur et la majesté de la demeure. Chacun et chacune fit les compliments d’usage au propriétaire, auxquels il répondit d’un "Faites comme chez vous...!" ou d’un "Heureux de vous accueillir...!". Emma fut l’avant-dernière à arriver et passa devant lui sans même lui lancer un regard.
    Interloqué par l’absence de Nico, il empoigna brutalement la jeune garçonne par le bras et lui demanda où il se trouvait. Emma grimaça de douleur et tenta de se défaire de son étreinte, puis, le fixant droit dans les yeux, lui dit avec un sourire en coin :
 - Vous inquiétez pas, il nage comme un dauphin !
   La petite salope ! Elle disait peut-être la vérité. Le professeur lâcha sa rivale et s’empressa de partir à la recherche du jeune homme.
- C’est moi qui devrais me noyer… ! marmonna Emma avec un air mauvais.
    Foller fut vite rassuré. Il découvrit Nico au bas de l’escalier, assis en train de se frotter le pied dans la lueur des éclairages. Sa jupe remontait sur ses cuisses fines et bronzées.
- Ah, c’est vous, Professeur…! J’ai une épine dans le pied…! 
   Foller descendit précipitamment les marches en faisant mine de s’inquiéter.
- Ça va, c’est pas trop grave…? Tu veux que je regarde ?
- La voilà...! Je l’ai retirée. Ça va aller…! 
    Nico se remit debout et se retint à la rambarde des escaliers pour pouvoir remettre ses chaussures à talons avec un minimum d’élégance.    
-  Au fait, professeur...! C’est quoi votre petit nom ? Vous ne me l'avez jamais dit...!
- Edward…! Un peu trop vieillot à mon goût...!
- Ah...? Je trouve qu'il vous va à ravir, mais je peux vous appeler Ed, si vous préférez...!
    Le jeune homme tendit la main pour se faire aider. Foller lui offrit son bras.
- Appelez-moi comme il vous plaira...! J'en serais très heureux... car finalement, il n'y avait plus que la Saint-Edward pour me le rappeler...!
-Eh bien, s'il n'y a que cela pour vous rendre heureux, je peux le répéter à l'infini...! Edward, Eddy, Eduardo, Ed l'épicier...!
    Foller et son ex-assistant gravirent les marches de l'escalier, bras dessus, bras dessous, en plaisantant et en tentant mutuellement de se séduire. Tous deux entrèrent dans la villa en riant.
    La musique était lancinante. Le salon était immense et entouré d'un balcon donnant sur l'océan. La lumière forte mais indirecte créait des ombres au design géométrique sur les murs. Le mobilier contemporain, sobre et élégant, était fait de matériaux précieux dont les surfaces irradiaient littéralement.
    Les amies de Nico avaient vite trouvé de quoi s'occuper et avaient investi les différents coins du salon. Deux de ses amies se pelotonnaient entre les bras musclés de leur cavalier. Deux autres, avaient vidé leur sac sur la table basse et rassemblaient tout ce qui pouvait servir en pouffant de rire. Pilules, recharges à vapeur, inhalateurs, quelques sachets de produits illicites dits toxiques, des sex-toys et des capotes en tous genres. Deux autres encore se dandinaient sur la musique en remplissant des verres avec différents alcools. La vilaine petite Emma s’était éloignée sur la terrasse du balcon, cloitrée dans son mutisme. Elle se tenait droite comme un piquet, face à la mer obscure, les mains agrippées à la rambarde. Auprès d’elle, le sportif qu’elle avait dragué était accoudé au parapet de diamantine et semblait lui parler.  
   Foller se devait d’accueillir officiellement ses invités. Il prit une mini télécommande qui trainait sur une commode et la pointa vers un des murs du salon. Aussitôt, sortant de son placard mural, un domestique androïde apparut et vint se poster devant lui.
