Alien 5 Eternity (douzième épisode)

 



CHAPITRE N°12

     Ardan plongea son doigt dans le verre et remua l’eau quelques secondes sans quitter l’écran des yeux. Deux visages, deux masques morbides apparurent peu à peu à travers le liquide transparent, curieusement déformés et grossis par l’effet loupe du carbo-cristal. Deux cadavres étaient allongés, côte à côte, sur le sol, à quelques mètres de lui. Ceux des deux agents affectés à la surveillance du "Zoo" et du laboratoire de génétique, ce jour-là. 
      Ardan attendit que ses onze frères de mémoire aient tous pénétrés à l’intérieur de la "nurserie". Il but sa potion en grimaçant, reposa le verre sur le pupitre de contrôle, puis commanda la fermeture de la porte et son verrouillage, scellant ainsi le sort des onze sacrifiés. Claire Baron se tenait debout, derrière lui, entre deux gardes.
- Admirez le spectacle, "Baronne"…! Que vous sachiez ce dont je suis capable. Je parle à la première personne, mais je pourrais dire nous, car ils sont en moi et je suis en eux. Regardez avec quelle sérénité ils vont à l’abattoir. Pensez, non pas au courage, mais à la détermination dont ils ont besoin. Vous savez ce qu’ils vont faire et vous savez ce qui va en sortir. N’est-ce-pas, Claire…?! Une Armée…! Une Armée terrifiante…! Vous me comprenez...? 
    La technologue resta de marbre et suivit les onze volontaires du regard. Les œufs étaient positionnés en cercle, au milieu de la "nurserie", inertes et clos. Mis à l’écart, dans un coin, le douzième œuf avait sa corolle grande ouverte d’où émergeaient les pattes et la queue d’un parasite à l’agonie, jeté là, comme dans une poubelle. Les clones infestés par Foller se rapprochèrent de la couvée, puis se postèrent prudemment face aux œufs avant de se prendre la main pour former une ronde. Haletants, le visage crispé, ils se penchèrent tous ensemble au-dessus des corolles frémissantes.      
    Ardan envoya, alors, la petite décharge électrique tant attendue. Des étincelles bleutées remontèrent de chaque socle le long des œufs, courant sur les arêtes saillantes jusqu’à leur sommet. Les coques devinrent, soudain, translucides, laissant apparaitre les parasites en éveil. Puis, enfin, les corolles s’ouvrirent.
    Les clones gardèrent les yeux grands ouverts malgré l’insistant clignement nerveux dont leur paupière droite était atteinte et se serrèrent les mains plus fortement. Ils inspirèrent à pleins poumons leur dernière goulée d’air, puis tous ensemble, plongèrent la tête à l’intérieur des œufs. Sans attendre, les parasites leur sautèrent au visage, s’agrippèrent à leur crâne, puis enroulèrent leur puissante queue préhensile autour de leur cou, avant d’enfoncer leur dard inséminateur au fond de leur gorge. Aucun des onze volontaires ne lâcha la main de l’autre avant de s’évanouir lui-même. Ils restèrent en cercle, se tenant de toutes leurs forces les uns aux autres, la face entièrement recouverte par les horribles carapaces qui les asphyxiaient. Puis, ils tombèrent, un à un, à genoux, avant de choir et de rouler sur le sol, sans connaissance.
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    Le Général Ayaki (infesté par Foller), nouvellement nommé au haut commandement de l’Armée d’Eterna, avait toute l’armée Gaïahelle à détruire. Il ne devait plus rester un seul vaisseau ennemi dans le ciel, d’ici un quart d’heure. Il faisait, là, un sacrifice, car les deux armées, à force égale, allaient se détruire mutuellement. Mais il n'en avait cure. Une nouvelle armée était prête à naitre. La sienne. Et qui devait s'imposer sitôt que l'armée Gaïahelle serait anéantie.
    Il observait le niveau de téléchargement sur l'écran holographique. L’information qu’il attendait arriva, enfin : « Programmations achevées… Vérifications effectuées… Disponibilité : 100%… Prêt à décoller… ». Sa force de frappe était disponible. Son plan d'attaque était imparable et il n'avait plus qu'à faire entrer toutes ses forces dans la bataille.
     La destruction éclair et massive de l'armée Gaïahelle était la condition sine-qua-non à la réussite de la mission fondamentale qui devait suivre. Cette dernière importait plus que tout. Le but de cette offensive était donc d'égarer l'armée Gaïahelle en la poussant à défendre ses stocks de neutrinite.
- Allons-y ! dit-il.
    Un des officiers déclencha l'attaque.
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   Dans la salle de haut-commandement de la Cité Proxima, la jeune Générale en chef de l’Armée Gaïahelle faisait les cent pas. L'alerte lancée par leur Mère leur était parvenue dès la prise d'otages dont celle-ci avait été la cible. La Générale la savait vivante par l'intermédiaire de la puce qu'elle portait en elle et se sentait un peu rassurée, mais elle redoutait en permanence que le pire soit programmé d'avance. L'attaque de l'armée d'Eterna finit de lui crever le coeur.
- Mouvement militaire de masse en direction de Proxima. Deux colonnes en progression, 16° Nord, 20° Sud...! Ils viennent de détruire l'escorte de la délégation...! s'exclama une officière.
   La Générale suivit la progression de l’ennemi sur l'écran de contrôle... deux longues files de petits points rouges luminescents qui tentaient de percer sa ligne de front sur les côtés. Dans quel piège voulait-on quelle tombe...? Quel piège se cachait derrière cette absurde stratégie de guerre...? Elle ne comprenait pas le retournement de situation qui venait de s'effectuer. D'un espoir de paix était née une guerre...! Dans quelles circonstances...? Par le fait des rebelles ou celui de la Reine-Mère...? Peu importait, tout compte fait, de le savoir car rien ne pouvait justifier une telle attaque.
    La seule réponse était la contre-attaque. La Générale ravala sa colère.
- Alignez la défense extérieure et la moitié des renforts pour un "corps-à-corps"...!         
    Son plan de défense était simple : détruire un maximum de vaisseaux ennemis afin de faciliter la protection des stocks de neutrinite et celle de la Cité. 
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    Comme dans toute salle de classe, un rêveur regardait les nuages se faire et se défaire dans le ciel, y découvrant d’étranges corps et faciès que les vents puissants et les remous créaient à foison. Celui-ci fut donc le premier à voir l'armée d'Eterna quitter sa base au grand complet pour survoler la Cité, puis se diviser ensuite en deux majestueuses colonnes de vaisseaux argentés qui disparurent au travers du plafond nuageux.   
    Son instituteur qui l'avait à l'oeil suivit le regard du rêveur et aperçut les bataillons de vaisseaux qui s'éloignaient dans le ciel. Il n'en tira pas les mêmes conclusions. Il prit discrètement son téléphone portable et chercha en vain à obtenir la communication. Il s’aperçut ensuite, en tentant de sortir de la classe, que l’ouverture du sas était bloquée et il comprit alors que quelque chose de grave venait d’arriver.
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    Ardan se pencha sur la rangée de onze corps allongée à ses pieds et aspergea chaque visage d’un gaz soporifique. Il portait un masque et des gants pour s’en protéger. Il fit un second passage pour être certain que les onze hôtes restent endormis aussi longtemps qu’il était nécessaire. Les œufs, encore posés en cercle au centre du labo, étaient devenus ternes et leurs corolles pendaient sur les coques comme de vieux pétales fanés. Les parasites, entassés dans un coin de la salle, agonisaient les uns sur les autres comme dans un panier de crabes.
    Ardan sortit de la "nurserie" et regagna la salle de contrôle. Il se dirigea aussitôt vers le réfrigérateur, ouvrit le compartiment du congélateur et en sortit une petite pince coupante emballée dans un sachet plastique transparent ainsi qu'une petite boite métallisée. Claire Baron, encadrée par ses deux gardes, le regardait faire. Elle le pensait fou-à-lier et le suivait du regard d'un air mauvais. Il se posta devant son pupitre, y posa le sachet et la petite boite, réduisit la fenêtre de son écran pour la coller dans un coin, entra de brèves données et fit apparaitre les images de surveillance du nid de xénomorphes.
    La Reine-xénomorphe dilapidait avec avidité les boules de sucs filés que les ouvrières s’épuisaient à lui confectionner. Les mâles semblaient plus nerveux; les dominants avaient tous délaissé leurs tanières pleines d’œufs. Ils chassaient dans la fosse, certains se reposaient sur la rive avant de replonger, et tous remontaient bredouilles. Ardan les observa un petit moment, puis murmura :
- Je vous emmène sur Terre, avec moi, mes beautés…! Là-bas, vous serez enfin libres...! 
    Un hoquet le surpris sur le dernier mot. Il plaqua sa main sur sa poitrine en grimaçant, sortit ses pilules de sa poche et en avala deux d’un coup. Il reprit ensuite la petite boite métallisée, en ouvrit le couvercle, puis en retira une sorte de dé-à-coudre empli de gel qu'il reposa sur le pupitre, avec la boite. 
- Regardez bien, Claire...! dit-il en se saisissant du sachet plastique. Il y a moins de détermination dans mon geste qu'il y en a dans leur volonté de renaitre...!  
    Il parla tout en sortant la petite pince coupante de son emballage. Il posa ensuite son index droit sur le tranchant des machoires d'acier, au niveau de la première phalange, se positionna juste au dessus de la petite boite et du lit de glace pilée qu'elle contenait, puis sans même détourner le regard, se cisailla le doigt. Le clignement nerveux de sa paupière droite traduisit le plaisir masochiste qu'il ressentit alors. 
    Le bout de phalange tomba au fond de la petite boite métallisée. Ardan recouvrit aussitôt la plaie avec le dé-à-coudre empli de gel, sans qu'une goutte de sang ne soit versée, et pinça les lèvres pour seule démonstration de sa douleur. Enfin, il se retourna vers Claire Baron.  
- Allons-y…! J’aurais aimé que vous assistiez à la fin du spectacle, ma chère, mais le temps nous est compté. Et de toute façon, vous les verrez bien assez tôt…!      
                                                                                     _

