Alien 5 Eternity (dixième épisode)
CHAPITRE N°1
En partie exhumée de sa gangue de terre rouge, la Reine-xéno-morphe fossilisée ressemblait à une imposante sculpture en devenir. Le haut de son torse émergeait du monticule de boue qui l’avait si longtemps protégée. Sa lourde et imposante tête, en parfait état de conservation, était maintenue par la plus fantastique des collerettes. Cette dernière s’étendait comme un immense éventail à l’arrière de son crâne, remontait légèrement, puis se courbait vers le bas, en s’évasant toujours plus, pour former une large voûte. Elle se finissait par une couronne de longues arêtes effilées qui s’ancraient dans la terre.
Une fine brume de gaz verdâtre emplissait l’espace et s’élevait en volutes à l’intérieur de ce qui semblait être une caverne de terre cuite. L'édifice avait les dimensions d'une cathédrale. En y regardant de plus près, on apercevait les mouvements d’une multitude de petits robots-archéologues qui grattaient, aspiraient la terre, puis la transportaient pour l’évacuer. À certains endroits, des empreintes fossiles de xénomorphes et de leurs œufs étaient visibles. Des ossements de toutes sortes affleuraient de toutes parts, délicatement dégagés du passé par d'habiles petites excavatrices.
La brume, lentement aspirée par les conduits d’aérations, qui apparaissaient à chaque nouveau palier effondré et qui perçaient les parois circulaires de l’étrange construction, s’en échappait par le sommet, comme d’une cheminée, pour se fondre ensuite dans le brouillard qui régnait en maitre à l’extérieur.
Au dehors, balayée par les vents, une épaisse volute verdâtre s’étira au-dessus de la très ancienne Cité des xénomorphes et se déchira sur les hautes tours de boue pétrifiée qui se dressaient à perte de vue. Les immenses monticules érigés par les xénomorphes étaient rouges comme la brique, cuits par la fournaise des volcans qui les entouraient. Ils s’élevaient à plusieurs centaines de mètres d’altitude et s’étendaient sur des dizaines de kilomètres.
Des milliers de cités comme celle-ci s'égrénaient aux abords et tout au long de l'immense chaine de volcans qui cernait la planète. Les volcans encore en activité crachaient leur poison et le laissaient se répandre sur la planète Éternity au gré des vents depuis toujours. Les océans, noirs comme l'ébène, séparaient d'interminables plaines désertiques entièrement recouvertes de mousses désséchées.
La colonie s’était installée à l’endroit exact où, cent mille ans plus tôt, les extra-terrestres avaient débarqué. Des vestiges de leur base minière étaient encore apparents. Un imposant tarmac d’atterrissage, envahi par des mousses sombres, s’étendait sur des milliers d'hectares. Les restes de transbordeurs abandonnés, à peine discernables, le parsemaient de-ci, de-là. Des bâtiments étaient encore debout. L’un d’eux, un imposant monolithe aux façades sombres et striées par de longs renforts rectilignes était planté à la verticale, non loin du tarmac. Les deux autres, d’immenses hangars, semblaient n’avoir jamais été terminés. Leur ossature horizontale, à moitié enseveli, les faisait ressembler à des carcasses de baleines échouées. Les mousses desséchées recouvraient absolument tout. La terre durcie, les édifices abandonnés et tous les débris qui jonchaient l’ancien tarmac.
La silhouette lumineuse de la Cité Eterna se devinait au loin sur l'horizon. Comme par miracle, le voile de gaz, poussé par des vents contraires, se désagrégea et laissa apparaitre chaque détail de la Cité. Sept magnifiques gratte-ciel éblouissants de clarté formaient une muraille de lumière sur l’horizon. Plusieurs bâtisses, bardées d’échafaudages et de grues interminables, étaient encore en construction et étaient prises d’assaut par des centaines de robots-machines infatigables.
Au sommet de la plus haute tour et couronné par un invisible dôme de protection en diamantine, se trouvait un parc empli de verdure. Des arbres et des fleurs bordaient les quelques allées principales et les petits chemins qui menaient vers d’authentiques étangs chantants et colorés. Une lumière artificielle faisait office de soleil et palliait le manque de rayonnements naturels. Une ombre rassurante accompagnait toute chose et tout être comme par un beau jour d’été.
Une bonne moitié de la colonie s’était rassemblée en plein cœur du parc, sur la grande esplanade située au bord du lac, afin d’assister à une audience publique extraordinaire. Quelques retardataires se dépêchaient de gravir la colline verdoyante pour rejoindre l’assemblée. Les allées furent bientôt vides et silencieuses, car personne n’aurait osé s’y promener nonchalamment durant une audience de la Reine-Mère. La plupart des colons y assistait religieusement et les récalcitrants évitaient alors de se montrer aux alentours.
Quatre à cinq cents jeunes hommes et jeunes femmes, avec parmi eux quelques enfants et nouveaux nés, étaient venus ce jour-là pour écouter les doléances des uns et des autres et pour entendre la Reine-Mère. Tous les regards étaient posés sur elle, étincelant d’admiration et emplis de confiance. Tous, ou presque, en plus de l’immense respect qu’ils lui accordaient sans conditions depuis toujours, étaient en totale adoration à chacune de ses apparitions publiques.
Certains traits caractéristiques de leurs visages étaient strictement identiques à ceux de leur Reine-Mère et les liaient indéniablement à elle... à elle et à Lady Ripley. La proéminence des mâchoires et leur allongement harmonieux vers l’avant, le léger renflement des tympans en étaient la manifestation la plus évidente. Ils leur manquaient néanmoins les attributs organiques, physiques et biologiques qu’elle possédait en tant que Reine. Ce long crâne oblong, chauve et ambrée. Cette magnifique collerette dorée qui ornait ses épaules telle la couronne d’un dragon lumineux. Ce faciès quasi animal et empreint d’une infinie noblesse. Cette haute et imposante stature. Ces grands yeux noirs et luisants que chacun d’eux espéraient croiser du regard.
La Reine-Mère était assise au bord du lac. Sa longue toge noire aux multiples reflets cachait les difformités de son corps et recouvrait en partie le grand fauteuil qui lui servait de trône. Elle tenait un tout jeune garçon sur ses genoux et semblait lui conter une histoire, sourire aux lèvres. Une ribambelle d’enfants sages l’écoutait attentivement, assis en tailleur autour d’elle. Puis soudain, une cloche sonna :
- La séance est ouverte ! déclara le président d’assemblée.
Le brouhaha cessa aussitôt. Certains vérifièrent le bon fonctionnement de leur oreillette et de leur pad. Un assesseur débarrassa la Reine-Mère de son fragile fardeau et le rendit à ses parents. Le silence fut bientôt absolu et le président d’assemblée put reprendre :
- Messieurs, dames, chers concitoyens, l’ordre du jour de cette réunion extraordinaire est proposé par la société civile pour l’amélioration de l’environnement. Le sujet nous touche tous et nous avons à cœur de le résoudre. Vous exigez, très légitimement, une réponse sans délai, et vous l’obtiendrez. La première doléance sera exposée par le représentant de la dite société civile, Swan Borman. La parole est à vous !
Le président reprit place sur son siège, face à l’assemblée. Assis en arc de cercle, les enfants formaient un rempart symbolique tout autour de la Reine-Mère. Tous ces mignons petits visages la fixaient du regard avec le même air concentré et attentif qu’arboraient leurs parents. Un jeune homme se leva dans la foule. Il lança un bref coup d’œil vers la Reine-Mère et rencontra son regard noir étincelant. Le sourire bienveillant qu’elle lui adressa, apaisa ses craintes instantanément. Son cœur reprit un rythme régulier et ses pensées se remirent en place.
- Merci, Mère, d’avoir accepté la tenue de cette audience extraordinaire et de présider ainsi à notre destinée…! C’est la colère croissante de nos sociétaires et, au-delà, celle de tous les citoyens concernés, qui nous pousse, aujourd’hui, à exiger une prise de position sans équivoque de votre part. Nous estimons que le contrat de confiance passé avec "La Baronne" est rompu depuis longtemps et que les négociations en cours sont donc caduques. Nous savons pertinemment qu’en échange des espoirs qu’elle nous fait miroiter depuis le début, nous devrons lui donner encore et encore de notre liberté. Voilà sept ans que ça dure et pour nous, c’est bien assez…!
L'homme perdit une seconde le fil de ses pensées et jeta un petit coup d’œil discret sur son pad. Puis, il reprit :
- Sa contribution à la dépollution de la planète n’est qu’un leurre face à l’ampleur des dégâts qu’elle occasionne avec l’extraction de son minerai. Chaque solution qu’elle préconise est un pas de plus dans l’hypocrisie qui les caractérise, elle et ses congénères. La preuve en est, cet improbable projet, pour ne pas dire ridicule, qu’elle veut nous imposer. Comment croire à une telle absurdité. Qui peut prétendre maitriser les volcans et les forces infernales qu’ils recèlent...? Nous donnerions, une fois de plus, dix années de liberté en échange d’une chimère. Nous, sociétaires, nous ne le voulons pas, et nous disons, comme beaucoup d’autres le pensent, qu’il faut en finir avec cet état de faits. Nous préconisons l’arrêt total de la production de minerai tant qu’une solution efficace n’est pas mise au point. Et si, toutefois, "La Baronne" n’acceptait pas, nous attendons de vous, qu’elle y soit contrainte par la force si cela s’avérait nécessaire. Je le dis solennellement : pour nous, la guerre est déclarée…!