- Messieurs, dames, je vous présente Han...! Demandez-lui tout ce qu’il y a de disponible, il se fera un plaisir de vous l’apporter ! 
    En livrée, parfaitement imité, l’androïde ressemblait à un être humain. Une des filles attablée releva la tête en reniflant. Elle s’essuya les narines du bout des doigts et demanda :
- Est-ce qu’il a toutes les options, ce charmant androïde ?
    Sa voisine se mit à rire un peu vulgairement.
- Je n’ai jamais cherché à le savoir ! Peut-être…? Il faut lui demander ! répondit Foller.    
- Je lui demanderai quand il aura un peu de temps…! En attendant il peut nous servir le champagne, n’est-ce-pas, Han !     
    Le domestique parla d’une voix douce et posée.
- Volontiers, mademoiselle !
    Puis, il s’ébranla en direction du bar.
- Allez ! Champagne pour tout le monde ! s’exclama Foller en s’approchant du zinc pour aider.
   Le professeur se retourna vers ses invités et reprit :
- Laissez-moi, d’abord, vous dire le bonheur que j’ai d’avoir retrouvé un véritable ami en Nico. Et le plaisir que vous me faites en ayant accepté mon invitation. Je le répète, vous êtes ici, chez vous. Des chambres d’amis sont à votre disposition. Faites ce que bon vous semble et ne vous occupez pas de moi...! 
    Pan...!!! Le champagne coula dans les coupes qu’il distribua à la ronde. La pauvre Emma s’était presque faite tirée de force jusqu’au bar par son prétendant qui essayait malgré tout de l’amadouer. Elle se fit méprisante. Refusa la flûte qu’il lui tendait et d’un geste brusque, attrapa la bouteille que le domestique androïde tenait dans la main. Elle tira dessus pour s’en emparer, puis fit demi-tour sur la terrasse sans lâcher un mot ni un regard à personne. La jeune rebelle se versa une partie du champagne sur la tête, puis se jeta dans une chaise longue pour boire le reste.
- Elle reprend ses sales manières de djeuns, la petite peste…! s’indigna l’une des filles.    
- Elle va se remettre…! Buvons à la nouvelle année et aux amours naissants…! À l’Amour...! s’exclama Nico en portant son toast.
- À l’Amour…! répétèrent-ils, tous, en chœur. Ils entendirent le fracas de la bouteille qu’Emma venait de jeter contre le sol.
    Ils finirent de boire leur coupe de champagne autour de la table basse, le nez dans la poudre, pour la plupart. Foller et Nico avaient opté pour quelque chose de plus soft. Les yeux dans les yeux, ils avalèrent chacun une petite pilule bleue. Nico alluma, ensuite, une cigarette électronique, inspira la vapeur avec volupté, puis la souffla au visage du professeur. Le jeune homme se leva soudain, tout excité, tira Foller par la main et lui dit : Viens ! Fais-moi faire le tour du propriétaire !
- Si tu veux ! répondit ce dernier. Et ils s’éclipsèrent…
   Voilà, maintenant, qu’ils commençaient à se tutoyer. Dans le vestibule, tous deux croisèrent le domestique qui revenait de la cave et qui remontait l’étroit escalier en colimaçon, un casier plein de bouteilles de champagne au bout de chaque bras. 
- La cave, comme tu peux le voir…! Je te ferai visiter une autre fois. Viens, suis-moi…! dit Foller, qui entraina Nico avec lui, le long d’une galerie illuminée.
    Les claquements de leurs talons résonnèrent sur le sol de marbre noir.
- Attends ! lui lança, soudain, le jeune homme en retenant le professeur. Puis, s’accrochant au bras de celui-ci et se cambrant légèrement en arrière avec l’élégance d’une femme distinguée, il remonta un mollet après l’autre pour ôter ses chaussures. Il murmura, ensuite :  "Je n’ai pas envie qu’elle nous suive...!" en parlant d’Emma.