     Le chef de la sécurité revenait à l'instant de la salle de haut-commandement avec sa prisonnière et son escorte de policiers-androïdes. Il attendait le retour d'Ardan sur la plate-forme d'embarquement qui menait au "zoo". Il jubilait. Tous jubilaient. Tous les clones infestés par Foller jubilaient à l'unisson... car les clefs de la Cité était entre leurs mains, désormais... ainsi que la Reine-Mère. Leur union était totale et tous avaient l'esprit fixé sur le même but.
    A l'intérieur du sas-mobile, Ardan, un rictus de douleur figé sur le visage, tapait doucement du poing sur son sternum pour tenter de refouler le hoquet qui remontait de son oesophage. Derrière lui, Claire Baronne, retenue par ses gardes androïdes, le maudissait intérieurement. Cet homme l'effrayait au plus haut point. Cette volonté qu'il avait de renaitre en monstre le rendait monstrueux. Elle aurait voulu le tuer, là, à cet instant, pour que cela n'arrive pas.
    Enfin, la porte du sas-mobile s’ouvrit sur Horst et sa prisonnière.  Un immense sourire illumina le visage d’Ardan quand celui-ci rencontra le féroce regard que lui lança la Reine-Mère.
- Ah, Ellen…! J’aurais aimé vous embrasser avant de partir, mais je ne veux pas risquer de me faire mordre ! 
    Il s’approcha d’elle.
- Je vous laisse entre les pattes de nos chères petites bestioles. Elles seront, bientôt, assez affamées pour manger n’importe quoi et je pense que vous serez à leur goût !
    Il se tourna ensuite vers Horst et lui tendit la boite contenant sa phalange.
- Tu en auras besoin…!   
    Le Chef de la Sécurité s’en empara et la rangea dans sa poche. Il aperçut le regard éperdu que Claire Baron lança à la Reine-Mère en la croisant. Un regard qui en disait long, pensa-t-il. Il plaisanta sur le sujet :
- Vous pouvez vous faire un baiser d’adieu si vous voulez…!   
    Les deux femmes ne pouvaient que montrer leur mépris. Elles lui jetèrent un regard glacial en guise de réponse.
- Allons-y…! ordonna Ardan, tout sourire.
    Claire Baron fut poussé à sa suite par ses gardes. Elle s’exclama :
- Ne les laissez pas s’emparer de la Cité, Ellen…!         
    La Reine-Mère n’eut que le temps de pincer les lèvres pour lui exprimer son dépit avant que la porte du sas ne se referme sur le visage défait de la technologue.
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    Dans le grand amphithéâtre, la majorité des citoyens d’Eterna s’était regroupée en haut des gradins. Ils se protégeait derrière les dossiers qu’ils avaient arrachés aux fauteuils et empilés pour former une épaisse cloison. 
    Les tremblements et les vibrations provoqués par l'activation des tunneliers cessairent soudainement. Ne subsista qu’un faible crissement suraigüe qui s’évanouit très vite. Tout le monde se figea. La salle toute entière retint sa respiration. Puis enfin, après quelques secondes d’angoisse et de prières muettes, un des hommes postés près du sas jeta un coup d’œil à travers le hublot et discerna à l'autre bout les volutes de gaz verdâtre qui léchaient le vitrage opposé. Ce qu'ils avaient tant redouté venait d'arriver.
- Les gaz… ! Ils ont percé le dôme...!    
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    Dans le grand hall d’entrée, les tunneliers reculèrent lentement. Leur coque métallique racla les bords fondus des parois de diamantine tandis qu’ils s’extirpaient hors des larges ouvertures circulaires qu’ils venaient de percer dans le dôme de protection. Les vents du dehors s’y engouffrèrent aussitôt et poussèrent les brumes empoisonnées à l’intérieur. L’appel d’air accéléra le mouvement, et en peu de temps, le vaste espace s’emplit d’un épais brouillard verdâtre.    
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    Au cœur de la Cité Proxima, dans la salle de haut-commandement de l’Armée Gaïahelle, la colère était montée d'un cran. La jeune générale avait du mal à garder son calme. De son côté comme du côté de l'ennemi, les pertes étaient colossales et elle voyait fondre ses forces à chaque seconde. Elle comprenait qu'à l'issue du combat, son armée toute entière serait anéantie. Elle s'y était résignée. Mais était-ce, là, la seule volonté de l'ennemi...? N'allait-elle pas fragiliser une cible pour l'ennemi en concentrant ses troupes au mauvais endroit...? Elle devait très vite faire un choix.   
    La Générale s’exclama :
- « Envoyez toutes nos troupes…! Je ne veux pas en voir un seul, approcher de nos stocks ! ».
    Sur l’écran holographique, le combat faisait rage, les vaisseaux ennemis commandés par le Général Ayaki avaient percé leur première ligne de défense et se positionnaient maintenant sur plusieurs fronts pour attaquer les stocks de Neutrinite qui semblaient être leur priorité. Les renforts demandés apparurent à l’écran et foncèrent à la rencontre de l’ennemi... délaissant sans le comprendre la cible numéro un de ce dernier.                                   
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    Dans la salle de commandement d’Eterna, la satisfaction se lisait sur les visages. Le Général Ayaki afficha un orgueilleux sourire.
- Et voilà, la voie est libre…! Décollage immédiat ! 
    Son plan fonctionnait. Le commandement ennemi avait pris la décision de renforcer la protection des sites de stockages faussement ciblés et les combats se concentraient désormais autour des entrepôts de neutrinite. Le site de décollage du vaisseau supraluminique des Gaïahels, privé de sa défense aérienne, était à sa merci. Laissé sous la seule protection d'un bataillon d'infanterie et simplement défendu par une batterie de canons-laser, rien n'empêchait son approche. Y pénétrer pouvait s'avérer plus compliqué... sauf, peut-être, pour une personne. Cette très chère Claire Baron...! Et c'est donc elle que le Général prévoyait d'envoyer sur le site afin de tromper l'armée Gaïahelle. 
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    Au même instant, Ardan et sa prisonnière Claire Baron, enfoncés dans leur siège-baquet,  enclenchèrent les arceaux de sécurité. Les deux gardes-androïdes assis aux côtés de la technologue firent de même. Le Lieutenant Gobbi était au poste de pilotage. Le jeune officier avait rejoint Ardan et sa prisonnière à l'aérogare sur ordre du Général Ayaki. Sa mission était fondamentale et il se savait être un rouage essentiel dans la réussite du projet. Harnaché à son siège, ce dernier finit de programmer la destination et envoya l’ordre de décollage. Il confirma à haute voix :
- Lieutenant Gobbi à Q.G...! Ok pour décollage...!
     A l’extérieur, un large pan de la paroi du dôme de protection se releva, laissant entrer de violentes bourrasques de brumes qui enveloppèrent la navette de Claire Baron en un instant. La plate-forme s’avança lentement à l’extérieur de l’aérogare et se retrouva perchée en saillie à plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol. Par-dessous, le dôme illuminé de la Cité était comme une pente enneigée au dénivelé vertigineux.   
    L’aéronef prit son envol et s’éloigna rapidement de la Cité.
- Décollage confirmé...!
    Le lieutenant Gobbi attendit le "bien reçu" du Q.G pour couper la communication et se tourna ensuite vers Ardan : 
- On y sera dans moins de cinq minutes…!
    Puis il ajouta d’un air inquiet :
- Ça ira ?   
- Bien sûr, que ça ira…! Ce n’est pas aussi douloureux que tu le crois. J’aurais dû emporter un peu d’eau, c’est tout...!
    Ardan déglutit ses pilules, puis se frappa vigoureusement le sternum en grimaçant. Claire Baron, encadrée par deux gardes, se trouvait ceinturée sur son siège, face à lui, les mains attachées dans le dos. Elle observait son tortionnaire d'un air méprisant. C'est sous la menace et la torture que la technologue avait fini par lâcher le code viral d'accès à son vaisseau.  Un filet de sang avait formé une croute orangé sur son menton et une méchante entaille lui barrait la lèvre supérieure sur plusieurs centimètres. La blessure, pourtant profonde, commençait déjà à cicatriser. 
    Ardan la regarda droit dans les yeux, un méchant sourire figé au coin des lèvres.     
- J’aimerais vous persuader de m’aider sans avoir à vous torturer, "Baronne"…! Comprenez que je n’aurai guère le choix si vous refusez d’obéir à nouveau. Je m’appliquerai à vous arracher le nez, les lèvres et les paupières pour commencer !
   Il lui brandit sa petite pince coupante sous le nez.
- Ah, vous seriez moins appétissante, c’est évident....! À quoi bon vous sacrifier...! Cela ne ferait que reporter mon départ à un peu plus tard…!       
     Claire Baron toisa Ardan d’un regard empli d’une colère meurtrière. Ce dernier lui sourit d'un air cynique. Elle se détourna de lui avec mépris et jeta un œil à travers le hublot. Au sol, tandis que le vaisseau passait juste au-dessus, elle aperçut les six destroyers de son escorte, détruits et éventrés sur le tarmac qui les avait accueillis.  
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     Dans la salle de commandement de la Cité Eterna, le Général Ayaki ordonna aussitôt :
- Envoyez les leurres à leur poursuite…! 
    Il avait la ferme intention de berner l’Armée Gaïahelle dans les grandes largeurs. Mais il allait devoir la jouer serrée. Créer l’illusion. Jouer sur les sentiments. Heureusement... il était passé maitre à ce petit jeu de dupes et pensait avoir plus d'une chance sur deux de tromper les Gaïahels. Leur donner à croire que leur Mère avait réussi à fuir la cité Eterna était la première étape.
    Un des officiers programma un escadron de six chasseurs et le lança à la poursuite du vaisseau de Claire Baron.
- Escadron en formation...! annonça-t-il.
   Le Général Ayaki suivait le déroulement des opérations sur l'écran de contrôle avec une certaine sérénité. Le risque de voir Claire Baron sacrifiée et avec elle, son atout maitre... Ardan, n'était certes pas négligeable, mais il comptait avant tout sur le lien maternel puissant qui unissait le peuple Gaïahel à sa Mère génétique. La réaction prévisible de l'armée gaïahelle le conforta dans son opinion.
- Dix destroyers ennemis en approche...!
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    La Générale en chef de l'Armée Gaïahelle faisait face à un grave dilemme. Debout, au centre de la salle de commandement de la Cité Proxima, elle observait l'action en cours avec suspicion. Elle savait qu'une tentative d'infiltration était possible, mais elle ne pouvait se décider à abattre le vaisseau de leur gouverneure... de sa propre mère. La prudence lui commandait de le faire, le règlement l'y obligeait, et pourtant elle s'y refusait. Elle la croyait vivante et peut-être présente à bord du vaisseau; c'est pourquoi elle faisait reculer l'échéance.
- Essayez de contacter Mère...! Elle a peut-être réussi à fuir...! ordonna-t-elle. 
                                                                       