L'homme perdit une seconde le fil de ses pensées et jeta un petit coup d’œil discret sur son pad. Puis, il reprit :
- Sa contribution à la dépollution de la planète n’est qu’un leurre face à l’ampleur des dégâts qu’elle occasionne avec l’extraction de son minerai. Chaque solution qu’elle préconise est un pas de plus dans l’hypocrisie qui les caractérise, elle et ses congénères. La preuve en est, cet improbable projet, pour ne pas dire ridicule, qu’elle veut nous imposer. Comment croire à une telle absurdité. Qui peut prétendre maitriser les volcans et les forces infernales qu’ils recèlent...? Nous donnerions, une fois de plus, dix années de liberté en échange d’une chimère. Nous, sociétaires, nous ne le voulons pas, et nous disons, comme beaucoup d’autres le pensent, qu’il faut en finir avec cet état de faits. Nous préconisons l’arrêt total de la production de minerai tant qu’une solution efficace n’est pas mise au point. Et si, toutefois, "La Baronne" n’acceptait pas, nous attendons de vous, qu’elle y soit contrainte par la force si cela s’avérait nécessaire. Je le dis solennellement : pour nous, la guerre est déclarée…!
À peine finissait-il de le dire que déjà, il s’était rassit. Une brève et faible rumeur parcourut l’assemblée, puis le silence revint à nouveau. La Reine-Mère avait fermé les yeux. Elle les rouvrit lentement et plongea un instant son regard noir dans celui d’une enfant assis devant elle. La petite l’observait sans sourciller de ses grands yeux écarquillés et lui sourit. Le visage de la Reine resta de marbre. Elle finit de redresser la tête et s’adressa à la foule :
- Vous êtes franc et personne ne saurait vous en blâmer, mais je ne peux accepter de provocation raciste dans vos propos. Je veux bien mettre cela sur le compte de la colère qui vous anime et n’en ferais, donc, pas grand cas. Sachez néanmoins que de tel excès de paroles ne sont pas sans conséquences. Je vous ferais d’ailleurs remarquer, comme vous l’avez appris dans les livres d’histoire et de biologies, que malgré nos petites différences physiques, nous sommes tous issus d’un même ancêtre, et tous, héritiers de cette planète. Les Gaïahels sont nos frères. Et si, en effet, leur culture s’oppose à la nôtre, alors c’est à cela qu’il faut s’attaquer… ! Ceci dit, il est bien inutile d’entrer en guerre et j’ose espérer que vos dires dépassaient vos pensées…! Je n’envisage absolument pas d’utiliser la force contre Mlle Baron, quels que soient ses torts. C’est un risque que je ne prendrai qu’en cas d’attaque de sa part, et je sais que cela n’arrivera jamais. Nos forces alliées aux siennes ont toujours été un gage de prospérité, d’avancée et de paix. La Neutrinite est une nécessité absolue si nous voulons nous protéger des invasions et nous imposer au sein des Systèmes Intérieurs. Son extraction doit être maintenue et nous devons redoubler d’efforts pour la rendre totalement écologique. Il ne s’agit surtout pas de désespérer, mais plutôt de croire que cela est possible. Le projet de "La Baronne", comme vous la nommez, n’est certainement pas aussi absurde que vous le pensez. La maitrise des éruptions volcaniques est à notre portée. Les macro-sphères nano-élastiques ont un potentiel encore restreint, certes, mais les simulations prévisionnels nous laisse bon espoir, et ce en dépit des premiers tests effectués en réel, qui ont pu en décevoir certains…!
La Reine-Mère fit une pause, recentra ses pensées et reprit :
La Reine-Mère fit une pause, recentra ses pensées et reprit :
- Je ne veux négocier aucun délai. Que cela se fasse en cinq, dix ans ou vingt ans n’a pas d’importance. Nous maitriserons les volcans d’Eternity et nous nous promènerons, un jour, à leur sommet, en toute liberté. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour cela, mais nous y arriverons…! Ceci dit, je comprends votre colère et la frustration que vous pouvez ressentir face à un tel dilemme. Mais, si je dois me résoudre à négocier avec Mlle Baron en faveur d’un ralentissement de la production, je ne peux me résoudre à employer la force pour la contraindre à accepter…! Si, néanmoins, la majorité imposait l’arrêt de la production et l’emploi de la force à l’issue du vote, apprenez messieurs et mesdames les sociétaires, qu’avec l’accord des citoyens pacifistes, je détruirai l’armée avant de vous abandonner le pouvoir…!
Une femme se leva et se mit à crier dans son micro :
- Vous nous laisseriez à la merci des Gaïahels et de leur "impératrice"…!?
Elle se rendit soudain compte de l’impertinence de son intervention. Nombreux étaient ceux qui s’étaient retournés pour la regarder d’un air un peu surpris. Elle voulût reprendre. Malheureusement, les mots s’étaient enfuis de son esprit et elle resta bouche bée, très gênée, un peu tremblante, mais bien droite, face à la Reine-Mère.
Cette dernière lui fit un petit sourire pour la tranquilliser, et lui rétorqua :
- Ils ne vous laisseraient pas, à l’évidence, reformer une armée, mais soyez assurée qu’ils ne tenteraient rien contre vous…! Ce que je veux affirmer par cette avertissement, c’est que notre armée ne peux devenir un instrument de destruction, ni même de soumission. Elle n’est qu’un élément psychologique destiné à calmer nos peurs, si ce n’est à les effacer. Elle est inutile dans l’absolu. L’armée n’est pas la solution ! C’est au contraire, la communication, les échanges culturels, le dialogue et la réflexion qui pousseront les Gaïahels à changer leur attitude. Alors, ravalons notre rancœur, si légitime soit-elle, et continuons de construire l’avenir, ensemble !
- Un avenir sans horizon…! entendit-on dans le public.
Des visages intrigués se retournèrent en tous sens pour tenter d’apercevoir le contestataire. La Reine-Mère chercha, elle aussi, le mystérieux intervenant du regard, puis haussa les sourcils quand celui-ci se montra enfin. Elle avait pourtant reconnu cette voix si familière, celle de son premier assistant dont elle attendait l’intervention, mais elle feignit la surprise en découvrant le beau Ardan. Ce dernier se leva en balayant la foule de son regard paisible, comme pour la saluer, puis se planta face à la Reine. D’un geste de la main, celle-ci l’autorisa à prendre la parole.
Des visages intrigués se retournèrent en tous sens pour tenter d’apercevoir le contestataire. La Reine-Mère chercha, elle aussi, le mystérieux intervenant du regard, puis haussa les sourcils quand celui-ci se montra enfin. Elle avait pourtant reconnu cette voix si familière, celle de son premier assistant dont elle attendait l’intervention, mais elle feignit la surprise en découvrant le beau Ardan. Ce dernier se leva en balayant la foule de son regard paisible, comme pour la saluer, puis se planta face à la Reine. D’un geste de la main, celle-ci l’autorisa à prendre la parole.
- Je crains que la rancœur dont vous parliez ne soit en train de nous étouffer, Mère…! Sans délai, combien de temps devrons-nous encore supporter ce confinement forcé. Nous connaissons notre planète sous toutes ses coutures, sans toutefois pouvoir mettre un pied dehors. Nous espérons un paradis, mais nous ne voyons qu’un enfer de fumées et de laves, sombre et froid. Jusqu’où ira notre patience...? Allons-nous attendre comme les Gaïahels, résignés, que le suicide devienne une libération...? N’est-il pas temps, justement, de profiter du désarroi qui s’installe aussi chez eux, pour les pousser à la rébellion...? Une guerre est en effet inutile et ferait d’eux nos ennemis, alors qu’une révolte populaire nous en préserverait. "La Baronne" n’oserait pas s’opposer à son peuple et serait forcée d’abdiquer...!
Il sût à cet instant que l’assemblée, captivée, était à sa merci. Que l’intérêt qu’il avait suscité chez certains allait porter ses fruits. La Reine-Mère feignit l’intransigeance.
- L’idée n’est pas meilleure, mon enfant. Vous sous-estimez la confiance que son peuple lui porte. Les Gaïahels ne se révolteront pas sur une simple requête de notre part. Il serait, d’ailleurs, mal venu de vouloir les pousser à rallier une cause qu’ils soutiennent déjà. C’est elle qu’il faut convaincre, avant tout, car il est bien trop difficile de la faire choir de son piédestal…! Disons que nous pouvons ouvrir le débat, en proposant un référendum commun dont elle devra accepter le résultat. Elle ne peut refuser sans risquer de perdre encore plus de crédit. Un vote démocratique lui laisse assez de chances, et pour nous, accélère le débat. Évidemment, si il lui échouait d’abdiquer à l’issue du vote et qu’elle ne l’accepte pas, j’autoriserai l’emploi de la force à son encontre selon les modalités de la police civile. Ceci dit, la très probable résistance qu’elle nous opposerait ne pourrait, en aucun cas, je le répète, être prétexte à une intervention de l’armée…! Il faut espérer que le cœur des gaïahels l’emporte sur la raison...!