    Ils repartirent sur la pointe des pieds. Foller lui montra, tout d’abord, la magnifique piscine et l’incroyable mosaïque qui en ornait les parois. Ils s’amusèrent à la traverser d’un bout à l’autre en marchant sur la diamantine transparente qui la couvrait de long en large. Puis ils passèrent par un petit bar à l’ancienne qui donnait, comme le bassin, sur la même grande cour intérieure. Suivirent, une imposante salle de gymnastique, un hammam et une salle de bronzage que Foller avait visiblement utilisés durant toutes ces années.
- Souvenirs d’une vie familiale bien remplie…! fit-il remarquer à Nico.   
- Heureusement révolue ! conclût ce dernier.  
    Ils s’engagèrent, ensuite, dans la pénombre d’une autre galerie pleine d’objets d’art alignés sur chaque côté, et de tableaux de toutes sortes exposés sur les murs. Le professeur alluma les lumières d’un claquement de mains. Tout de suite,  Nico s’extasia à la vue d’une anamorphose.
- Oh, mais c’est un Uga…! J’adore cette artiste !   
   Foller eut alors l’idée de jouer les romantiques.
- Si tu veux, je t’en fais cadeau…!  
    Le jeune homme allait se tourner vers lui pour refuser quand ils entendirent, au loin, un bruit de porte malmenée, puis un cri de colère désespéré qui leur parvint plus nettement.
- Nicooo…!!! 
    Ce dernier se figea une seconde. Il mit un doigt devant sa bouche et tira le professeur à lui. Tous deux reculèrent prudemment pour se dissimuler derrière une rangée de statues antiques et restèrent immobiles, collés l’un à l’autre. Foller s’empressa d’éteindre la lumière en claquant des mains. Le clair de lune et les éclairages de la villa qui éclairaient la cour intérieure, pénétraient à travers les larges baies-vitrées de la galerie et projetaient des ombres sur le mur. Le professeur et son ex-assistant attendirent dans la semi-obscurité, le souffle court, au milieu des corps de pierre dénudés et des anatomies offertes à leur regard. Des coups sourds résonnaient régulièrement, suivis à chaque fois du même appel de détresse : Nicooo…!!! 
    Et soudain, ils la virent apparaitre. Déboulant dans la cour en hurlant, Emma regarda tout autour d'elle avant de soudainement se ruer et se jeter comme une furie contre le vitrage de la galerie. Elle tapa dessus avec le poing, puis y colla son visage pour tenter de voir à l’intérieur, fouillant la pénombre de son regard éploré. Elle recula en titubant et se remit à gueuler vers le ciel étoilé :  
- Nicooo…!!!   
    S’enfonçant un peu plus dans l’ombre pour s’y cacher, Nico s’était collé à Foller et se tenait serré contre lui. Foller sentait battre le cœur de sa conquête et se sentait de plus en plus excité à l’idée de l’avoir à sa merci. 
    La pauvre Emma tournoyait sur elle-même au milieu de la cour intérieure, complètement éperdue. Au bout d’un instant, elle se laissa tomber sur les genoux et se plia en deux pour se frapper le front contre le sol.
    Nico finit par réagir. Il esquissa un mouvement, mais n’alla pas plus loin. D’un geste vif, le professeur l’enlaça entre ses bras pour le retenir et le ramena tout doucement contre lui, sans effort. Ils restèrent cachés, silencieux, dans l’attente d’un dénouement. Le jeune homme sentait le souffle chaud de son compagnon lui caressé le creux de l’oreille. Il ferma les yeux et posa la tête sur son épaule.
    Dehors, Emma s’était fait mal et avait cessé de se mutiler. Elle gisait à terre sur le côté, vomissant ses tripes. Son chevalier servant et une de ses marraines s’accroupissaient à l’instant même auprès d’elle pour lui parler. Emma agita un bras en l’air pour toute réponse, semblant leur demander de lui foutre la paix. Ils essayèrent de la convaincre, puis, se décidèrent, enfin, à la ramener dans la villa, de gré ou de force. Prostrée, elle se laissa d’abord emporter sans rien dire, puis finit par se débattre en criant à tue-tête.