CHAPITRE N° 13

    Au même instant dans la cité Eterna, Horst, protégé par ses deux policiers-androïdes, avançait à grands pas à travers le hall du "Zoo", suivi de la Reine-Mère et de sa solide escorte. Il s’arrêta devant la porte du sas qui menait à l'observatoire, sortit la phalange d’Ardan de sa boite et la posa sur la languette de détection. « Accès autorisé… ». Le Chef de la Sécurité se tourna vers sa prisonnière.
- Je vous abandonne là, quelques heures, Ellen, en compagnie de vos protégés…! 
    Les robot-cops poussèrent la Reine-Mère à l’intérieur du sas de sécurité, puis l’entrainèrent avec eux à travers la salle d’observation du nid de la Reine xénomorphe, jusqu’à l’endroit désigné par Horst.
- Attachez-lui les mains à la rambarde…! ordonna le Chef de la Sécurité.
     Les policiers s'exécutèrent. Ils sortirent chacun un long filin d'acier qu'ils nouèrent aux poignets de la Reine-Mère avant d'en souder les attaches, puis qu'ils fixèrent à la rambarde métallique de la même manière.
- Vous allez devoir attendre encore un peu, Ellen...! Le temps que la nature fasse son œuvre…! 
     La Reine-Mère préféra ignorer le sous-entendu du Chef de la Sécurité. Elle lui jeta un regard froid, presque indifférent. Horst s’éloigna avec le reste de l’escorte, puis se retourna vers elle avant de pénétrer dans le sas :
- Attendez mon retour bien gentiment, Ellen… ! Soyez sage et tout ira bien…!
    Il crut suffisant de ne laisser qu’un seul policier-androïde pour monter la garde. Il referma le sas et disparut. La Reine-Mère posa ses mains sur la rambarde pour étudier ses liens. Deux paires de bracelets en carbo-titane, reliés par des câbles indestructibles; simple mais efficace. À ses pieds, devant elle, s’étendait la vaste verrière ovale en diamantine qui donnait sur le nid. Elle aperçut, au travers, la Reine xéno-morphe dans la semi- obscurité de son antre, les reflets ambrés de son énorme ventre empli d’œufs et de sa collerette géante ancrée au sol, puis le fourmillement des ouvrières et le passage fugace des grands mâles.
    Un calme étrange avait relégué sa colère à un niveau de conscience qu’elle n’avait encore jamais connue jusque là. Tous ses sens étaient en alerte. Son esprit tout entier percevait le lien qui l’unissait à toute sa communauté, à sa progéniture, à tous ceux qu’elle avait créés à partir de son adn... comme un sixième sens qui la connectait à eux.
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CHAPITRE 14

   Dans la salle de haut-commandement de la Cité Proxima, la tension était montée d’un cran. La jeune Générale en chef s'emporta brusquement.
- Salauds de kamikazes…! Ils veulent notre destruction, pure et simple...!
    Elle allait et venait, le regard fixé sur les écrans, réfléchissant à toute vitesse. Acculée, elle devait prendre une décision.
- Essayez encore de la joindre, exigez une réponse, faites les sommations d'usages et si elle ne répond pas…
    Elle hésita quelques secondes, puis ordonna :     
- Détruisez la navette...!
    Elle le dit malgré elle, mais avec la certitude de pouvoir revenir sur sa décision.   
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     Dans la salle de commandement de la cité Eterna, la tension était palpable. Chacun était conscient du rôle qu'il avait à jouer et de l'importance du moment. Un officier leva la tête de son radar en s'exclamant.
- Nous entrons dans leur champ de tir...!
    Le Général Ayaki jouait, là, son va-tout. Un peu de réalisme était maintenant nécessaire s'il voulait convaincre l'ennemi de sa détermination.
- Laissez-les prendre les devants et ne tirez qu’au dernier moment...! Une seule salve...! Puis entrez dans le combat...!          
     Les quelques missiles qu'il prévoyait de lancer sur le vaisseau de Claire Baron n'étaient destinés qu'à rendre son action plus crédible et à tromper l'ennemi. Tout au plus pouvaient-ils provoquer une brèche dans le bouclier de protection du vaisseau. Il savait aussi pouvoir compter sur la technologie des Gaiähels pour les faire intercepter avant qu'ils ne touchent leur cible. Et en définitive, à moins que l'armée Gaïahelle ne se décide à sacrifier sa propre Reine-Mère, le risque de voir le vaisseau abattu était pratiquement nul.        
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    Ardan attrapa les accoudoirs de son siège, brusquement secoué par l’embardée que le vaisseau effectua dès les premiers tirs. Claire Baron sursauta. Les faisceaux rougeoyants des lasers qui éclataient contre le bouclier magnétique se reflétaient sur sa peau luisante.
- Ne craignez rien, "Baronne"...! Ce n’est qu’une manœuvre pour tromper l’ennemi…! 
    Le vaisseau plongea à nouveau vers l’avant. Ardan reprit la parole :
- S’il vous croient aux commandes, vos petits soldats n’oseront pas tirer…! 
- Ils ont reçu l’ordre de me sacrifier et n’auront pas d’état d’âme comme vous le prétendez ! répondit la technologue en semblant l’espérer.
- Je vous parie le contraire...!  
 Le Lieutenant Gobbi, le regard braqué sur son radar, s’exclama :
- On ne va pas tarder à le savoir. Nous entrons dans leur champ de tir…!  
     Une dizaine de destroyers en formation triangulaire transperca la couverture nuageuse pour foncer droit sur eux. Les faisceaux laser de l'Armée Gaïahelle se croisèrent immédiatement avec ceux de leurs faux poursuivants. Ces derniers balancèrent leurs missiles à l'unisson. Les engins filèrent droit sur leur vaisseau et il ne resta plus à Ardan qu'une ou deux secondes avant de savoir si le piège fonctionnait. Les destroyers passèrent au-dessus d’eux et concentrèrent toute leur puissance de feu contre leurs faux poursuivants. Les missiles explosèrent avant d'atteindre leur cible, frappés de plein fouet par le système laser anti-missile de l'Armée Gaïahelle. 
- Ah, ah, ah, "Baronne"…! Ne le cachez pas. Je peux voir à quel point vous êtes soulagée d’être encore en vie…! Je savais pouvoir compter sur l’amour que vos sujets ont pour vous...!       
- Nous arrivons…! prévint le Lieutenant.
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    Le vaisseau ralentit, puis s’immobilisa dans les airs, au-dessus d’un immense hangar-sarcophage. Le Lieutenant posa, aussitôt, l’aéronef sur un des deux tarmacs qui se trouvaient au sommet et coupa les moteurs. Ardan se tenait debout face à Claire Baron. Elle avait le regard fixe. Les deux gardes postés à ses côtés la tenait par les épaules. La technologue resta immobile, figée dans son mutisme. Ardan s’énerva :
- À quoi vous jouez, "Baronne". Faut-il encore que je vous force…?! Emmenez-la...!   
   Les deux robot-cops la soulevèrent de son siège, la trainèrent jusqu’au poste de pilotage et la firent asseoir face au clavier de contrôle. Le Lieutenant Gobbi lui laissa les commandes.
- N’essayez pas de gagner du temps, c’est inutile. Je vous laisse une seconde…! lui lança Ardan en ponctuant sa dernière phrase d’un clignement nerveux de la paupière droite.
    La technologue  ne broncha pas d’un millimètre. 
- Immobilisez-la…! ordonna Ardan.
    Les deux androïdes saisirent Claire Baron par les épaules et la plaquèrent contre le dossier de son siège, écrasant ses cuisses avec leurs genoux et lui collant les bras au corps. La douleur la fit gémir. Ardan se posta derrière elle, l’agrippa par les cheveux et lui tira violemment la tête en arrière.
- Je vous avais prévenu, "Baronne"…! Décidez-vous ! souffla-t-il au visage de la technologue en faisant claquer les mâchoires de sa petite pince coupante l’une contre l’autre.   
    Claire Baron serra les lèvres de toutes ses forces quand le pic de métal froid se posa au coin de sa bouche, tout près de l’entaille qui lui avait déjà été faite. Ardan remonta la pince, glissant lentement sur la peau duveteuse, enfonça chacune des pointes dans les narines de la technologue, puis serra tout doucement. La technologue entendit parfaitement le bruit que fit le métal aiguisé contre son cartilage en le découpant. Elle s’écria :
- Ok…! Ok !
     Puis un flot de larmes s’écoula sur ses joues.  
- Pleurez, pleurez, "Baronne", vous aurez moins de peine…! s’exclama Ardan, en essuyant la pince ensanglantée et fumante sur le col de sa victime. Il la fit claquer en la refermant, puis la glissa dans sa poche, avant de reprendre :
- Allez, faites-nous entrer, maintenant ! 
    Claire Baron ferma les yeux pour faire cesser ses pleurs et redressa la tête. Une goutte de sang perla de sa blessure, glissa sur sa lèvre fraichement entaillée, tomba sur son menton, puis glissa par-dessous, le long de son cou, pour aller se perdre dans son corsage. 
- Laissez-lui les mains libres…! ordonna Ardan.
    Les deux robot-cops relâchèrent leur étreinte. La technologue se pencha, alors, sur son clavier et ordonna l’ouverture du sas. La plate-forme d’atterrissage s’enfonça à l’intérieur du bâtiment, emportant le vaisseau avec elle.     
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CHAPITRE 15