La Reine-Mère fit une pause et en profita pour sonder l'opinion de son audience d'un regard soutenu. Elle y découvrit des regards dubitatifs, presque incrédules. Elle reprit aussitôt :
- Je ne suis pas opposée à un arrêt prolongé de la production de Neutrinite, si sa durée est raisonnable, bien entendu...! Mais il serait préférable, à mon sens, d’éviter le recours à la force ou à la manipulation pour l’imposer. Nous devons préserver les liens qui unissent nos deux peuples et agir en conséquence. Démocratiquement…! Je propose, donc, la tenue d’un référendum commun en faveur d’une réduction de la production et en vue d’une amélioration progressive de la situation. Cela me semble être un bon compromis. Bien sûr, cela se fera sur le long terme, et il faudra être patient avant d’arriver au résultat escompté. Mais, au moins, l’ouverture d’un débat nous permettra d’agir sur la conscience des Gaïahels. Sans contraintes. En laissant le temps faire son œuvre…! Je laisse à nos concitoyens le soin d’en juger. De faire le choix entre les conséquences irréversibles d’une guerre et la possibilité d’une entente…!
Le président d’assemblée laissa s’écouler quelques secondes. La foule resta silencieuse et pensive.
- Borman, vous pouvez à nouveau soumettre votre proposition et nous faire part de vos éventuelles modifications. Vous avez la parole !
Le responsable de la société civile pour l’amélioration de l’environnement se leva lentement, puis répondit sur un ton presque blasé.
- Si nos sociétaires avaient encore l’espoir que les Gaïahels aient une conscience, peut-être accepteraient-ils de patienter quelques années de plus. À chaque promesse qu’elle nous a faite, à chaque délai que nous lui avons accordé, "La Baronne" en a profité pour multiplier les exploitations, et de ce fait n’a contribué qu’à aggraver la pollution, réduisant nos efforts à néant…! Attendre qu’elle perde sa légitimité nous semble aussi hasardeux que de soutenir son improbable projet "d’absorption". Nous préférons rester sur nos positions, même si elles peuvent vous sembler radicales. Nous sommes venus coloniser Éternity pour en faire notre Terre. Pour la rendre respirable, vivable, si ce n’est paradisiaque. Pas pour être les tributaires d’une humanité hypocrite et tyrannique. Nos besoins en Neutrinite sont de cent fois inférieures aux exigences des Terriens… ! À quoi bon leur envoyer nos propres richesses. En échange de leur considération...? C’est à eux d’attendre et à nous d’exiger…! Nous ne pouvons nous satisfaire d’un arrêt partiel et temporaire de la production et d’une simple stabilisation des rejets toxiques. Mais nous ne voulons pas, non plus, nous opposer à une ultime tentative de négociation si elle a une chance d’aboutir. En contre-partie, nous imposerons un calendrier sur deux, voire, trois années…! À la première faiblesse, nous remettrons notre proposition à l’ordre du jour. Et, étant donné votre prise de position concernant l’Armée, nous serons, alors, dans l’obligation de vous forcer à nous en remettre le commandement, si vous ne le prenez pas vous-même. La constitution ne peut se substituer à la souveraineté du peuple et, seul, celui-ci peut décider des droits et devoirs qui lui incombent. Le contrôle de l’Armée par le peuple est un gage de la démocratie. C’est pourquoi, au besoin, nous proposerons un référendum sur ce point. Prenez cela comme un ultimatum. Pour nous, cette négociation avec les Gaïahels est la dernière…!
Swan Borman osa défier la Reine-mère du regard. Deux secondes, tout au plus. Suffisant pour que celle-ci y découvre une réelle sincérité.
- Soit…! Nous mettrons Mlle Baron face à ses responsabilités et à ses devoirs civils, au plus tôt. Nous traiterons, ensuite, du contrôle de l’Armée. Je connais vos velléités d’indépendance à ce sujet, et je les trouve légitimes. Et même, tout à fait saines, contrairement à ce que vous pourriez croire. Je ne suis pas contre votre idée d’un référendum. Non pas, dans l’espoir de me débarrasser d’une responsabilité particulièrement encombrante, mais, au contraire, avec la ferme intention de la partager avec vous…! Je n’envisage pas, cependant, d’abandonner le code de commandement actuel qui, seul, me garantit qu’aucune guerre interne ne sera déclarée sans mon accord. Notre Armée restera défensive, quoique vous tentiez, et je ne vous laisserai pas l’utiliser pour imposer votre cause, aussi juste soit-elle. Je mettrai ma menace à exécution et détruirai l’Armée si vos intentions restaient les mêmes. Ne croyez pas qu’un tel référendum puisse vous servir pour la contrôler comme bon vous semble. Le peuple ne manquera pas, d’ailleurs, de vous rappeler à la constitution qu’il a, lui-même, établie et dont il est souverain si la paix se trouvait menacée…! C’est à lui de décider, maintenant...!
Dans le public, les gens se lancèrent des regards pleins d’expectative. Le président d’assemblée se leva pour parler :
Dans le public, les gens se lancèrent des regards pleins d’expectative. Le président d’assemblée se leva pour parler :
- Les citoyens seront appelés à approuver chacune des propositions la semaine prochaine. Celles-ci seront rendues publiques dès demain, dans leur intégralité, sur tous les sites officiels. Vous pouvez participer à leur élaboration sur le site de l’Assemblée. Toute idée est la bienvenue…! Le débat est maintenant ouvert. La parole est à qui la demande...!
Accroupie sur l’herbe à quelques mètres de la Reine-Mère, une très jeune enfant leva précipitamment le doigt et provoqua un fou-rire quasi général. La petite se rendit à peine compte qu’elle en était la cause et garda le doigt tendu, fixant la Reine de ses grands yeux innocents. Celle-ci lui fit signe de s’approcher, se pencha vers elle et tendit l’oreille pour écouter sa doléance. Un sourire malicieux illumina peu à peu le long visage de la Reine-Mère. Celle-ci finit par donner un baiser sur le front de la gamine avant de la renvoyer à sa place.
Ardan fut un des rares à ne pas rire de l’attendrissante scène comique qui venait de se dérouler sous ses yeux, ni même à ressentir le besoin de savoir ce que l’enfant avait murmuré à l’oreille de la Reine-Mère. Swan Borman, non plus, n’avait pas ri, ni esquissé le moindre sourire. Les deux hommes qui se cherchaient du regard finirent par se trouver. Se fut comme une poignée de main franche et amicale. Ils se fixèrent un instant, comme pour s’évaluer et se percer à jour.
Ardan ne put cacher sa satisfaction malgré le sourire qu'il afficha. Le tic qui déforma, une seconde, le coin de sa bouche et de sa paupière droite passa pour un clin d’œil complice aux yeux du responsable civil.
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CHAPITRE N°2
À la vue de ces silhouettes informes, mais néanmoins reconnaissables, la horde de chasseurs se figea dans son élan. Les xéno-morphes en lâchèrent leurs proies, puis remontèrent à toute vitesse en secouant violemment leur épaisse queue et en s’aidant de leurs membres palmés. Ils crevèrent la surface de l’eau et bondirent sur la rive en sifflant, crissant, et vibrant de tous leurs organes caverneux. Ils galopèrent ventre à terre de tous côtés, puis se mirent à sauter sur leurs grandes pattes de sauterelle pour essayer d’atteindre l’ennemi. Le seul qu’ils craignaient. Mais "l’ennemi" avait pris soin de se mettre hors de portée, protégé par un immense socle de diamantine à travers lequel il pouvait admirer la férocité des xénomorphes à la loupe. Le public, aussi épouvanté qu’ébahi, s’exclama d’une seule voix et recula d’un pas lorsque quelques bestiaux plus enragés que les autres grimpèrent les parois du nid pour cracher leur acide contre le vitrage de protection.
D’énormes protubérances, aux couleurs suintantes et plus vives les unes que les autres, recouvraient les articulations, les tempes et les maxillaires des mâles xénomorphes. De longues cornes plus effilées qu’une dague hérissaient leur colonne vertébrale et leurs flancs.
Côté public, la surprise et la crainte firent bientôt place à la fascination.
- Ne vous inquiétez pas. Il n’y a vraiment aucun risque…! dit Ardan, d’un air amusé. C’est une réaction de défense tout à fait normale. Leur instinct les pousse à défendre leur nid. D’autant plus, lorsque la Reine est sur le point de pondre...! Évidemment, nous pourrions leur cacher notre présence, mais nous préférons qu’ils s’y habituent, quelles que soient les circonstances. Leur domestication sera très certainement longue et laborieuse et peut-être faudra-t-il plusieurs générations, mais certains résultats nous laissent espérer que cela sera possible. Ce que nous avons sous les yeux est leur terrain de chasse. La fosse leur procure une part de la nourriture et de l’espace dont-ils ont besoin. Ils peuvent se dégourdir les pattes et y chasser de manière naturelle au plus près de leurs habitudes. Ce sont d’excellents nageurs et, comme vous vous en doutez, de redoutables prédateurs. La fosse regorge de krill, de poissons et d’algues qui leur apportent tous les nutriments dont-ils ont besoin. Ils sont donc en excellente santé. Les soldats que nous voyons, ici, ont l’habitude de dévorer leurs proies sur place. Vous pouvez voir ce qu’il en reste, et en apprécier la taille parfois conséquente. Mais il leur faut aussi nourrir les ouvrières, et leur seconde tâche est, donc, de leur apporter tout ce qu’elles réclament. Nous allons poursuivre notre visite et passez dans le repaire de ces demoiselles. Si vous voulez bien me suivre…!