- Nico…! Salaud...! Laissez-moi...!
    Retenue par la poigne solide de l'homme venu l'aider et par sa marraine, Emma ne résista pas longtemps et retourna avec eux à l'intérieur de la villa. 
    Nico et Foller, toujours immobiles dans la pénombre de la galerie, en soufflèrent de satisfaction. Un long silence s’installa et leur laissa le temps de mieux apprécier leur situation. La chaleur de leurs corps se répandait à travers leur peau et le tissu de leurs vêtements. Leurs chairs amoureuses s’écrasèrent un peu plus l’une contre l’autre et enfin, osant faire le premier pas, le professeur pencha un peu la tête et déposa un baiser dans le cou si appétissant du jeune homme. Puis un autre, et encore un troisième plus appuyé. Le voyant s’abandonner, il en profita pour le mordiller tendrement et pour le caresser moins timidement. Leurs mains brûlantes se rejoignirent.
    Nico se pâmait de plaisir et guidait les caresses de Foller en gémissant tout doucement. N’y tenant plus, soudain, il se retourna vers lui et lui fourra sa langue dans la bouche. Ils s’embrassèrent fébrilement durant de longues minutes, jusqu’à en avoir des crampes. Ils en rirent durant quelques instant. Puis ils recommencèrent, et leurs caresses se firent plus pressantes.
    Nico sentait le membre gonflé du professeur se durcir tout-à-fait sous l’effet de ses caresses impudiques et voulut passer à la vitesse supérieure quand il se trouva soudain gentiment repoussé. Le prenant par la main, le professeur murmura à Nico : Allons nous réfugier ailleurs…! 
    
_

    Emma se trouvait sur la plage et courait vers la mer en titubant. Elle s’arrêta brusquement et resta un moment immobile sur le sable durci de la rive. Elle se retourna une dernière fois vers la villa illuminée, respira un grand coup, puis s’avança dans l’océan. Une vague se brisa contre ses jambes et elle se mit à fendre l’écume en poussant de toutes ses forces sur le fond sableux. Le bas de sa petite robe se colla à ses cuisses, puis remonta peu à peu à la surface de l’eau comme une méduse morte. Emma plongea tête la première et disparut dans les flots, happée par le courant et la morbide tranquillité des profondeurs.     
_

- « Laissons éteint…! » disait Foller, au même instant, en faisant pénétrer son ex-assistant dans son refuge.
    La porte se referma derrière eux en coulissant sans un bruit. Les rayons du clair de lune passaient au travers d’un vieux store datant de l’antiquité et se reflétaient sur le bois vernis d’un bureau placé au milieu de la pièce. Le professeur s’empressa d’en faire le tour, alla jusqu’à la baie vitrée et commença à relever le store en tirant sur l’ancien mécanisme à ficelle. Nico s’approcha par derrière et enlaça le professeur par la taille. Puis il se mit sur la pointe des pieds pour regarder par-dessus son épaule et pour contempler l’océan avec lui, attendant que le désir reprenne à nouveau le contrôle de leurs sens. 
- Tiens, ils sont retournés sur la plage ! remarqua Nico en apercevant des lumières dans l’obscurité. Puis il ajouta : C’est quoi ce truc…? 
- Quoi, où ça !? demanda Foller
- Là-bas, dans l’eau…! Un truc blanc ! répondit le jeune homme en s’affolant un peu.  
    Intrigué, le professeur se saisit d'une antique longue-vue qu'il décrocha de son trépied, puis qu'il colla à son œil pour tenter de distinguer quelque chose. Il chercha un peu et soudain murmura : Merde…! 