                                                                                                                                                           
    Ian Horst se trouvait dans salle de contrôle du "zoo". Il pianotait sur le clavier, debout face au pupitre de commande. Il réduisit tout d’abord l’image des onze clones endormis dans la "Nurserie", puis fit apparaitre chaque salle d’observation. Il vérifia en premier lieu, celle où la Reine-Mère était enfermée.  Elle s’y trouvait toujours, entraves aux poignets, et sous bonne garde. Il inspecta ensuite chacune des quatre grandes cavernes qui composaient le nid. L’antre de la Reine, les tanières des grands mâles, puis l’usine à boulettes des ouvrières et enfin la fosse. Les xénomorphes mâles, tous massés autour du bassin, semblaient en plein désarroi. Certains d’entre eux se disputaient violemment les restes d’une carcasse de poisson décharnée. Horst les observa un instant, puis réduisit les fenêtres. Il tapa quelques données sur le clavier et fit apparaitre le scanner complet du bâtiment.          
     Deux points lumineux indiquaient l’emplacement précis des tunneliers et des pointillés en montraient la trajectoire programmée. En plein dans le mille. A l’extérieur, les deux monstrueux engins postés aux abords du "Zoo" attendaient d’en percer les soubassements pour pouvoir y pénétrer. Les Véloces étaient vraiment de terrifiantes machines...! pensa Horst. Et toujours d'une grande utilité...! 
    Il saisit son portable pour appeler la salle de haut-commandement et plus directement le Général Ayaki. 
- Ok, Général…! Vous pouvez y aller ! ordonna-t-il.
     Les deux points lumineux se mirent instantanément à clignoter. Horst surveilla leur avancée durant quelques secondes, puis  ré-afficha l’image de la Reine-Mère, prisonnière dans la salle d’observation n°4. Il l’observa d’un regard empli d’une avidité malsaine. Il y apposa ensuite la vision macabre des onze martyrs étendus sur le sol de la "Nurserie" et resta, là, à imaginer ce qui allait en sortir. Il pensa à ses onze chères petites créatures qui au même instant grignotaient l’intérieur des malheureux sacrifiés.
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CHAPITRE 16

    Ardan sortit de l’ascenseur en titubant, s’arrêta net, puis se redressa pour inspirer. La sueur perlait à son front et des larmes lui noyaient les yeux. Les doigts tremblants, il ouvrit la boite de pilules qu’il tenait serrée dans son poing, en fit tomber trois dans sa paume et les avala d'un trait. Il respira fort pour s’oxygéner, toussa deux ou trois fois, réajusta son micro, puis demanda d’une voix éraillée :
- Dans quelle direction tu m’as dit d’aller…?! 
- Tout de suite à droite, en sortant de l’ascenseur…! répondit le Lieutenant Gobbi. Tu es sûr que ça va aller…? demanda-t-il ensuite d'un air inquiet.
- Oui, oui, c’est rien. Ce sont les effets secondaires du retardant, c’est tout…! Ça ira ! répondit Ardan en s'engageant dans un large couloir.
- J'y suis presque...! 
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- Ok…! J’ouvre le sas !     
    Le Lieutenant Gobbi tapota quelques données sur le clavier de commande et envoya l’ordre. Claire Baron, les yeux rougis et la machoire serrée, était assise à côté de lui, menottée à son siège. Une coulure de sang séché lui barrait la bouche de la base du nez jusqu'au bas du menton. "Ouverture du sas effectuée..." s'afficha à l'écran.
- Continuez comme ça, Claire, et je vous prouverai ma clémence...!               
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    Ardan pénétra à l’intérieur du sas mobile d’embarquement et alla se planter devant le hublot.
- Ça y est…! Je le vois ! prévint-il.
    Face à lui, majestueux, étincelant, impressionnant par sa taille autant que par sa forme, se trouvait l’imposant vaisseau supra-luminique. Il admira le chef-d’œuvre. L’engin brillait comme un bijou de platine au centre de l'imposant hangar-sarcophage. L’immense structure en arche qui contenait le système de propulsion électromagnétique le faisait ressembler à une mandibule de scarabée géant. 
    Ardan sentit la sueur perler à la surface de son front. Il s’essuya du revers de sa manche et soudain il grimaça de douleur. Il se frappa le sternum avec le poing et hoqueta plusieurs fois en tentant de ravaler les remontées acides qui lui brûlaient la gorge. Le peu de pilules qu'il lui restait n'allait peut-être pas suffire...! se dit-il en ouvrant le flacon d'une main fébrile. Il jeta le capuchon à ses pieds et en avala le contenu d'un seul coup. 
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     Le Lieutenant Gobbi tenait la petite pince coupante dans sa main et la faisait claquer machinalement dans le vide. Toutes les données concernant le vaisseau supra-luminique s’alignaient sur l’écran de contrôle, devant lui. « Confirmez destination Système Solaris. Planète Alpha. B. 12. 30°.07 N / 6°.73 E » s'afficha à l'écran.  Il confirma d’un clic. La réponse ne tarda pas et il l'annonça aussitôt à Ardan :  
- Embarquement autorisé…! C'est presque gagné...! Tu te souviens des instructions…? Ok, j’attends que tu sois en place...!
    Il se tourna vers Claire Baron.
- J’espère que vous êtes toujours bien disposée, "Baronne"…! dit-il en faisant claquer la petite pince coupante.
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    Le sas-mobile d’embarquement se mit en branle. Les flancs du vaisseau supra-luminique se dressèrent, peu à peu, devant Ardan, aussi haut qu’une muraille. Celui-ci regarda fixement le curieux et suggestif orifice d’accès vers lequel le sas-mobile se dirigeait. L’avant du sas s’encastra parfaitement dans l’organique encadrement du portique, puis la porte se déverrouilla, laissant apparaitre un hymen de métal noirâtre. Les sept épaisseurs de panneaux s'écartèrent les unes des autres, ouvrant un large passage ovoïde sur l’intérieur du vaisseau.    
    Un air glacial frappa Ardan au visage et glissa sur sa peau brûlante. Un frisson le parcourut des pieds à la tête. Il franchit le sas et se retrouva dans l'obscurité du vaisseau. La lumière blafarde émise par le sol laissait les cloisons du vaste couloir dans la pénombre et seuls de pâles reflets qui luisaient sur les arrêtes saillantes des structures de soutien en dévoilaient la fantastique architecture. Ardan s’enfonça dans les entrailles du vaisseau, sa minuscule silhouette faiblement éclairée par le tracé de lumière que le sol émettait pour le guider. 
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    Les deux robot-cops encadraient Claire Baron et la maintenaient par les épaules contre le dossier de son siège. Le Lieutenant Gobbi se tenait juste derrière elle, une mèche de ses cheveux roux entre les doigts. Il tira dessus et en coupa la pointe avec sa petite pince. Puis, il recommença avec une autre mèche.
    L’écran afficha : « Décollage autorisé… Entrez votre code… ».
- J’espère que vous ne ferez pas de difficultés, cette fois-ci. Le moindre refus et je vous mutile sans pitié. Je ne vous le demanderai pas deux fois….! Vous finirez en steak, s’il le faut...! menaça le Lieutenant.    
    Claire Baron serra les dents. Sa propre lâcheté la dégoûtait. Elle se retint de pleurer et ferma les yeux quelques secondes. Elle savait pourtant que rien n’était perdu et que cette faiblesse d’âme ne changeait rien à sa détermination. 
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    Ardan pénétra dans la salle d’hibernation entièrement nu et marcha jusqu’au chariot élévateur. La grande salle circulaire aux hautes parois alvéolées ressemblait à une immense ruche. Un chariot à sustentation était posé à la verticale au centre de l’immense salle, prêt à l’accueillir. Le jeune généticien s'en approcha, monta sur le socle, s’adossa à la couche de métal micro-percée, posa ses mains sur son estomac et murmura :
- Nous sommes prêts…! 
    Le chariot élévateur bascula, se mit lentement à l’horizontale, puis transporta Ardan jusqu’à son réceptacle... un compartiment placé au milieu de centaines d’autres, tous parfaitement identiques. Sa couche glissa dans l’étroit conduit octogonal censé l'abriter. Ardan eut la désagréable impression de s’introduire dans son propre tombeau quand il s’enfonça à l’intérieur de l’alvéole.
    Il pensait ne jamais en ressortir quand la porte se referma hermétiquement sur lui et le laissa dans la plus profonde obscurité. Il sentit son corps se réchauffer progressivement, puis se mettre à flotter en apesanteur. Une sensation de bien-être l’envahit et il s’endormit paisiblement les mains posées au creux de sa poitrine. À l’extérieur, une petite lumière rouge et solitaire signalait son emplacement dans l’empilement de compartiments vides.  
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    Le Lieutenant Gobbi laissa filer la  chevelure de Claire Baron entre ses doigts quand celle-ci se pencha vers le pupitre de commande. Il resserra brusquement le poing, la stoppant net dans son élan, et la technologue dut tendre les bras pour atteindre le clavier de contrôle. Résignée, elle entra son code dans l’ordinateur sans rechigner, puis elle posa le bout de son index sur la languette de détection. L’écran afficha : « Compte-à-rebours autorisé… Confirmez votre code… ». Elle réitéra la manœuvre.
    Les forces phénoménales du vaisseau supraluminique s'éveillèrent soudainement et le Lieutenant sentit instantanément le sol vibrer sous ses pieds. La sensation de puissance le submergea. Le torrent d'infra-basses magnétiques se déversa à travers lui tel un orgasme et il s'en abreuva avec délectation. Il exultait...! La première étape était franchie. Encore quelques secondes et un pouvoir libérateur serait entre ses mains... ou plus exactement entre celles du "futur Ardan". Car Ardan n'était que l'enveloppe d'une graine destinée à germer, à essaimer, à envahir et enfin à tout transformer. Ardan parti... "Il" devenait libre comme l'air...!
 - Mise à feu dans dix secondes... neuf... huit...
    Le Lieutenant décompta les secondes en silence, tirant nerveusement sur la chevelure de sa prisonnière.    
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    L’immense hangar-sarcophage se sépara en deux par le milieu et chacune des deux parties du bâtiment glissa d’un côté le long des rails de guidage, laissant peu à peu apparaitre le gigantesque vaisseau supra-luminique dans toute sa splendeur. Un épais brouillard s’engouffra peu à peu dans l’ouverture et recouvrit le fantastique appareil d’un fantomatique manteau de brume aux volutes tourmentées. Quand, enfin, le tarmac fut entièrement à découvert, les moteurs magnétiques s’allumèrent. Une insupportable vibration infra-basse secoua l’atmosphère et souffla instantanément l'épais brouillard qui enveloppait le vaisseau, créant un vide parfaitement sphérique autour de celui-ci.  
    Au même instant, le corps d’Ardan, inconscient à l’intérieur de son alvéole, apparut en négatif. Son aura émit soudain une fine lumière noire et à la même seconde, alors que son corps tout entier commençait à se désatomiser, l’horrible créature qu’il avait retenue en lui, jaillit de son abdomen. La silhouette décharnée du petit être monstrueux émit une lueur pourpre, puis une intense lumière blanche les fit disparaitre tous les deux, tous les atomes de leur corps figés en un aveuglant éclat. Prêts pour le grand voyage...
   A l'extérieur, le vaisseau supra-luminique s’éleva au dessus du tarmac, repoussant toujours plus loin les remous de brumes empoisonnées que la puissance du moteur magnétique provoquait tout autour de lui. Le calme qui régnait au sein de la sphère électromagnétique qui le portait n’était qu’apparent. Les surpuissants courants d’ondes qui y faisaient le vide la parcouraient en tous sens à des vitesses phénoménales et pouvaient, s’ils n’étaient plus contrôlés, pulvériser tout ce qui se trouvait sur leur passage à plusieurs milliers de kilomètres à la ronde. Le vaisseau était l’œil même du cyclone.
   Situés dans chacun des gigantesques ailerons du vaisseau, les super-aimants du moteur électromagnétique généraient et contrôlaient les forces incommensurables produites par la Neutrinite. Un arc électrique apparut soudain entre les extrémités recourbées des deux longues structures cylindriques et courut tout le long pour former une arche de feu blanc. Le rayon s’intensifia aussitôt et s’élargit vers l’intérieur, emplissant rapidement l’espace qui séparait les deux ailerons d’une éclatante lumière blanche. Il s’amplifia encore, puis gonfla comme un ballon avant de se stabiliser.
    Le vaisseau se mit à scintiller sous l’intense éclat qui emplissait la bulle magnétique. Des éclairs se formèrent à la surface de la sphère lumineuse et vinrent frapper le sol. Les intenses arcs électriques étaient comme les doigts d’une main qui semblaient soutenir le vaisseau. Celui-ci monta encore. Le rayonnement émis par les générateurs le faisait briller comme un soleil. Un dernier éclair s’étira vers le bas en tremblotant avant de lâcher prise. Le vaisseau s’éleva brusquement, se perdit dans l’épaisseur du brouillard et ne fut bientôt plus qu’un faible halo s’évanouissant à travers l’épaisse couverture nuageuse qui plombait le ciel.
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- Il fallait le voir pour le croire…! Quelle merveilleuse technologie vous aviez entre les mains, "Baronne". Leurs concepteurs, eux-mêmes, en serait admiratifs. Toutes mes félicitations…! Saviez-vous que j’ai fait partie, il y a quelques années, d’une équipe d’étudiants qui a travaillé sur certains aspects de sa conception. Quelle coïncidence, n’est-ce-pas…! Je crois même me souvenir que vous avez utilisé quelques une de nos suggestions pour obtenir des améliorations. Je ne pensais pas que vous réussiriez si vite. Vous savez que vous auriez pu me devancer de quelques mois si vous n’aviez pas accepté cet accord…! Le destin en a voulu autrement...!     
    Le lieutenant Gobbi avait repris place au poste de commande et tout en parlant, observait le déroulement des opérations sur l’écran holographique. Les données informatiques s’inscrivaient dans de multiples fenêtres disposées autour de l’encart principal, une vue satellite de la planète, d’où il put suivre la trajectoire du vaisseau dès sa sortie hors atmosphère.
    C’est une boule de lumière blanche soudain libérée de son cocon de brumes empoisonnées qui apparut et s’éleva au dessus de l’horizon dans un ciel noir empli d’étoiles. Celles-ci étaient si nombreuses à un endroit que leur lumière se rejoignait en un vaste halo qui indiquait l’emplacement du gigantesque amas central de la Voie-Lactée.
    Le vaisseau illuminé partit dans le sens opposé et s’éloigna très vite de la planète Eternity, filant dans la nuit cosmique telle une comète. Il accéléra durant quelques secondes, puis disparut soudain dans un flash aveuglant. La seconde d’après, il ne restait plus qu’un interminable trait lumineux qui se perdait dans les confins de l’espace et qui se mit immédiatement à se consumer, depuis son point de départ, comme une mèche à retardement. Le vaisseau avait laissé la lumière derrière lui, la clouant quasiment sur place. Le Lieutenant Gobbi était admiratif.
- Sept fois la vitesse de la lumière…! Bravo, Baronne, c’est remarquable. Cela nous donne…?! 7347 années de distance. Dix fois moins qu’à l’aller. Les terriens vont être surpris de me voir arriver...! 
- Ils seront au courant de votre départ et vous détruiront avant que vous n’arriviez à destination…! 
- Vous oubliez les Militaires…! Eux aussi recevront le message et ils seront très heureux de m’accueillir parmi eux. Eh bien, voilà une bonne chose de faite…! se réjouit le Lieutenant en se retournant vers la technologue.
- Passons maintenant à ce qui vous concerne, "Baronne"…! Dans moins d’un quart d’heure, nos deux Armées se seront mutuellement anéanties et vous ne pourrez plus compter que sur le courage de vos concitoyens pour vous aider. Ce qui ne vous laissera pas grand monde, vous en conviendrez…! Une poignée de fidèles et quelques escadrons de police ne résisteraient pas longtemps à la détermination de mes combattants. Je m’en voudrais, d’ailleurs, de devoir exterminer toute la colonie et de ne pas pouvoir profiter de tous ces talents. Je vous suggère, donc, de les convaincre de capituler avant qu’il ne soit trop tard. Vous éviterez un bain de sang inutile…! Je crois qu’il est temps que les deux entités de cette planète n’en fasse plus qu’une. Que nos deux grandes Cités n’aient qu’un seul Maitre…! Vous échapperez à cette adversité qui vous a tant coûté et vous serez libre de vivre le grand amour dont vous avez toujours rêvé. N’est-ce pas, là, votre plus grand désir…?! Ah, ah…! J’ai touché le point sensible. Allons, "Baronne", ne jouez pas les hypocrites. Jetez vos frustrations et vos scrupules au feu…! Vous n’avez qu’un ordre à donner pour m’ouvrir les portes de Proxima et retrouver votre liberté ! 
   Claire Baron bouillait d’une violente rage intérieure qu'elle avait du mal à dissimuler. Elle resta pourtant sereine, concentrant toute son énergie vers une seule pensée : combattre...! Comment...? En usant de la vanité de son ennemi...! En l'accompagnant dans son élan jusqu'à la chute...!
                                                                          