Les cinquante personnes présentes suivirent Ardan. Ce dernier attendit que les retardataires finissent de prendre une dernière photo de l'intérieur de la fosse, puis il tapa le code d’entrée.
- Comme vous avez pu le remarquer, la sécurité est parfaitement assurée…!
Une large ouverture se forma dans le mur et les visiteurs passèrent d’une salle d’observation à l’autre. Les salles étaient toutes conçues à l’identique. Cerclé à même le sol, un imposant socle de diamantine transparente séparait le public de la fosse. Tout autour, une rambarde permettait au public de s’accouder et de se pencher pour observer le nid.
La voix d’Ardan résonna à nouveau :
- Installez-vous, messieurs, dames…! Vous remarquerez que les ouvrières n’ont pratiquement pas réagi et ont continué leur besogne. Elles semblent se sentir en sécurité et mieux accepter nos intrusions que les mâles. Regardez comme ça grouille….! Elles sont en train de filer les sucs corporels qui s’écoulent de leurs glandes pectorales pour former les boulettes alimentaires destinées à la Reine. Admirez leur dextérité, la synchronisation de leurs membres supérieurs, de vraies petites usines. Elles peuvent produire une dizaine de kilos chacune, quotidiennement. Un poids à peu près égal au poids du poisson qu’elles doivent avaler chaque jour. Ce sont des animaux très voraces, particulièrement en période de ponte…! Elles mangent ce que les soldats régurgitent, une purée de chair ultra nourrissante. Et comme vous pouvez le constater, elles semblent en apprécier le goût et le parfum impérieux !
Tout le monde se mit à rire et à manifester sa répugnance.
- Elles n’arrêtent pas de la journée...! Trente heures, non stop. Et elles ne dormiront pas une seule seconde de leur vie…! Voyez, là, quand leur pelote est finie, elles prennent la file et vont l’apporter à la Reine. Elles vont faire des centaines de milliers d’aller-retour avant d’en succomber et de rejoindre le cimetière...! En fait de cimetière, il serait plus juste d’appeler cela un séchoir à viande, probablement utilisé en cas de diète. Ce sont aussi des ouvrières qui s’occupent de stocker les cadavres et qui entretiennent l’ensemble du nid…! On a du mal à s’en apercevoir de notre point de vue, mais la taille des ouvrières est sensiblement identique à la nôtre. Les mâles dominants peuvent atteindre deux fois cette taille, voire beaucoup plus pour certains spécimens. C’est-ce que nous allons découvrir, maintenant, dans l’antre de la Reine. Si vous voulez bien me suivre…!
Tout le monde se mit à rire et à manifester sa répugnance.
- Elles n’arrêtent pas de la journée...! Trente heures, non stop. Et elles ne dormiront pas une seule seconde de leur vie…! Voyez, là, quand leur pelote est finie, elles prennent la file et vont l’apporter à la Reine. Elles vont faire des centaines de milliers d’aller-retour avant d’en succomber et de rejoindre le cimetière...! En fait de cimetière, il serait plus juste d’appeler cela un séchoir à viande, probablement utilisé en cas de diète. Ce sont aussi des ouvrières qui s’occupent de stocker les cadavres et qui entretiennent l’ensemble du nid…! On a du mal à s’en apercevoir de notre point de vue, mais la taille des ouvrières est sensiblement identique à la nôtre. Les mâles dominants peuvent atteindre deux fois cette taille, voire beaucoup plus pour certains spécimens. C’est-ce que nous allons découvrir, maintenant, dans l’antre de la Reine. Si vous voulez bien me suivre…!
Tout le monde avait hâte de voir la Reine et sa cour de mâles en rut. Les visiteurs passèrent dans la salle suivante, puis s’égrenèrent le long de la rambarde, impatients de voir ce qui se cachait derrière le vitrage opaque, à quelques mètres, sous leur pieds.
- Et voilà, ce pour quoi, soldats et ouvrières sont prêts à donner leur vie…! Ardan baissa l’intensité lumineuse de la salle d’observation au minimum.
- Quelques secondes sont nécessaires pour que l’œil s’habitue à la pénombre. Ce que vous allez découvrir, est l’expression de la nature, et il vaut mieux en rire que de s’en offusquer…!
- Ah oui, j’la vois…! s’écria un gamin.
Une lueur rougeoyante colorait le corps de la Reine-xénomorphe de reflets ambrés. Sa gigantesque poche utérine, à travers laquelle on discernait le cheminement des œufs, s'étalait devant elle sur une bonne dizaine de mètres. La fabuleuse collerette qui lui permettait de maintenir son corps à la verticale était ancrée dans le sol. Deux longues files d'ouvrières s'activaient à ses côtés, peinant sous le poids des boules nutritives qu'elles déposaient à ses pieds, à portée de griffes. Affamée en permanence, la Reine-xénomorphe, dévorait son dû sans discontinuer.
- Elle est en train de pondre un œuf…!
- Si c’est bien le cas, vous avez de la chance, car nous devrions assister à la parade des mâles. Il y en a, ici, une douzaine en moyenne. Deux ou trois d’entre eux se partagent la plus grosse part du butin. Heureusement pour eux, les autres ne sont pas en reste et réussissent toujours à leur grappiller quelques œufs à l’occasion. Ce qui favorise une plus grande diversité génétique…! Certains de ces œufs sont prélevés par nos soins pour nous permettre d’étudier les parasites qui s’y développent. Vous n’êtes pas sans savoir que sans eux nous ne serions pas là. Ils sont la preuve que la nature dépasse de loin notre entendement…!
- En voilà un…! s’exclama quelqu’un.
En bas, dans le nid, un des mâles sortit vivement de sa tanière et provoqua un bref affolement parmi les ouvrières. La double file que celles-ci formaient se désagrégea pour laisser passer le mastodonte surexcité. Le grand mâle se rua vers la Reine pour aller se coller à elle, puis il se mit aussitôt à lui caresser les flancs avec son crâne en émettant de tendres cliquetis.
L'instinct fit sortir les mâles rivaux de leur torpeur. Ceux-ci quittèrent leur tanière à la hâte et se mirent tous à imiter le mâle dominant. Ils s'activèrent longtemps autour de la Reine-xénomorphe avant d'arriver à leurs fins, chacun tentant d'évincer l'autre de sa place en espérant se faufiler aux premières loges, et quand soudain un œuf émergea du long orifice utérin en exhalant son parfum enivrant, ils se retournèrent tous les uns contre les autres et commencèrent leur parade.
L'instinct fit sortir les mâles rivaux de leur torpeur. Ceux-ci quittèrent leur tanière à la hâte et se mirent tous à imiter le mâle dominant. Ils s'activèrent longtemps autour de la Reine-xénomorphe avant d'arriver à leurs fins, chacun tentant d'évincer l'autre de sa place en espérant se faufiler aux premières loges, et quand soudain un œuf émergea du long orifice utérin en exhalant son parfum enivrant, ils se retournèrent tous les uns contre les autres et commencèrent leur parade.
Les magnifiques couleurs qui ornaient leurs répugnantes protubérances s’intensifièrent brusquement, plus vives et luisantes que jamais. Les mâles se jaugèrent un moment. Leur cliquetis devint plus grave, plus rapide et saccadé. Ils se mirent ensuite à siffler, la gueule grande ouverte, et à balancer leur lourde tête de tous côtés en se tournant autour.
Contrairement aux ouvrières qui pouvaient subir de sérieux dommages collatéraux et s'étaient vite dispersées, la Reine semblait apprécier tous ce remue-ménage auprès d’elle. Impassible, elle grignotait ses boulettes hyper-caloriques avec la même régularité.
Après une minute de parade et de menaces très persuasives, le plus grand des mâles avait écarté tous les autres prétendants. L’œuf, délicatement expulsé du ventre de la Reine, roula à terre et finit sa course sous la patte griffue du vainqueur. Le grand mâle xénomorphe enroula immédiatement sa queue autour pour le protéger de la convoitise de ses congénères, puis se mit à le flairer. Il les préférait matures et ne fut pas déçu. À peine, eut-il frotté ses babines baveuses sur la coque cuirassée que celle-ci se mit à enfler et à suinter, faisant apparaitre de fine jointures qui augurait d’une éclosion rapide. Aussitôt, le grand mâle se redressa, émit un crissement menaçant, s’empara de l’œuf et le blottit entre ses six membres supérieurs, contre son poitrail squelettique. En quelques bonds, il regagna sa tanière, tous crocs dehors, renversant les ouvrières qui se trouvaient sur son passage.
Le grand mâle déposa l’œuf parmi tous les autres, sur un monticule d’excréments qu’il avait façonné avec soin. Le socle, concave et parfaitement dimensionné, noir comme l’ébène, s’affaissa légèrement sous le poids de son butin. Le grand mâle xéno-morphe se donna quelques instants pour bien le caler et vérifier sa stabilité, poussant dessus avec ses pattes, le remuant de gauche à droite, le rééquilibrant d’un coup de museau. Une fois rassuré, il inspecta l’ensemble du berceau qu’il avait en charge de protéger.