    Il reposa précipitamment la longue-vue sur le bureau et appuya discrètement ses doigts sur sa paupière tremblotante. Il alluma une petite lampe posée sur le bureau avant de se retourner vers Nico :
- C’est Emma, je crois qu’elle a essayé de se noyer…! 
    Le jeune homme resta bouche bée, ses yeux verts grands fermés, écarquillés sur le vide. Il aurait aimé voir l’océan disparaitre avec Emma. Foller avait, déjà, attrapé les deux couvertures étendues sur son canapé et ouvrait la porte avec la télécommande. Il lui lança :  Viens…! Il faut aller voir ce qui s’est passé !  
    Le jeune homme se retourna, l’air absent, regarda sans la voir la statuette en bronze d’un xénomorphe qui retenait une pile de livre sur le bureau de bois vernis, puis le décor vieillot autour de lui avant de planter son regard éperdu dans celui du professeur. Des larmes mélangées au rimmel coulaient sur son visage. Foller ne résista pas à la tentation et revint le prendre dans ses bras. Il le serra contre lui et caressa les boucles blondes qui lui recouvraient la nuque. Il lui souleva tendrement le menton, essuya les stries noires sur sa joue ferme et veloutée, puis murmura :
- Reste là, si tu veux…!    
    Nico secoua la tête :
- Non, ça va aller...! Je viens avec toi...! 
                                                                          _             
 
   Tout le monde était descendu en catastrophe sur la plage et se pressait autour de la naufragée. Les filles affolées ne cessaient d’encourager son sauveur à continuer le bouche-à-bouche. Elles avaient couvert le petit corps dénudé avec leur jupe ou leur chemisier pour le réchauffer et se tenaient serrées les unes contre les autres, à moitié nues, trépignant d’angoisse dans le sable. Un des autres hommes de la bande essayait de les rassurer pour qu’elles se calment. Le troisième, agenouillé près d’Emma, tenait le fragile poignet de la noyée dans sa main et pressait la peau blafarde de ses doigts tremblotants, à la recherche d’un soupçon de vie. Le visage angélique d’Emma semblait si paisible. Ses paupières closes et sombres lui donnaient un air lugubre, encore plus triste. Son sauveteur, penché sur elle, en avait les larmes aux yeux. Son camarade l’encouragea.
- T’arrête pas… continue...! 
    Le pauvre reprit espoir. Il inspira un grand coup et insuffla un peu d’oxygène dans les poumons inertes de la noyée. Il compta les secondes, puis recommença à nouveau, encore et encore. Il entendit une des filles se mettre à pleurer, puis une autre s’exclamer : "Il faut appeler les secours !" Il n’eût, alors, soudain plus la force de continuer et s’écroula en pleurs. Prostré. Ses larmes pleines d’amertume tombaient en s’écrasant sur les joues blêmes et les lèvres entrouvertes de la petite morte.
- Pousse-toi, laisse-moi faire...! lui cria son compagnon en le bousculant un peu pour le faire réagir.
    L'homme se pencha au dessus du corps sans vie pour prendre le relais, posant parfois l’oreille sur la poitrine nue et froide de la malheureuse pour écouter les battements de son cœur. Il allait devoir faire cela jusqu’à l’arrivée des secours. Une idée plus radicale lui traversa l’esprit et, sans crier gare, il assena une baffe magistrale à Emma, qui... miracle... suffit à la réveiller. La miraculée ouvrit de grands yeux ronds, voulut inspirer une bouffée d’air frais et se mit instantanément à tousser en recrachant l’eau de mer qu’elle avait inhalée. Elle n’avait pas encore retrouvé toute sa conscience, qu’elle se jetait, déjà, au cou de son bienfaiteur pour l’embrasser... exclusivement avide d’amour. Ce sont les rires, les applaudissements et les cris de joie qu’elle entendit éclater autour d’elle, qui la reconnectèrent à la réalité.