CHAPITRE N°17

    Horst regardait la surface de l’eau trembloter dans son verre. Il leva les yeux vers l’écran, jeta un coup d’œil sur sa prisonnière, puis se remit à surveiller la fosse. Les mâles xéno-morphes dispersés tout autour semblaient prostrés dans l’attente d’une catastrophe imminente. Il vérifia à l'écran la position des Véloces avant de reprendre sa surveillance. Les tunneliers se trouvaient maintenant à seulement quelques mètres des fondations et du nid des xénomorphes.
    Toute cette débauche de technologie avait un sens. L'idée même d'utiliser les Véloces avait été un élément essentiel dans la réussite du projet. Leur vélocité, comme leur nom l'indiquait, en était un atout majeur. Rapide, efficace, sécurisé et difficile à stopper, le tunnelier avait été l'outil indispensable pour accélérer les opérations et éviter des préparatifs en amont. Les engins s'avéraient une fois encore d'une utilité redoutable.    
    De puissantes vibrations secouèrent l’intérieur du nid. Le bruit devint vite épouvantable. Inquiets, les xénomorphes se mirent à siffler et à cliqueter à tout-va, cherchant instinctivement à fuir le danger. Ils ne connaissaient que trop bien les tremblements de terre et les éruptions. Tout cela était inscrit dans leurs gènes. 
    Les secousses augmentèrent en intensité. Les xénomorphes affolés se dispersèrent à l’instant même où la roche se vitrifiait sous la brûlure des lasers. Un cercle de lave semi-liquéfiée se forma sur la paroi de la caverne, puis explosa en milliers de minuscules morceaux incandescents, mitraillant les alentours. Ce fut une débandade générale.      
    Le premier tunnelier jaillit de la percée et plongea dans la fosse. Le deuxième transperça la roche à l’opposé quelques secondes plus tard et tomba sur la rive dans une épaisse couche de sable noir au milieu des xénomorphes affolés. Puis se fut le silence…! Pour les xénomorphes, l’alerte était passée. La terre ne s’était pas ouverte sous eux, la lave en fusion n’avait pas jailli de ses entrailles pour submerger leur territoire. La frayeur céda très vite le pas à la curiosité.     
    Plusieurs mâles décidèrent de jouer les éclaireurs et grimpèrent la paroi rocheuse jusqu’à l’une des ouvertures. Ils se tinrent agrippés au bord du large conduit enfumé et encore rougeoyant, et se mirent à en sonder l’intérieur. Ils restèrent un court instant dans l’expectative, puis l’un d’eux s’y aventura, avançant prudemment entre les flaques de roche en fusion. Un second le suivit peu après et s’enfonça derrière lui dans les ténèbres brûlant du tunnel.
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    La Reine-Mère avait ressenti les vibrations qui venaient d'ébranler le nid, ainsi que le désarroi qui s’était emparé des xénomorphes. Elle se méfiait, maintenant, du calme qui régnait et observait le comportement de la Reine xénomorphe à travers la coupole de diamantine qui la séparait d'elle. Agenouillée, tenant la rambarde de ses deux mains, la tête penchée en avant, elle semblait en prière.  
    Au même moment, la Reine xénomorphe regarda dans sa direction, forçant sur l’immense collerette qui lui ceignait le crâne et la retenait ancrée au sol. L'animal resta quelques instants le nez en l’air à dévisager la Reine-Mère de sa face sans yeux, reconnaissant l'aura caractéristique et si familière de celle qui lui avait donné la vie.
    Autour d’elle, les ouvrières affamées s’étaient remises au labeur, tirant le dernier suc de leur mamelles épuisées. Leur procession s'était reformée et une nouvelle boulette nutritive atterrit bientôt dans la poche ventrale de la Reine-xénomorphe. Cette dernière la porta à sa gueule. Elle n’eut pas le loisir de mordre dedans. Elle arrêta soudainement son geste. La pelote de suc lui tomba des pattes et alla s’écraser sur le sol. Un sifflement jaillit, alors, du fond de sa gorge. Une longue plainte qui s’éternisa en s’amplifiant.  
                                                                        _                                                                        