Il y avait, là, une trentaine d’œufs déjà inséminés, à différents degrés d’évolution. Pour la plupart, les fœtus n’étaient même pas encore visibles à travers les cuirasses de chair opaque, mais dans les autres, la silhouette recroquevillée des futurs xéno-morphes était discernable. La coque des œufs arrivés à terme, devenue translucide, en laissait apparaitre les moindres détails, jusqu’à permettre d’en définir le type, mâle-soldat ou ouvrière.
Sitôt après avoir vérifié la bonne croissance de sa progéniture, le grand mâle revint vers l’œuf encore vierge. Tapis à l’entrée de sa tanière, se trouvaient trois mâles rivaux, prêts à bondir. Il les avait sentis arriver et n’avait pas cessé de les surveiller en émettant des grognements et des cliquetis d’avertissement. D’un bond, il se retrouva devant eux, et d’un puissant coup de queue leur fit prendre la fuite. Il leur siffla dessus en cliquetant à-tout-va, allant même jusqu’à leur cracher de son fiel acide sur le museau pour qu’ils s’éloignent encore. Enfin, une fois assuré de l’établissement d’un périmètre de sécurité suffisamment étendu, il s’attela à la tâche.
Les impérieuses effluves que l’œuf exhalait par tous ses pores le captivèrent à nouveau et firent soudainement naitre son désir. Le grand mâle s’en rapprocha pour le flairer. Il enroula délicatement sa queue autour pour le maintenir, puis lécha voluptueusement la corolle du bout de ses babines. Celle-ci doubla très vite de volume sous l’effet des stimuli et se mit à secréter les humeurs acides qu’elle contenait. Les quatre pétales de chair frémissante se mirent à battre comme un cœur.
L’excitation du grand mâle était à son comble. L'animal se redressa sur ses deux pattes arrière. Son long et fin appareil génitoire jaillit de sous sa poche ventrale et se mit à fouetter l’air, plus vif et vigoureux qu’une anguille hors de l’eau. Au premier contact, dès qu’il toucha la corolle, son sexe s’y agrippa brusquement, comme englué, puis commença à se tortiller pour tenter de forcer le passage. Le grand mâle faillit en perdre l’équilibre et dû s’accrocher à l’œuf de ses six membres supérieurs pour consolider ses appuis. L’exercice était, somme toute, relativement difficile. Son sexe menait la danse et le faisait tressaillir de plaisir. La position était si inconfortable et la stabilité de l’œuf si précaire qu'il dut faire d’imperceptibles et multiples efforts pour ne pas basculer avec.
L’éclosion ne se fit pas attendre plus longtemps. La corolle, exacerbée par les frottements, balayages et autres soubresauts stimulants du sexe qui l’assaillait, s’ouvrit comme une fleur. Les quatre pétales de chair se désunirent les uns des autres, dévoilant un hymen luisant, chaud, doux et parfumé. Le sexe de l'animal fouilla un instant la chair accueillante, puis d’un coup, perça la fine membrane qui l’obturait. L'appareil génitoire fut littéralement aspiré. La surprise mêlée à la jouissance fit chanceler le grand mâle et celui-ci sautilla maladroitement sur ses grosses pattes arrière. Des petits crissements sortirent du fond de sa gorge tandis qu’il éjaculait, ses couleurs se ternirent en un éclair, et quand il se retira, le frêle et inerte bout de muscle se rétracta aussitôt. C’en était fini. Il venait d’accomplir son devoir et pouvait en être fier. Il parada, une dernière fois, seul dans sa tanière, arborant ce qui lui restait de couleurs, avant de se calmer tout-à-fait.
- Une scène qui se passe de tous commentaires…! Si vous avez, néanmoins, des questions à poser sur ce que nous venons de voir et sur la visite en général, n’hésitez pas ! déclara Ardan.
Plusieurs enfants levèrent le doigt aussitôt. Ardan en choisit un, au regard plus vif que les autres.
- A toi l’honneur, mon garçon !
Le gamin lui posa une colle à laquelle il ne s’attendait pas.
- Est-il vrai que des métissages naturels entre les xénomorphes et les humanoïdes sont possibles…!
- Pas facile de répondre à ça…! Certes, cela est possible lorsque le xénomorphe, né d'un parasite, détient l'adn de son hôte. C’est une des stratégies de procréation des xénomorphes qui peuvent ainsi implanter leur génome dans des espèces différentes d’eux, tout en sachant qu’ils y perdent nombre de défenses originelles. Mais cela reste un cas de force majeure…! Une autre question...?
- Quelle serait l'apparence de leur progéniture...?
- Rebutante... je le présume... car l'expérience n'a jamais été tentée...!
- Et si la progéniture a une apparence humanoïde, garde t-elle certains attributs du xénomorphe...?
- Eh bien, je ne saurais le dire...! Peut-être, car certaines études théoriques le démontrent. Mais il semble que cela ne soit pas la meilleure des voies à prendre...! Les expériences à venir sur les parasites nous aideront certainement à mieux comprendre ce phénomène et peut-être aussi à résoudre certains des problèmes que vous suggérez...!
Parmi les visiteurs, se trouvait Swan Borman. Celui-ci saisit immédiatement l'occasion qui lui était donnée pour lancer le débat.
- En quoi ces expériences sont-elles censées nous aider à résoudre nos problèmes…?
La question se voulait provocante, faite pour alimenter la polémique. Ardan, qui n'attendait que cela, répondit très franchement :
- Vous n’êtes pas sans savoir que les xénomorphes ont pratiquement toujours vécu dans un environnement empoisonné qui est malheureusement le nôtre aujourd’hui, et qu'ils ont essuyé d’innombrables épisodes toxiques. Leur évolution s’est faite ainsi durant des centaines de millions d’années et ils ont eut le temps d’élaborer des parades génétiques. Ils peuvent donc parfaitement vivre en respirant les gaz toxiques qui nous polluent. Jusqu’à un certain point, évidemment. Ils ne pourraient pas, par exemple, survivre à la pollution que nous connaissons aujourd’hui…! Les caractéristiques génétiques qui leur permettent de s’accommoder d’un taux de pollution moyen auquel aucun de nous ne résisterait, pourrait, néanmoins nous être utile si l’assainissement complet de la planète s’avérait impossible. Est-ce-que cela répond à votre question ?
Swan Borman n’en espérait pas tant. Le but était de mettre la Reine-Mère en porte-à-faux, et Ardan paraissait enclin à lui apporter un peu de grain à moudre.
- Il y aurait donc du clonage d'ogm dans l’air...! fit-il remarquer. Et toujours à nos dépens...!
- Pas que je sache…! Une autre question, peut-être ? demanda Ardan.
Le public, loin d’être dupe, se demandait si cela n’allait pas virer au débat politique. Il espérait, peut-être, que cela dégénère... mais sans lui. Après un silence, Ardan reprit :
- Messieurs, dames, nous vous remercions de votre présence et espérons que vous avez apprécié la visite. Nous sommes très heureux de l’émotion que vous a procurée cette rencontre avec nos ancêtres et espérons qu’elle vous aidera à surmonter vos appréhensions…! Si vous voulez bien me suivre !
Il y eut un léger flottement. Des visiteurs prirent le temps de vérifier s’ils avaient bien filmé la scène de copulation. Des gamins fascinés par les grands mâles et leur terrifiant exo-squelette restèrent collés à la rambarde jusqu’au dernier moment. Puis enfin, tout le monde retourna à l’embarcadère et s’engouffra dans le sas-mobile.
A l’extérieur, un épais brouillard jaunâtre s’étirait en volutes entre les dômes illuminés d’Eterna. Le sas-mobile se désolidarisa du bâtiment qui abritait le nid de xéno-morphes, le "Zoo", puis glissa lentement sur son rail de sécurité jusqu’aux portes de la Cité.
Les plaisanteries triviales fusèrent et en firent rire plus d’un, durant le court trajet. Ardan garda un œil sur Swan Borman. Il le vit discuter avec ses voisins, puis écrire quelque chose sur un bout de papier pour le leur donner. Une image symboliquement forte car le papier était synonyme de secret alors que le secret était banni de la Cité. Heureusement, il n’était pas interdit de s’en servir pour écrire, mais cela paraissait toujours très suspect.
Il se passa un bon moment avant qu’Ardan ait salué tout le monde. Swan Borman fut le dernier à sortir. Leurs regards se croisèrent. Le responsable de la Société Civile lui tendit un papier plié qu’il déposa au creux de sa paume en souriant, puis il s’éloigna avec les autres. Ardan le regarda partir d’un air pensif avant de déplier le message. Il pût lire : "Jogging à 27 heures, à l'entrée du grand parc"
CHAPITRE N°3
Claire Baron détacha son regard du vaisseau supra-luminique qui se trouvait amarré à son embarcadère, puis le posa sur la Reine-Mère, plus précisément, sur le reflet qu’elle en voyait dans le vitrage de diamantine. L’holographe lui renvoyait une image en trois dimensions, parfaitement réaliste, de la Reine-Mère d’Eterna. Cette dernière, assise sur un fauteuil ornementé, habillée de sa longue toge noire mordorée, semblait trôner au milieu de la pièce.