_

    Foller eut très peur en apercevant un des hommes qui appelait de son portable. Il avait des couvertures sous le bras et tenait Nico par la main pour l’aider à descendre la dune. Ils n’étaient plus qu’à quelques dizaines de mètres de l’attroupement, quand ils les entendirent, tous, exprimer leur joie, à plein poumons. Ils comprirent, alors, que rien de grave n’était arrivé à la jeune fille.    
    Une des jeunes femmes vint à leur rencontre en les apercevant.    
- C’est gentil professeur d’avoir pensé aux couvertures. Laissez-moi vous débarrasser. Je leur rapporterai...! dit-elle, en les stoppant net. Puis elle ajouta en s'adressant à Nico :
- Ne  t'inquiète pas, elle va bien…! Et il ne faut pas t’en vouloir. Tu la connais, elle veut toujours se donner en spectacle...! Elle va vite s’en remettre, mais il vaut peut-être mieux qu’elle ne vous voit pas. On va vous laissez tranquille et rester sur la plage un moment. C’est mieux…! Ne vous en faites pas, ça va aller. Merci encore ! termina-t-elle, en désignant les couvertures qu’elle tenait à bout de bras.
    Elle leur envoya un petit baiser du bout des lèvres et s’éloigna en se dandinant dans le sable. Foller n’avait pas eu le temps de lui poser la question qui le tourmentait. Il cria :
- Vous avez appelé les secours…? Ce serait plus prudent…! 
    La jeune femme se retourna sans s’arrêter de marcher et répondit :
- Ce n’est plus nécessaire. Tout va bien…! Ne vous inquiétez pas !
    Foller savait que le moment était venu de mettre son plan en action.
- Si on allait profiter du calme qui nous est accordé ? proposa-t-il à son ex-assistant.
   Nico observait le petit groupe réuni autour d’Emma. La petite sirène était maintenant assise entre les bras musclés d’un de ses sauveurs et elle tenait sa tête posée contre l’épaule accueillante. Ce dernier lui séchait délicatement les cheveux à l’aide d’une serviette. Elle commençait à se décontracter et n’allait pas tarder à s’abandonner complètement. 
    Nico murmura :
- Elle ne perd pas de temps, celle-là ! 
- Viens…! Elle nous en a assez fait perdre comme ça ! conclut Foller en prenant la main du jeune homme.  
    Ils retournèrent à la villa en se serrant l’un contre l’autre.
_

    Nico, appuyé à la balustrade, sur la terrasse du salon, écoutaient les cris et les éclats de rire étouffés qui provenaient de la plage et lui parvenaient par instant, portés par une brise tiède. Il commençait à retrouver un peu de sérénité.
    À l’intérieur, Foller, soucieux du confort de ses invités et de sa tranquillité, ramassa tout ce qui trainait sur les tables, les canapés et les fauteuils, pour les rassembler dans un seau à champagne vide. L’androïde s’agitait derrière le bar, sortant boissons et encas du réfrigérateur pour les disposer sur un grand plateau de service. Le professeur revint verser le contenu de ses trouvailles au milieu des coupes et des bouteilles, puis ordonna d’apporter le tout sur la plage.        
    Il regagna le bar, déboucha une bouteille de champagne le plus silencieusement possible et sourit à Nico qui, malgré la musique, venait de se retourner en entendant sauter le bouchon. Pas de chance ! Foller dut jouer les maladroits et fit tomber une flûte de cristal sur le sol pour faire mine d’en ramasser les morceaux. Aussitôt accroupi derrière le bar, il sortit quelques pilules d’un petit tube. En avala promptement deux de couleur rouge, des amphétamines puissantes, et ficha les quatre autres, des somnifères de couleur blanche, dans la bouteille. Il balaya les morceaux de cristal du bout de sa chaussure, puis se releva.    
    Il sursauta en voyant Nico accoudé au bar, juste en face de lui, quelques mèches blondes en bataille et la joue posée au creux de sa main. Ce dernier le regardait amoureusement avec un grand sourire aux lèvres. 