     Autour de la fosse, les mâles xéno-morphes, hésitants, attendaient le retour de leurs deux congénères partis en éclaireurs. Trépignant aux abords des percées creusées dans la roche, des mâles plus aventureux mais tout aussi indécis en sondait l'intérieur. Flairant, cliquetant et avançant parfois de quelques pas avant de vite rebrousser chemin. Ils se figèrent soudainement, comme frappés de stupeur. Des cliquetis affolés mêlés au bruit d'une cavalcade effrénée les fit sursauter. Ils se mirent tous à bondir et à fuir de tous côtés lorsque les deux éclaireurs, revenant sur leurs pas, surgirent comme des diables hors du conduit en faisant vibrer leur crâne de toutes leurs forces pour les alerter. Un sauve-qui-peut général résonna soudain contre les hautes parois de la grotte et se propagea à travers le reste du nid.   
    Les xéno-morphes se jetèrent dans une furieuse mêlée, se bousculant et se piétinant les uns, les autres pour tenter d’atteindre les différents points d’accès qui menaient vers la salle des ouvrières. Ces points d'accès, à l'origine bien plus large, avaient été édifiés par les mâles eux-même dans le but de réduire la taille des issues. Une stratégie de défense commune à de nombreuses espèces.  De fait, le monticule de boue séchée, érigé en barrage, ralentit considérablement leur fuite. Des attroupements chaotiques se formèrent devant les points d'accès, provoquant de graves désordres et une terrifiante adversité.
    Les mâles se défièrent et finirent par se battre entre eux pour tenter de s'imposer. Leurs menaçantes mâchoires claquèrent tout d’abord dans le vide, puis ils en vinrent aux morsures. Leurs proéminences colorées se ravivèrent et leurs membres s’enchevêtrèrent en un chaotique combat de survie. Les plus furieux finirent par libérer les passages à coups de queue et de griffes et s’échappèrent par les étroits couloirs.
    Les brumes empoisonnées du dehors jaillirent soudain des deux percées faites par les tunneliers. Le gros nuage verdâtre se propagea rapidement et enveloppa les quelques mâles qui n’avaient pu évacuer les lieux. Ceux-là respirèrent de nombreuses bouffées de gaz neurotoxique et se mirent aussitôt à tousser et à cracher sans pouvoir s’arrêter. Ils réussirent, malgré tout, à fuir et s’enfoncèrent dans les passages en titubant.   
    Les mâles xénomorphes débouchèrent les uns après les autres dans la salle des ouvrières et la traversèrent à toute vitesse, bondissant les uns par-dessus les autres tel un troupeau affolé. Les ouvrières s’écartèrent sur leur passage et restèrent un instant sans réaction. Puis soudain, toutes comprirent qu’il en allait de leur survie. Des centaines de boules nutritives roulèrent sur le sol, ralentissant la fuite éperdue des mâles qui glissèrent dessus et chutèrent au milieu de leurs congénères dans la plus totale confusion.
    Les mâles ne cherchèrent même pas à résister au flot d’ouvrières tant elles étaient nombreuses et ils se contentèrent de suivre le mouvement. Une grande partie des xénomorphes réussit à se faufiler par les issues pour rejoindre l’antre de la Reine avant que les gaz n'atteignent leur abri. Les autres se retrouvèrent coincés, bien forcés de  respirer le poison qui les enveloppa. Les effets du gaz se firent vite ressentir, les asphyxiant et leur brûlant les poumons, leur brouillant l’esprit, puis les rendant incontrôlables.
    Peu à peu, tous les xéno-morphes empoisonnés par les gaz se retournèrent les uns contre les autres, plantant leurs crocs et leurs griffes acérés dans tout ce qui passait à portée. S’arrachant des morceaux de carapaces et y creusant de profondes blessures. Les mâles fouettaient l’air de leurs puissantes queues dardées, tournoyant comme des possédés, embrochant des ouvrières à qui mieux-mieux, leur transperçant le crâne, les flancs ou les membres, avant de les éjecter au loin. Le combat dégénéra, bientôt, en un vaste carnage. Tous y passèrent et finirent agonisants dans leur sang au milieu d’un brouillard verdâtre.
    Une large moitié du nid, épargnée par les gaz empoisonnés, avait pu rejoindre la Reine et attendait, effrayée, la suite des évènements. Le gaz ne tarda pas à s’engouffrer à l’intérieur du "nid" et commença à l’envahir. C’est là, que Horst intervint.       
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    Le Chef de la Sécurité prit les opérations en mains. Il s'agissait, pour lui, de repousser les xénomorphes mâles et ouvrières à l'intérieur des bâtiments et d'en faire les gardiens naturels des lieux. La menace devait suffire à effrayer les civils de la Cité et à empêcher, si ce n'est à retarder toute tentative de contre-attaque de leur part. Il comptait aussi sur la présence des xénomorphes dans les salles d'observation et dans le hall du "Zoo" pour se prévenir d'une possible évasion de la Reine-Mère.
    Horst programma la mise en fonction du récupérateur de cocons. L’engin, un demi cylindre d’environ un mètre cinquante de haut sur deux de long et pesant plusieurs tonnes, se glissa hors du sas de sécurité. Une fois que le massif robot-récupérateur en fut totalement extrait, Horst commanda la réouverture du sas.
    « Pour ôter la sécurité, entrez votre code… » s’inscrivit à l’écran. Le Chef de la Sécurité sortit le bout d’index de sa petite boite réfrigérée, le posa sur la languette de détection, puis tapa le code que Ardan lui avait révélé. « Ouverture autorisée… ».    
    Le panneau-presse qui fermait le sas, recula, puis coulissa sur le côté. La manœuvre n’avait pas manqué d’attirer l’attention des xénomorphes qui y virent leur ultime chance de survie. Les premiers s’élancèrent dans le sas de sécurité après en avoir rapidement flairé l’air ambiant, puis tous les autres se ruèrent derrière eux dans une indicible confusion. Horst suivit leur progression à l’intérieur du bâtiment, leur ouvrant un sas après l’autre, libérant un passage, puis un autre, et les menant ainsi où il le désirait.     
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    La Reine-Mère assista au massacre sans broncher. Toujours agenouillée au bord de la coupole de diamantine, les bras retenus en arrière par ses entraves, elle regardait la Reine-xénomorphe et souffrait avec elle. De nombreux xénomorphes, mâles et ouvrières, intoxiqués par les gaz empoisonnés et parfois blessés par leurs congénères, agonisaient sous ses yeux. La plus lente et cruelle agonie fut celle de la Reine.
     Après avoir envahi la fosse et la salle des ouvrières, le nuage toxique s'infiltrait maintenant par les accès menant à l'antre de la Reine, expirant ses lourdes volutes de gaz en de minces filets verdâtres qui rampaient sur le sol. Les brumes empoisonnées s'étendirent en serpentant au travers du nid, puis enflèrent et enflèrent encore jusqu'à emplir tout l'espace.
    La Reine xénomorphe se mit à gémir, puis à siffler de frayeur tandis que les brumes de gaz s’enroulaient en volutes autour d’elle. Des dizaines de corps se tordaient de douleur, à ses côtés, noyés dans une épaisse nappe de brouillard. Gesticulant de tous ses membres, elle tira sur sa collerette ancrée au sol dans le vain espoir de s’en défaire; ses pattes inférieures, atrophiées, gigotaient dans le vide comme deux paquets de chair morte. De violentes contractions firent brusquement onduler les anneaux de son immense utérus externe qui perdit, peu à peu, sa transparence et sa douce couleur ambrée. Des centaines d’œufs furent littéralement éjectés à plusieurs mètres de distance, jaillissant les uns après les autres par l’orifice moribond.  
    Tous ces efforts finirent par affaiblir la malheureuse Reine. Ses gestes se ralentirent, ses cris de détresse s’éteignirent et au bout d’un moment, elle se résigna. Elle leva douloureusement la tête, tendit une dernière fois sa face sans yeux vers la Reine-Mère... et mourut.
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    La Reine-Mère se redressa lentement et lança un regard plein d’une rage contenue vers les caméras de surveillance. Horst qui l'observait à cet instant, répondit à son regard vengeur en affichant un sourire dédaigneux. Son plan avait parfaitement fonctionné. Aucune chance pour qu'elle s’évade, maintenant que la troupe de xénomorphes survivants avait investi le "zoo". Il pouvait sereinement attendre que les opérations suivent leur cours. 
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     Les citoyens d’Eterna, pris en otages à l’intérieur de l’amphithéâtre, s’étaient finalement résignés, non pas au pire, mais à l'incertitude. Un certain relâchement s’était installé et ils semblaient moins effrayés par la présence des gardes-androïdes et des paquets de bombe qui se trouvaient sur la scène. Des vivres sous emballages, précédemment arrachées au distributeur, étaient entassées en bas des gradins et certains d'entre eux s'étaient portés volontaires pour les distribuer. Ils remontaient les allées des tribunes, les bras chargés de nourriture. Swan Borman donna un ordre à sa collègue. Celle-ci se retourna aussitôt après vers la foule des citoyens, dont la majorité était toujours cachée en haut des gradins, pour faire une annonce :
- Les adultes devront attendre d'être trop affamés pour obtenir une ration. Les enfants sont prioritaires durant les douze prochaines heures...!
    Quelle dérision, pensa Swan Borman, alors que l’avenir et, peut-être, la survie de la Cité étaient en jeu. 
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CHAPITRE N°18