Claire Baron se retourna et dit :
- Il est vrai que les Terriens peuvent attendre. Ils ne seront pas au courant de notre arrivée avant quelques milliers d’années. Alors, oui…! Pourquoi pas ? Mais cela ne résoudra pas le problème. Ce stock sera utilisé pour l’exploration des systèmes intérieurs et pour notre armement. Plus nous en trouverons ici, plus vite nous en chercherons ailleurs…! C’est au prix d’un sacrifice de quelques années encore qu’il nous sera possible de libérer Éternity. Nos deux peuples doivent comprendre que l’extraction de la neutrinite est aussi essentielle pour notre défense que pour notre liberté. Vous devez vous opposer à la rébellion et utiliser votre armée si nécessaire. Nous savons toutes deux que c’est la meilleure solution !
- Si vous n’avez pas autre chose à proposer pour tenter de les calmer, autant en rester là…! répondit la Reine-Mère. Elle laissa passer un silence, puis ajouta :
- Si je dois me servir de l’armée, je le ferai pour nos peuples et certainement pas contre eux. Vous avez une chance d’échapper à leur ultimatum si vous leur donnez quelque chose en échange…! Un ralentissement de la production à hauteur du pourcentage destiné à la Terre suffirait à stabiliser le taux de pollution. Vous pouvez aussi alléger l’armement. Vous savez très bien que le risque d’une rencontre, voire, d’un affrontement avec les habitants des systèmes intérieurs est relativement faible en périphérie. Leurs colonies se concentrent sur des sites biens plus riches que ceux que nous pouvons atteindre. Et de plus, aucune approche n’a été détectée sur plusieurs centaines d’années lumières. Ils ne sont pas une menace imminente…! Nos peuples accepteraient certainement de vous octroyez un plus long délai, si vous y mettez un peu de bonne volonté...!
- Si je dois me servir de l’armée, je le ferai pour nos peuples et certainement pas contre eux. Vous avez une chance d’échapper à leur ultimatum si vous leur donnez quelque chose en échange…! Un ralentissement de la production à hauteur du pourcentage destiné à la Terre suffirait à stabiliser le taux de pollution. Vous pouvez aussi alléger l’armement. Vous savez très bien que le risque d’une rencontre, voire, d’un affrontement avec les habitants des systèmes intérieurs est relativement faible en périphérie. Leurs colonies se concentrent sur des sites biens plus riches que ceux que nous pouvons atteindre. Et de plus, aucune approche n’a été détectée sur plusieurs centaines d’années lumières. Ils ne sont pas une menace imminente…! Nos peuples accepteraient certainement de vous octroyez un plus long délai, si vous y mettez un peu de bonne volonté...!
- Et pourquoi, donc, ne pourrai-je pas les persuader du contraire. D’en extraire d’avantage afin de nous en libérer au plus tôt…! rétorqua Claire Baron.
- Je ne vous le conseille pas. Ils prendraient cela pour une provocation. Je ne pense pas que ce soit votre intérêt. Ni, même, votre intention…! Lâcher un peu de lest nous permettrait de continuer à avancer...!
- Et après…! Il serait bien hypocrite, de ma part, de vouloir leur faire croire que j’abdiquerai après l’expiration du délai. Admettons que j’accepte de ralentir la production de neutrinite durant le temps nécessaire à la mise en place du système de recyclage et des dômes nano-élastiques; je veux, ensuite, pouvoir reprendre, voire accélérer les extractions si le système s'avère inopérant et si aucune amélioration n’est observée. C’est un ultimatum contre un autre. Si l'assainissement est notable, j’accepterai de maintenir un seuil de production raisonnable. Dans le cas contraire, je redoublerai d’efforts et, peut-être, choisirez-vous de m’aider…?!
- Vous pouvez toujours essayer de les en convaincre... et je ne tenterai pas de les en dissuader... mais je ne crois pas qu’ils vous entendent sur ce point là. Ils sont tout aussi déterminés que vous. Pour ma part, je trouve le compromis acceptable et j’espère sincèrement que nous arriverons à nous entendre...!
- Je le souhaite aussi…! Mais, rappelez-vous, cependant, que la démocratie ne me fera pas reculer. La production de neutrinite est d’un intérêt supérieur. Il est de ma responsabilité... et de la vôtre... qu’elle le reste...!
- Vous n’avez pas forcément tort, Claire, ni vraiment raison…! C’est la Paix qui est d’un véritable intérêt supérieur. Et ce ne sont ni la neutrinite, ni la démocratie qui peuvent la préserver. C’est chacun d’entre nous…!
Claire Baron acquiesça d’un léger haussement du menton, sur un mode emprunt d’ironie. Elle fit volte-face et alla lentement se poster devant la baie vitrée pour observer le vaisseau et l’incessant va-et-vient des robots qui y transbordaient la neutrinite. Toutes deux gardèrent le silence durant un long moment. Claire Baron pesa le pour et le contre. Une rébellion risquait d’être plus gênante qu’un bref ralentissement de la production.
- Écoutez, Ellen…! Je la désire autant que vous cette paix, mais il faut comprendre ma situation. Je ne suis que l’émissaire de la Terre et je me sens liée à ses habitants autant que vous pouvez l’être à vos ancêtres…! Je n’arrêterai jamais la production de neutrinite, et il faut espérer que nous en trouverons ailleurs, d’ici peu, si nous voulons éviter une guerre. J’accepte cependant de négocier cet ultime accord et de m’y soumettre ensuite le plus honnêtement du monde..! Je vous assure que je tiendrai mes promesses et je veux vous montrer ma bonne foi en stoppant les chantiers de fracturation, séance tenante. Je négocierai ensuite le nombre de sites à reboucher... provisoirement et dans la mesure du raisonnable, bien entendu...! Vous saurez leur imposer une limite…!
- Je suis certaine qu’ils apprécieront la valeur de votre geste, Claire...! J’obtiendrai leur accord et nous prendrons une plus grande part dans l’élaboration des projets d'assainissement. Je continuerai, d’ailleurs, à vous soutenir en ce sens tant que ma parole sera entendue et aussi longtemps que vous tiendrez la vôtre…!
La Reine-Mère se leva de son fauteuil. Son crâne oblong, pailleté d’or fin, scintilla dans la lumière. Son reflet mouvant sur le vitrage de diamantine attira le regard de Claire Baron. La haute silhouette s’approcha d’elle par derrière et lui posa une main sur l’épaule. La technologue sentit la faible pression des micro-ondes contre sa peau; un léger effleurement qui la fit frissonner.
- Vous serez la bienvenue à Éterna pour la signature de l’accord...! Je crois que votre présence apaisera les tensions et atténuera la défiance de mon peuple envers le vôtre. J’en serai, d’ailleurs, moi-même, très honorée…!
Claire Baron resta silencieuse quelques secondes avant de répondre :
- Soit…! Mais vous devez mettre les rebelles hors d’état de nuire. Qu’ils cessent déjà de m’attaquer et j’accepterai de discuter...!
- Je vous propose de négocier les termes de l’accord et d’en établir le texte, d’ici une semaine ou deux. Puis de le signer après réflexion. Le temps d’éprouver la bonne volonté de chacun...!
Claire Baron répondit sur un ton sec et définitif :
- Je suis d’accord…! Je me mets à la disposition des responsables civils dès maintenant. Pourvu qu’ils soient coopératifs !
- Je veux encore vous faire confiance, Claire…! Je ne veux pas perdre ma seule amie ! dit la Reine-Mère en tentant vainement d’accrocher le regard de la jeune femme.
Claire Baron inspira un grand coup, regarda l'image de la Reine-Mère droit dans les yeux et la fit disparaitre. La technologue sentait battre son cœur et le rouge avait envahi ses joues ainsi que son front virginal. Elle avait si peur de dévoiler ses sentiments qu’elle se cachait derrière un masque de dureté qu'elle voulait incassable.
Qu'elle voulait incassable, mais qui était pourtant transparent comme l’eau claire...
Qu'elle voulait incassable, mais qui était pourtant transparent comme l’eau claire...
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CHAPITRE N°4
Ardan était assis sur un des bancs qui bordait l’allée principale du parc. Il aperçut Swan Borman, vêtu d’un jogging noir et argenté, qui courait dans sa direction. Le responsable civil ralentit en le reconnaissant, puis s’arrêta auprès de lui, légèrement essoufflé. Ils se saluèrent rapidement.
- Merci d’être venu…! Sale temps, hein ! fit remarquer Swan Borman.
À l’extérieur, l’obscur plafond de vapeurs empoisonnées grondait et crachait d’interminables éclairs dont l’intense lumière leur parvenait à travers le dôme de diamantine. De flamboyantes couleurs apparaissaient en tremblotant dans le rideau de pluie acide qui tombait au dessus de leurs têtes et s’étalait par vagues le long du vitrage blindé.
- J’ai trouvé votre intervention pertinente, la dernière fois…! Mais, en vérité, les Gaïahels sont loin d’être sensibles à nos problèmes....! Il faudrait un siècle pour qu’ils commencent seulement à se poser la question. Ils ne rêvent que d’une chose, c’est de retourner sur Terre…! On peut se tutoyer, peut-être, non...?
Ardan acquiesça.
Ardan acquiesça.
- Tu veux courir…?
- Pourquoi pas…!
Swan Borman modéra sa foulée. Il laissa Ardan lui emboiter le pas, puis se remit à parler :
- On arrive à recruter deux ou trois citoyens par semaine. Je ne parle pas de nos sympathisants qui sont bien plus nombreux, mais de ceux qui sont prêts à agir. J’ai pensé que cela pourrait t’intéresser d’adhérer à notre cause…! Sans plus...! Sans forcément t’investir. Ta seule présence nous suffirait. Le premier assistant de la Reine-Mère dans nos rangs, voilà qui changerait un peu la donne...!