- Tu ne préfères pas qu’on aille sur la terrasse ? lui demanda Foller.
- Si…! Je suis venu pour t’aider...! répondit Nico en saisissant deux coupes et en les faisant tinter délicatement l’une contre l’autre.
    Le professeur dissimula la bouteille sous une serviette, puis il attrapa le seau à glace pour la mettre dedans. Il suivit le jeune homme, appréciant un peu plus les courbes parfaites de ce corps d’éphèbe émouvant, si sexy. Subitement, Nico entama une série de pirouettes très joyeuses qui firent voleter sa robe et les menèrent jusqu’à la terrasse. 
    Le professeur posa le seau à champagne sur la table de fer forgé, et aussitôt, Nico lui tendit les flûtes sous le nez. La serviette blanche servit une fois encore à cacher les quatre petites pilules effervescentes qui tournoyaient au fond de la bouteille. Foller remplit les coupes, puis remit le champagne dans la glace.  
   Ils trinquèrent à leur bonheur et aux amours défuntes en se dévorant des yeux. Foller emplissait les coupes sitôt qu’elles étaient vides, doublant les doses destinées à Nico. Ils burent, se rapprochèrent et finirent par s’embrasser à nouveau. Du bout des lèvres pour commencer, puis avec fougue et passion.  Des cris de joie et d’émerveillement les interrompirent, soudain, dans leurs ébats, immédiatement suivis par une multitude d’explosions lointaines. Sur la côte opposée de la baie, un énorme feu d’artifices enflamma l’horizon.
    Heureux de cet intermède romantique si propice aux grandes unions, Nico se précipita à la balustrade pour admirer les incroyables effets d’optique et les jeux de lumière cosmiques qui s’épanouissaient dans le ciel étoilé. Foller ne manqua pas de le rejoindre. Tête penchée et lèvres offertes, le jeune homme s’abandonna aux caresses et aux baisers voluptueux du professeur. Des applaudissements et des exclamations leur parvenaient de la plage, au milieu des explosions. Nico goûtait son bonheur avec délectation. Et puis soudain, le vertige le fit vaciller.
    Foller sentit le corps du jeune homme peser entre ses bras.   
- Tu vas bien…?  lui demanda-t-il.
- Oui, oui…! Il faut que je m’assoie. C’est le champagne ! 
    Le professeur soutint Nico jusqu’à une chaise longue, puis l’aida à s’allonger. Confiant, le jeune homme passa les bras autour de son cou pour l’attirer à lui. Sans résistance, Foller se rendit à sa volonté et s’agenouilla près de lui pour l’embrasser. Tout de suite leurs deux corps s’entremêlèrent. Le jeune homme  frotta doucement sa cuisse frêle contre le membre durci du professeur et pressa sa bouche avide contre les lèvres qui s'abandonnaient. Il buvait la salive de Foller en gémissant et en se tortillant comme un ver sous la poigne impudique de son nouvel amant.  
    Le parfum de Nico enivrait les sens de Foller. Ce dernier écrasa sa bouche sur la douce petite poitrine pré-pubère du jeune homme pour la mordiller, attrapa ensuite ses deux petites fesses rebondies et les pressa fermement entre ses mains.
    Nico avait le souffle court. Une fois encore, un voile noir passa devant lui. Il respira plus fort, tentant de résister à l’ivresse qui lui faisait tourner la tête. Il ne fallait pas qu’il reste inactif. Il se redressa, repoussa Foller et se laissa tomber sur lui.
    Le professeur sentit les doigts fébriles farfouiller sa braguette un court instant, avant que la bouche humide de Nico ne s’écrase sur sa verge douloureuse. Le pauvre garçon ne finit pas ce qu’il avait commencé. Il s’écroula comme une souche et s’endormit subitement, la joue collé à la braguette entrouverte de son amant.  