    Le Lieutenant Gobbi tamponna délicatement la lèvre supérieure de Claire Baron avec un bout de coton mouillé pour en nettoyer la blessure.
- Voilà, ça ne se voit déjà presque plus…! C’est parfait. Je ne risque plus de passer pour un tortionnaire !
    Il retira ensuite le filet de sang coagulé qui avait coulé sur son menton, le long de son cou, et jusqu’à l’orée de son corsage. 
- Il serait vraiment dommage que vous ne profitiez pas de si beaux atouts, Baronne…! 
    Il se redressa et recula de deux pas.
- C’est pratiquement invisible…! À vous de jouer, maintenant ! 
    Il regarda le bout de coton ensanglanté qu’il tenait entre ses doigts, le plia en deux et le mit machinalement dans sa poche. Il alla ensuite se poster derrière la technologue, posa les deux mains sur le dossier de son siège et prit un air vainqueur.
  Les deux gardes androïdes maintenaient Claire Baron par ses menottes et accompagnèrent son mouvement quand celle-ci se pencha sur son clavier de commande. Elle entra sa demande dans l’ordinateur, tapa son code, puis posa son index sur la languette de détection. « Communication établie… ». Elle composa un numéro et, aussitôt, la jeune générale en chef de l’Armée Gaïahelle apparut à l’écran. 
- Vous voilà, enfin, Mère. Nous espérions votre appel…! Notre Armée est totalement détruite ! 
- Gardez votre sang-froid...! Rien n’est perdu…! Nous avons encore la possibilité de négocier notre reddition. Nos agresseurs ont l’intention de s’emparer de Proxima; en échange de quoi, ils proposent de nous laisser la vie sauve. Je sais que je ne peux vous empêcher de faire votre devoir et que vous devez rester maitre de votre décision, mais je dois vous prévenir que la menace est des plus importantes ! 
- Bien pire…! s’exclama soudain le Lieutenant Gobbi en s’adressant à la Générale.
    Il se mit à tourner en rond autour de sa prisonnière et haussa la voix.
- C’est à une guerre raciale que vous seriez confrontés, très chers cousins. Une terrifiante guerre de races. D’un nouveau genre…!
   Un sourire narquois lui déforma la moitié du visage, puis il continua.
- Vous comprenez que sans votre armée, vous ne résisterez pas longtemps à notre "force de frappe". Si vous ne me laissez pas entrer dans la Cité, aujourd’hui, sans conditions, nous le ferons demain avec la plus grande cruauté…! N’allez pas croire, quand je dis cela, que nous en voulons à votre vie. Au contraire, nous avons besoin de vous et de vos compétences pour nous aider à unir nos deux Cités dans la paix. Il est simplement temps de mettre fin à nos mesquines luttes intestines. Votre Mère et la mienne ont toujours été d’accord pour protéger et privilégier la production de Neutrinite, et il en sera ainsi tant qu’il y en aura….! Vous aurez aussi compris que ces dernières ont jugé la menace assez sérieuse pour accepter de m’aider...! Je vous laisse une heure pour préparer notre arrivée et libérer les accès au haut-commandement ! 
- Je dois consulter mon état-major et les responsables civils avant de prendre une décision. Et pour cela… 
    Le Lieutenant lui coupa la parole :
- Je dois vous préciser une chose : c’est que la démocratie n’a plus lieu d’être. Elle ne vous sauvera pas...! 
- Je n’ai pas, seule, le pouvoir de capituler et encore moins celui de vous donner les clefs de la Cité. Vous devriez peut-être attendre demain et vous présenter aux portes de la cité voir si quelqu’un veut bien vous ouvrir, cher cousin ! 
- Demain, je ne serai plus seul…! Mais, soit ! Je vous accorde jusqu’à la tombée de la nuit pour convaincre votre peuple. Faites lui bien comprendre qu’il n’aura d’autre issue, s’il refuse de capituler, que celle de prendre lui-même les armes pour se battre…! Je ne doute pas de son courage, mais je crains qu’il ne soit assez aguerri pour ce genre de combat...! 
- Peut-on savoir quelles forces vous comptez opposer à notre détermination…? 
- Ah, ah, votre détermination…! Regardez, donc, votre Mère. Elle n’est pas plus déterminée qu’une jeune pucelle en chaleur. Elle sait très bien ce qui vous attend si vous refusez…!
    Il retourna se poster face à l’écran et fixa la Générale, droit dans les yeux, avant de conclure :
- Vous n’aurez que vos frêles bras d’humanoïdes pour combattre le Mal absolu ! 
_

CHAPITRE N°19

    Peu à peu repoussés par les brumes empoisonnées qui avaient envahi leur "nid", les xénomorphes s’étaient retrouvés acculés par centaines dans les parties sécurisées du "zoo" et avaient finalement trouvé refuge dans le hall ainsi que dans les salles d’observations adjacentes à celle où la Reine-Mère était retenue prisonnière. Horst n'avait refermé aucun accès derrière eux, les repoussant toujours plus loin et ne stoppant la propagation du nuage de poison qu'au tout dernier moment. 
    Rassurés par l'absence de gaz, les xénomorphes avaient cessé de courir et de bondir en tous sens à la recherche d’une issue. Les ouvrières s'étaient regroupées en troupeaux pour pleurer la disparition de leur Reine. Serrés les unes contre les autres, elles balançaient la tête de côté en gémissant et en cliquetant de toute leur âme. C’était une longue plainte monotone aux accents mélancoliques qu’elles chantèrent durant de longues heures avant de s’en lasser. 
    Les mâles, dispersés entre le hall et les salles d'observation, farfouillaient de-çi, de-là, pour trouver de la nourriture. Quelques dominants se disputaient les restes du distributeur de sandwiches et de boissons qui se trouvait renversé à terre, au grand dam de leurs congénères. Un mâle esseulé qui inspectait le hall méthodiquement s’arrêta brusquement en approchant du sas qui menait à la salle d’observation n°4. Ils se mit à cliqueter, puis à flairer frénétiquement la lourde porte d’acier qui en bloquait l’accès, bientôt suivi et imité de quelques autres. 
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     La Reine-Mère, agenouillée au bord de la coupole de diamantine, regardait fixement la dépouille de la Reine xénomorphe d'un air affligé. Sentant la présence des mâles xénomorphes, elle se redressa subitement et tourna la tête en direction du sas. Elle entrevit, alors, une  chance de s’échapper.
    Horst avait fait l'erreur de croire que les xénomorphes ne feraient d'elle qu'une bouchée, alors qu'en vérité, ils comptaient en faire leur nouvelle Reine. Elle jeta un coup d’œil vers la caméra de surveillance, projetant tous ses sens au travers des murs pour tenter de déceler les pensées du Chef de la Sécurité. Elle sut qu'il était présent à l'autre bout de la caméra et qu'elle ne pouvait encore agir.
   Elle fit quelques pas en faisant glisser ses menottes le long de la rambarde et en émettant des claquements de la langue qui imitaient le cliquetis si caractérique des xénomorphes. Le soldat-androïde la suivit du regard d'un air suspicieux.
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    Horst sortit de sa somnolence. Il jeta un coup d’œil aux encarts affichés à l’écran et s'intéressa aux quelques grands mâles xénomorphes qui s'étaient regroupés devant le sas menant à la salle d’observation n°4. Il s'attarda un peu sur la Reine-Mère qui faisait les cent pas sous l'oeil attentif du garde-androïde. Puis enfin, il vérifia l'évolution des onze clones infestés qui dormaient dans la "Nurserie". Tout semblait normal.
    Il regarda l’heure, se passa la main sur le visage et se frotta les yeux. Un petit remontant était nécessaire, pensa-t-il. Il jeta un cachet effervescent dans son verre d’eau et le but aussitôt. Des biscuits secs trainaient sur le pupitre de commande près d’un paquet entrouvert. Il en mangea quelques uns. 
    La scène qu’il avait sous les yeux lui faisait penser au jeu de cirque antique. Aux lions affamés attendant leur proie. Horst croisa soudain le regard de la Reine-Mère. Celle-ci semblait vouloir le provoquer à travers l’objectif de la caméra avec la seule arme qui lui restait... la force de son esprit. Il pouffa doucement de rire.      
                                                                           
CHAPITRE N°20

    Au dehors, la nuit était tombée. Les pâles rayons de l’astre couchant s’étaient éteints et plus aucune lumière ne perçait l'épaisse couche de nuage. L’obscurité était totale. Seule la silhouette de la Cité illuminée était visible; elle baignait dans un halo de brumes verdâtres, perdue au milieu des ténèbres.     
                                                                             _

    Les otages enfermés dans l’amphithéâtre s’étaient tous plus ou moins endormis; la peur laissant place à l’ennui et à la fatigue. Chacun avait été prié de se protéger. Les responsables civils s’était mis à couvert, eux aussi, et avaient rejoints les groupes entassés tout en haut des tribunes. 
    Une femme se leva et dût enjamber des dizaines d’individus avant de pouvoir se faufiler discrètement vers les toilettes. Swan Borman la surveilla d’un œil, puis reprit sa veille. Ses paupières se baissèrent lentement et il finit par s'endormir.
_