Leur souffle et le bruit de leur pas se synchronisèrent en un rythme calme et régulier.
- Je crois pouvoir vous être utile…! répondit Ardan.
- Nous en serions très heureux …! Évidemment, si tu veux agir et t’engager personnellement, il te faut prouver ta bonne foi. Tu comprendras que l’on puisse se méfier de tout un chacun et de toi en particulier…! Donc, si tu avais une information qui nous permettait de gagner du terrain et d’affaiblir notre Reine-Mère, nous t’en serions reconnaissants. Cela scellerait notre alliance !
- Eh bien, je peux confirmer une chose... dont vous vous doutez, peut-être, déjà... c’est qu’une longue amitié lie notre Reine-Mère à la "Baronne" et que cette dernière ne s’attaquera jamais à elle…!
- C’est bien ce que nous pensons et nous avons l’intention de le faire à sa place…! Mais pour ça, il nous faut avant tout déstabiliser notre Reine-Mère et la forcer à nous donner tout pouvoir…! C’est en cela que tu peux nous aider. Je ne sais pas de quelle manière, mais peut-être que tu en as une idée précise...!
Ardan laissa passer un court instant avant de répondre. Il parla d’une voix posée, très convaincante, mais légèrement altérée, presque différente.
- Tout dépend de ce que vous êtes prêts à faire…!
Swan Borman tourna la tête vers lui et esquissa un sourire en coin.
- J’ai comme l’impression que c’est toi qui va nous le dire…!
Ardan cligna nerveusement de l’œil et dut faire un effort pour ne pas dévoiler son contentement. Il sourit et lança un regard complice au responsable civil.
Au même instant, Swan Borman bascula brusquement vers l’avant, crocheté par un invisible coup du sort. Le responsable civil se serait étalé comme une crêpe si Ardan ne l’avait pas retenu par le bras. Les deux hommes se mirent à rire de l'incident comme de vieux amis.
Au même instant, Swan Borman bascula brusquement vers l’avant, crocheté par un invisible coup du sort. Le responsable civil se serait étalé comme une crêpe si Ardan ne l’avait pas retenu par le bras. Les deux hommes se mirent à rire de l'incident comme de vieux amis.
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CHAPITRE N°5
Les grands mâles étaient sortis de leur tanière pour s’agglutiner à la Reine afin de stimuler la ponte. L’œuf qu’ils convoitaient se trouvait encore dans l’énorme poche utérine et glissait lentement vers l’orifice d’évacuation. On pouvait apercevoir son parcours à travers l’épaisse membrane ambrée, légèrement translucide. La masse ovale avançait un peu plus à chaque nouvelle contraction.
- C’est le moment. Allez-y ! ordonna la Reine-Mère.
Celle-ci se tenait debout derrière son équipe; ses yeux noirs braqués sur l’écran holographique. Une assistante tapa un ordre sur le clavier de commande. La jeune femme, manette à la main, se concentrait sur son écran de contrôle. Elle confirma à haute voix :
- Ouverture effectuée…!
Pour la horde de grands mâles, se fut le complet affolement. Le branle-bas-de-combat général. Une large ouverture se forma dans la paroi du nid, laissant apparaitre le robot-récupérateur. Une sorte de grosse capsule d'environ trois mètres de long sur un de large et deux de haut, lestée par plusieurs tonnes de métal. Un bloc d'acier longitudinal dont les dimensions permettait d'emporter des couvées de six à sept œufs en une seule fois.
La lourde machine robotisée coulissa hors du sas, poussée à l’arrière par une puissante presse qui vint fermer le passage en s’y encastrant au millimètre, puis elle se mit en route et commença à émettre de puissants cliquetis.
Les fréquences émises imitaient celles des xénomorphes en parade et eurent pour simple mais efficace effet de les effrayer. Ils n’en avaient sûrement jamais entendu d’aussi menaçantes, et la plupart d’entre eux allèrent se réfugier à distance, ventre à terre. Les plus courageux s’obstinèrent à vouloir parader et à défier l’intrus. Ils s’approchèrent avec précaution du robot-récupérateur.
L’engin ne ressemblait nullement à un xénomorphe, mais sa masse et les artifices sonores dont il était doté suffisaient amplement à tenir les grands mâles éloignés. Il se dirigea lentement vers la Reine-xénomorphe en flottant à ras du sol puis s’arrêta à quelques centimètres de l’orifice encore contracté. L’avant de la machine s’ouvrit comme les paupières d’un caméléon, puis une paire de pince sophistiquée vint précautionneusement emprisonner l’extrémité de l’utérus externe de la Reine-xnomorphe.
Le cliquetis des xéno-morphes s’intensifia brusquement. Ils savaient ce qui allait se passer et n’appréciaient pas du tout. Le plus téméraire se rua en avant, cliquetant et crissant de rage, se redressa sur ses deux pattes arrière, puis cracha un long jet d’acide sur la machine. Il en fit aussitôt les frais. Un flamboyant arc électrique le traversa brusquement par le haut du crâne et l’éjecta au loin.
Les ouvrières, effrayées, détalèrent en tous sens. La Reine-xénomorphe, elle, ne semblait pas affectée par tout ce remue-ménage. Elle continua à avaler ses boulettes avec appétit et à onduler du ventre, imperturbable. Une dernière contraction et l’œuf apparût enfin. Le muscle utérin se relâcha complètement pour le laisser passer. La grosse gangue de chair tomba directement entre les pinces du robot, comme une tête dans un panier, puis disparût dans les entrailles de la capsule. Celle-ci se referma, puis recula vers la paroi pour mettre son butin à l’abri.
- Il sera plus difficile d’aller chercher les œufs fécondés directement dans les tanières. À moins d’évacuer le nid ! fit remarquer la jeune femme.
- Nous trouverons une solution…! Je vais rendre visite à nos petits nouveaux. À demain, mes chers enfants !
- Au revoir, Mère…! fit l’équipe d’assistants d’une seule voix.
La Reine-Mère s’éclipsa par une ouverture qui se forma dans la paroi à son approche, puis qui se referma derrière elle.
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Ardan secondait la Reine-Mère et supervisait le laboratoire de génétique en son absence. Simuler cinq ans d’études pour en arriver là avait été très ennuyant. Sa passion naturelle pour la chose l’avait rendu plus convaincant que les autres et il avait finalement été choisi par la Reine-Mère pour ce qu’il était : le meilleur.
Il était bien dans le corps d’Ardan... un véritable corps d’athlète... et il s'y sentait indestructible. Il ne regrettait même pas sa première enveloppe charnelle, celle de Foller. Vivant à présent dans celle d’Ardan, il en était très heureux.
D'autant plus heureux qu'il était à nouveau dans son élément. Il côtoyait Lady Ripley, la Reine-Mère de la colonie, tous les jours. Il la humait, la caressait du regard, se délectait à l’imaginer soumise, s’abandonnant à lui. Il savait son heure venue et ne ressentait aucune frustration à devoir attendre encore un peu. C’était l’affaire de quelques semaines. Pour comble du bonheur, son terrifiant secret avait été bien gardé. En soixante-quinze mille ans, le gouvernement terrien n’avait envoyé aucune information au sujet du transfert de mémoire.
Les Terriens, qui depuis le temps l’avaient forcément découvert, avait gardé l’information dans leurs archives secrètes. La Reine ne semblait pas en avoir eu connaissance, car aucun contrôle n’avait été installé pour détecter d’éventuelles manipulations en ce sens. Il était le seul, sur Éterna, à pouvoir implanter sa mémoire au cœur même des génomes qu’il désirait s’approprier. Et il était décidé à aller bien plus loin. À être, à lui seul, toute une armée.
Ardan se tenait debout face au vitrage de sécurité de la "Nurserie". Il observait son petit stock personnel... onze œufs non fécondés, alignés sur deux rangs au milieu d’une salle au décor clinique. Le douzième arrivait à l’instant. Un robot-préhenseur le maintenait entre ses pinces et vint le déposer sur le socle encore libre.
Ardan se retourna en voyant apparaitre la Reine-Mère dans le reflet du vitrage. Derrière elle, la porte du sas finissait de se verrouiller. Il répondit machinalement au large sourire qu’elle lui octroya.
- Alors…!? Comment se portent nos couvées, aujourd’hui...! demanda-t-elle.
- Toujours aussi bien…! répondit Ardan en pivotant sur lui-même pour lui faire face. La première est parfaitement mature, mais il faut encore quelques heures, peut-être un jour, pour s’en assurer. La seconde, est en pleine croissance, et la dernière est passée au stade d’embryon !
- Et le résultat des ponctions…!?
- Pas grand-chose de plus que les simulations…! On a au moins une confirmation...! Les enzymes produits par les ovules embryonnaires des parasites peuvent suffire à provoquer la muta-fusion !
- Tant mieux…! Tant mieux...!
Le robot-ponctionneur glissa sur le sol de la "Nurserie" jusqu’à l’œuf, le saisit par les côtés avec ses pinces, et enfonça délicatement une longue aiguille à l’intérieur.
- Terminons ces analyses et nous tenterons l’expérience sur une prochaine couvée quand la polémique aura cessée… ! Raconte-moi, plutôt, ce que les rebelles ont l’intention de faire !