    Foller repoussa le jeune homme, se remit sur son séant, puis observa les alentours, vérifiant que personne ne revenait vers la villa. Ses jambes étaient toute ankylosées et il sautilla deux, trois fois de suite sur la pointe des pieds en inspirant à grands coups pour se débarrasser des fourmillements et de son érection. La dose de somnifères qu’il avait bue l’engourdissait malgré les amphétamines qu’il avait prises pour en contrer les effets. Il dut faire un véritable effort pour porter Nico à l'étage jusqu'à sa chambre.   
    Il déposa le jeune homme sur son lit, referma la porte de la chambre à double tour, puis se rassit auprès du bel endormi pour souffler un peu. En partie relevée, la robe ultra moulante du jeune éphèbe donnait à voir des formes délicates ainsi que la courbure d’un très joli fessier. Foller se sentait frustré dans son désir et avait encore envie de toucher, de caresser la peau satinée qui s’offrait à lui. Il n’avait pas totalement pris en compte l’importance des pulsions sexuelles que son ex-assistant avait fait naitre en lui; un peu malgré lui, d’ailleurs. Son excitation ne retombait pas, et au contraire, allait croissant. La bosse que son sexe formait sous le tissu de son caleçon émergeait encore de sa braguette ouverte. Le sang affluait vers sa verge endolorie, rythmé par les saccades des battements de son cœur amphétaminé et par ses pensées érotiques. Il posa la main dessus, prêt à la sortir, à la brandir pour s’en servir, mais l’indécence du geste l’empêcha d’aller plus loin. Son plan machiavélique lui revint en mémoire.
   Il se força un peu pour se relever, prit le temps de refermer sa braguette, s’empara de la télécommande posée sur le petit meuble de chevet, alluma la lumière, puis mit de la musique. Il alla ensuite dans la salle de bain, se lava d’abord les mains avec précaution, enfila une paire de gants en caoutchouc, puis attrapa une boite cachée entre deux serviettes sur une étagère avant de retourner s’asseoir auprès de Nico.
    Le jeune homme ronflait de tout son soûl. Foller posa la boite sur le meuble de chevet et en retira un petit ciseau, un sachet en plastique, une compresse stérilisée et une seringue qu’il aligna avec précaution sur le dessus de lit.
    Il se dépêcha de mettre son plan à exécution. Il prit, d’abord, une mèche du jeune homme entre ses doigts, avant de se  rendre compte de son erreur. Il souleva la perruque blonde pour dégager les vraies boucles rousses du jeune homme et lui coupa quelques mêches qu'il mit dans un emballage; un petit sachet en plastique transparent qu’il scella et qu'il remit ensuite au fond de la boite.     
   Il s’empara ensuite de la seringue, de la compresse alcoolisée, et alla s’agenouiller aux pieds de Nico. Foller sortit l’aiguille de son étui plastifié, attrapa la cheville gauche du jeune homme, visa le talon, puis d’un geste sûr et précis, y enfonça la pointe en acier, juste à l’endroit ou ce dernier s’était planté une épine. Nico grogna dans son sommeil et essaya de dégager sa cheville de l’étreinte du professeur.   
    Foller attendit qu’il s’immobilise, puis que les ronflements se fassent à nouveau entendre. Il enclencha alors le corps de la seringue dans l’embout de l’aiguille et en tira quelques gouttes de sang. Un petit sourire vicieux, presque involontaire, s’étira le long de sa joue droite jusqu’à son œil malade et le fit cligner plusieurs fois de la paupière. Il ramassa ensuite les emballages, se dirigea vers un meuble-bar installé dans un coin de la chambre, puis ouvrit le compartiment réfrigérant pour y enfouir son butin.  

Fin du cinquième épisode. 
Sixième épisode : http://lesmainssansmaitre.blogspot.fr/2015/09/eternity-alien-5-sixieme-episode.html                                                                       

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