- Rien de bien concret pour l’instant, mais ils ont parlé d’agir. Ils cherchent des informations qui pourraient leur ouvrir une voie et proposent de recruter en vue d’une action..!. Si je leur amène une info valable, ils seront moins méfiants. Je pourrais, même, être celui qui leur montre la voie. S’ils la suivent, nous pourrons leur tendre un piège…!?
- Je crois que c’est ce qui les attend s’ils n’acceptent pas les termes de l’accord…! Je vais attendre de voir leur réaction, et ensuite, j’aviserai...!
La longue aiguille à biopsie ressortit lentement des entrailles de l’œuf et regagna sa gaine stérilisée. Un jet de désinfectant pressurisé laissa une marque jaunâtre à l’endroit de la piqûre, puis, le robot rétracta ses pinces, recula, fit un quart de tour et quitta la "Nurserie".
- En attendant, implique-toi plus...! dit la Reine-Mère. Montre-toi avec eux. Milite…! Ça ne changera pas grand-chose à ma position. J’ai encore de la marge. Tu peux aussi leur apporter des informations sur nos expériences secrètes. Parle-leur des risques de dérive, ça devrait les intéresser. Ils n’iront pas bien loin avec ça, mais ça pourra t’aider à gagner leur confiance...!
- Vous pensez vraiment qu’ils peuvent nous forcer à abandonner nos recherches…! demanda Ardan d’un air pensif, les yeux fixés sur sa nichée de parasites en devenir.
- Je ne crois pas que ce soit leur priorité, mais il nous faudra, certainement, faire preuve de bonne volonté…! Nous devrons recentrer nos énergies sur l’essentiel durant quelques temps !
- Je pense qu’il faut les pousser à commettre l’irréparable, et pourquoi pas, le faire à leur place et les en accuser, ensuite !
- Il ne s’agit pas de les condamner, mon enfant. Et, encore moins, pour une chose dont ils ne seraient pas responsables…! Il faudrait qu’ils en aient réellement l’intention pour me convaincre de le faire. Laissons les venir. Attendons de voir ce qu’ils complotent et, s’il le faut, nous agirons de manière plus radicale…!
- Vous ne pouvez tout de même pas leur offrir autant de pouvoir sur un plateau. Plus vous faites de concessions et plus il vous sera difficile de revenir dessus. Avec le temps, ils gagneront du terrain et ils finiront par nous mettre en mauvaise posture. Il vaut mieux agir avant que le peuple soit, tout entier, acquis à leur cause…!
La Reine-Mère se mit à rire doucement. Elle regarda Ardan avec tendresse, et tout en parlant, le prit par l’épaule pour l’attirer contre elle.
- Ne t’inquiètes pas, Ardan…! Ce ne sont que des belles promesses que j’ai faites. Rien d’autre...! Tout se joue au bluff pour le moment. Et quand il sera temps d’abattre les cartes, je compte bien avoir la main…! Laissons tout cela de côté, maintenant, et allons analyser notre nouvel échantillon…!
Ardan goûta avec bonheur l’éphémère et précieuse caresse que lui accorda la Reine. Il aurait voulu retenir la main qui glissait lentement sur ses épaules. Un frisson lui remonta le long de la nuque jusqu’au sommet du crâne. Il acquiesça en affichant un petit sourire dépité.
- Avec plaisir…! répondit-il.
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CHAPITRE N°6
Claire Baron se tenait debout, derrière son équipe de techniciens, face à une imposante console informatique et à trois écrans holographiques de contrôle. Elle regardait la macro-sphère de rétention qui venait d’être définitivement ancrée sur le pourtour du cratère n°9. L’immense film nano-élastique commençait déjà à enfler sous la pression des gaz et des fumées qui se trouvaient à présent emprisonnés à l’intérieur du volcan. L’épaisse couche de gomme blanchâtre, légèrement translucide, s’éleva lentement au dessus des immenses poutres de soutien profilées qui barraient le cratère, et de la vaste trame de filins qui les reliaient entre elles à la manière d’une toile d’araignée. Elle enfla, enfla et enfla encore jusqu’à dépasser le sommet du cratère et à former l’ébauche d’un dôme.
Bip, bip, bip…! Une sonnerie d’alerte se déclencha soudainement, puis s’arrêta aussitôt.
- Mise en route automatique des unités de pompage effectuée…! lança une technicienne.
Un de ses collègues ajouta :
- Surpression stabilisée…!
Au bout de quelques secondes, la jeune femme reprit :
- Phase de séparation des gaz en cours…!
- Pression stable…! fit l’autre.
Impassible, Claire Baron resta concentrée sur l’enveloppe nano-élastique qui continuait à gonfler. De nouvelles données apparurent sur l’écran de contrôle d’une jeune technicienne qui s’empressa d’en rendre compte.
- Phase de liquéfaction des gaz en cours…! Aucune anomalie…! On peut monter en puissance...!
- Allez-y…! ordonna la maitresse des opérations.
La technicienne attendit un petit moment que la pression ait le temps de se stabiliser.
- Donnez-moi les premières statistiques sur le taux d’émissions toxiques…!
Un des techniciens lui répondit aussitôt.
- On observe une nette baisse de la surpression de presque trente pour cent, et donc une réduction d’émissions d’environ 0,7 pour cent au niveau global. Si tous les sites d’extractions étaient équipés on obtiendrait une réduction des émissions jusqu’à cinquante pour cent !
- C’est un bon début…! On peut encore améliorer les systèmes de pompage et la macro-sphère ! répondit Claire Baron. Avec ce test nous devançons largement les attentes de la rébellion et l’accord devrait tourner à notre avantage...!
Claire Baron n’avait pas cessé d’observer le dôme nano-élastique qui s’élevait maintenant comme un nuage bien rond au-dessus de l’immense cratère. Disséminées à la base du volcan, des centaines de cheminées crachaient en bout de chaine leurs vapeurs purifiées. Des milliers d’oléoducs couraient le long des parois de basalte et de béton-carboné jusqu’aux terminaux de pompage, de filtrage, de stockage et d’évacuation pour y faire parvenir la purée de poix qu’ils aspiraient. À l’intérieur même du cratère, la température était infernale. Les gaz brûlants et les cendres incandescentes tourbillonnaient en tous sens et poussait toujours plus fort contre la membrane nano-élastique de la macro-sphère. La Neutrinite s’y trouvait mêlée, en milliards de milliards de particules élémentaires. Extirpées du noyau de la planète par de violents remous de magma ascendants, puis mélangées à la roche en fusion, aux gaz et aux cendres, elles jaillissaient ensuite en filons de la gueule des volcans. Extrêmement lourdes et froides, elles étaient, malgré leur taille infime, relativement faciles à extraire.
- Faites moi une estimation du taux de rendement…! ordonna Claire Baron.
Une des techniciennes s’empressa de répondre.
- Nous sommes déjà au delà des prévisions…! Le débit à atteint les trois tonnes au décamètre cube. Pour l’instant, nous sommes sur un petit filon, mais nous avons une moyenne de soixante-seize millions de particules pour le même volume. C’est deux fois-et-demi supérieur à la normale….! Sur le long terme et d’après les prévisions, la production devrait pouvoir quadrupler...!
- Il faut encore attendre de voir si la macro-sphère résiste avant de se réjouir tout à fait, mais je crois que nous pouvons, d’ores et déjà, être fiers des premiers résultats. Nous avons bien fait de persévérer...! dit Claire Baron. C’est une étape qui va nous permettre d’aller plus loin. Il faut maintenant envisager de rendre les grands volcans complètement inoffensifs…! Augmenter les capacités de pompage et de conditionnement. Améliorer et multiplier les unités, rehausser et renforcer les cratères. Tout ce qu’il est possible d’imaginer pour atteindre zéro émission…! Je veux des solutions convaincantes et planifiées avant la signature de l’accord...!
La macro-sphère avait atteint une taille impressionnante et elle enflait encore. Parfaitement sphérique, posée comme un énorme ballon au sommet du volcan, elle commençait à s’étirer imperceptiblement par le haut vers la voûte nuageuse. Bip, bip, bip…! Le signal d’alarme retentit dans la salle de contrôle, tandis qu’à l’image, la première valve de sécurité laissait s’échapper un geyser de gaz et de cendres dans l’atmosphère brumeuse. La seconde valve lâcha tout de suite après et cracha un panache aussi haut que le précédant. La pression retomba enfin à la rupture de la troisième valve de sécurité. Les voyants lumineux s’arrêtèrent de clignoter, le bip sonore se tût. Les limites de la macro-sphère étaient atteintes, un peu rapidement peut-être, mais le principal était qu’elle tenait.
- Pompage saturé…! Impossible de faire mieux ! annonça la jeune technicienne.
- Pression stabilisée…! dit l’un des techniciens.
- Elle résistera. Tout ira très bien…! répondit Claire Baron pour se rassurer elle-même.
Elle resta ensuite à observer les jets de gaz et de cendres qui jaillissaient du sommet de la macro-sphère par les valves de sécurité. Ils s’élevaient dans la brume empoisonnée en gros remous grisâtres, battus et couchés par les vents, happés, étirés et aspirés par de puissants courants qui montaient vers l’obscur plafond de nuages.
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Fin du dixième épisode

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