    Dans la "Nurserie", le premier des onze clones de Foller inséminés par les parasites se réveilla brusquement. L'homme ouvrit de grands yeux ronds et poussa un râle au milieu d’un indicible gargouillis. Le puissant sédatif qu’il avait respiré l’empêchait de faire le moindre geste. Seule, la douleur qu’il ressentait au creux de sa poitrine avait une existence pour lui, à cet instant. Il essaya de bouger, mais aucun muscle ne répondit. Son regard terrifié et le cri muet qu’il semblait pousser était les seuls signes visibles du calvaire qu’il était en train de subir. Il hoqueta et soudain son torse se contracta.
    Il eut l’impression qu’un marteau piqueur lui défonçait les côtes de l’intérieur, lui broyait les os et lui arrachait les chairs. Chaque nouveau coup de mâchoire, allègrement donné par le fœtus xénomorphe qui croissait dans son estomac, faisait un peu plus resurgir sa conscience. Quand il eut  retrouvé la mémoire, la douleur et la perspective d’une mort certaine lui firent soudain regretter son geste. Il se sentit comme un condamné à mort enchainé à sa couche. Une curiosité malsaine s’empara pourtant de lui et il ne put détacher son regard de la terrible scène qui se déroulait sous ses yeux. Il en oublia jusqu'à ses souffrances... et il se regarda mourir avec la piètre satisfaction de se voir ainsi renaitre.
    Le xénomorphe perça la paroi de son abdomen d’un dernier et puissant coup de mâchoire, arracha le fin et dernier rempart de tissu de ses dents acérées, puis sortit sa petite tête ensanglantée au dehors. Il poussa son premier cri, tourna la tête vers son hôte et se mit à le fixer d’un drôle d’air en se grattant le côté droit du crâne à coups de griffes. Le clone infesté par Foller ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en le voyant faire. Un sourire qui fut bien vite ravalé quand le nouveau-né replongea soudain au cœur de ses entrailles pour les dévorer. L'homme fit une horrible grimace, vomit un râle de sang et mourut. 
    Les naissances s’enchainèrent très vite. Les dix clones allongés à ses côtés furent tous saisis de spasmes et subirent le même sort. 
_

    Horst ouvrit les yeux. « Alerte nurserie… » clignotait à l’écran. Il agrandit l’image immédiatement et zooma sur la rangée de clones alignés sur le sol de la "Nurserie". L'un d'eux était éveillé. Les yeux écarquillés, celui-ci observait sans broncher les frénétiques soubresauts qui soulevaient sa poitrine. Horst resta planté devant l'écran à visionner la scène durant de longues secondes, captivé par la violence de la scène et l’apparente passivité du sacrifié. Il se leva brusquement, saisi de stupeur, lorsque l’horrible petit xénomorphe explosa le poitrail de son hôte et surgit à l'air libre en poussant son premier cri. Un plaisir malsain et une jouissance intense l'envahit à la vue du monstre dévorant l'hôte qui l’avait enfanté. Sa première réaction fut d’aller voir tout cela de visu. Une idée qui allait lui coûter cher. 
    Horst commanda l’ouverture du sas d’observation qui donnait sur la "Nurserie", vérifia d’un coup d’œil que sa prisonnière ne s’était pas envolée, puis quitta son poste.                             
_

    Dès que Horst quitta son poste pour aller satisfaire sa curiosité morbide, la Reine-Mère sut qu’il était temps d’agir. Sans hésiter, elle tira de toutes ses forces sur la menotte qui maintenait sa main gauche. Elle le fit sans rien montrer de sa souffrance et en dissimulant son geste sous l'ample manche de sa tunique. Elle devait prendre le garde par surprise si elle voulait avoir une chance de le devancer.
   La Reine-Mère introduisit lentement sa main à l’intérieur du bracelet; la peau écaillée se déchira comme du papier contre les bords en acier, puis des lambeaux de chair ensanglantée s’arrachèrent des os avant que ces derniers ne se brisent un à un en craquant. La Reine-Mère ravala un cri de douleur quand sa main glissa hors du fourreau métallique. 
    Elle fit aussitôt couler le sang acide qui s’échappait de sa blessure sur les attaches de l’autre menotte dont l’acier se mit à fondre à petits bouillons. Elle tenta plusieurs fois de rompre ses liens, tirant sur les câbles d’acier et les tordant pour les fragiliser, et à chaque fois rajouta de son sang. Après maintes reprises, la menotte céda enfin. 
   Elle courut immédiatement vers le sas, prenant le garde de vitesse, tapa son code pour en ouvrir l’accès, puis pénétra à l’intérieur. Une volée d’infra-basses la cloua un instant sur place. Elle chancela jusqu’au clavier de commande et au moment de l'atteindre, s'écroula, frappée de plein fouet par une puissante décharge électrique. Le coup de semonce la laissa consciente, mais elle feignit l'évanouissement. Le soldat-androïde s'approcha d'elle avec prudence, puis se posta à distance raisonnable sans cesser de la braquer.
    La Reine-Mère attendit de reprendre un peu de force avant de réagir. Le corps-à-corps était inévitable. L'effet de surprise allait l'aider un peu et c'est pourquoi elle patienta de longues secondes avant de se décider. Et soudain, elle bondit...! Catapultée...! Elle frappa le garde dans les jambes d'un coup d'épaule et le renversa proprement. Elle se donnait ainsi quelques secondes de répit... suffisamment pour taper son code sur le clavier de commande.
    La porte du sas s'ouvrit sur l'attroupement de grands mâles. Les bestioles sursautèrent, puis s’immobilisèrent en voyant la Reine-Mère apparaitre dans leur champ de détection, face à eux. Son aura parla pour elle. Les grands mâles y découvrirent les signes caractéristiques d'une Reine et se mirent aussitôt à cliqueter avec entrain. Puis ils avancèrent prudemment vers elle. 
    Remis sur pieds, le soldat-androïde lança aussitôt une nouvelle attaque et, cette fois, balança la puissance maximum. Touchée, la Reine-Mère tomba au sol, les muscles tétanisés. Un grand mâle xénomorphe en fit aussi les frais, mais ne s'en trouva pas pour autant privé de force. Sa réaction fut instantanée et ne laissa aucune chance au garde. Un surpuissant coup de queue fracassa ce dernier contre la paroi du sas, suivi d'un autre qui l'en éjecta. Plusieurs xénomorphes mâles se jetèrent ensuite sur le soldat-androïde et l’écartelèrent en quelques secondes.
    La Reine-Mère ne prit pas la fuite. Elle ne prit pas non plus la tête de la troupe de xénomorphes qu'elle savait désormais soumis à ses ordres. Le moment n'était pas encore venu de sortir son joker. Elle devait, jusqu'au bout, continuer à jouer le rôle qui lui avait été dévolu... celui de la proie... si elle voulait prendre l'ennemi à son propre piège. 
    Elle se laissa approcher et flairer par une poignée de mâles dominants qui déjà se disputaient sa préférence. Ils se figèrent de surprise quand d'un claquement de langue, la Reine-Mère leur ordonna d'obéir. Cette dernière se releva sans brusquerie, puis recula lentement pour les faire venir à elle, imitant à la perfection le légers cliquetis qui leur permettait de communiquer. Elle réussit ainsi à attirer quatre grands mâles à l’intérieur de la salle d’observation. 
_

    Horst avait assisté à l’agonie de ses onze "jumeaux" sans ressentir aucune pitié pour eux. Bien au contraire…! C’est avec le naïf et insouciant bonheur d’un père qu’il avait accueilli les nouveaux nés. Il les avait regarder naitre les uns après les autres... se réjouissant de leur bel appétit... avant de s’inquiéter du temps qui venait de s’écouler.
    Il décolla son front du vitrage blindé et contempla une dernière fois les onze clones sacrifiés, alignés au sol, le torse ensanglanté, et qui semblaient encore respirer. La petite queue des xéno-morphes émergeait parfois de leur plaie béante et fouettait l’air dans une giclée de sang. Horst quitta précipitamment le sas d’observation et retourna en salle de contrôle. Ce qu'il découvrit le terrassa. 
    La Reine-Mère lui échappait. Elle traversait à cet instant le hall en courant à la tête d'une troupe de dominants. Mais ceux-là ne la chassaient pas et semblaient plutôt lui obéir. Tous les xénomorphes survivants, mâles et ouvrières, s'étaient eux aussi mis à la suivre.  
    Horst réagit aussitôt. Il commanda le départ du sas-mobile, puis l'ouverture des sas de sécurité afin de libérer les gaz empoisonnés. Il n'avait plus une seconde à perdre et devait, dès-à-présent, se préparer à affronter la Reine-Mère.       
    Un bon armement allait lui être nécessaire. Il commanda l’ouverture du sas qui menait à la salle d’armes; une petite pièce contenant une centaine d’armes non-létales destinées à endormir les xénomorphes. Il s’empara d’un fusil et d'un chargeur, puis retourna à son poste pour reprendre sa surveillance. Son escorte de policiers-androïdes forma aussitôt un cercle autour de lui.
    Dans la "Nurserie", les xénomorphes continuaient de dévorer leurs hôtes avec avidité. Ils avaient beau s’enfoncer à chaque nouveau coup de mâchoire un peu plus profondément à l’intérieur du corps inerte des sacrifiés, leur carapace en émergeait toujours plus et semblait grandir à vue d’œil. 
    De son côté, la Reine-Mère, avait atteint la plate-forme d'accès au sas-mobile et reprogrammait le retour du véhicule vers le "zoo". Le troupeau de xénomorphes, agglutiné autour d'elle, trépignait d'impatience.  
    Horst était bel et bien décidé à en finir avec elle, mais pas avant de s'être vengé "personnellement" sur elle. Il devait la retenir, coûte que coûte, s'il voulait aller au bout de sa vengeance. Sur l’écran de contrôle, le nuage de gaz empoisonné s’engouffrait en roulant à l’intérieur du hall. Il envahit très vite la plate-forme d'accès au sas-mobile où se trouvaient la Reine-Mère et sa suite de xénomorphes. Les volutes de brumes empoisonnées atteignirent l'attroupement alors même que le sas-mobile revenait vers le "zoo". 
                                                                               _

    Lorsque les premières volutes de gaz enveloppèrent les xénomorphes, la Reine-Mère jugea possible de résister durant un temps aux assauts corrosifs du gaz... à condition de cesser de respirer... et elle resta donc impassible à attendre le retour du sas-mobile. Les dominants qui faisaient cercle autour d'elle firent de même et pas un ne broncha. Elle avait cependant mal préjugé du comportement des ouvrières, car ces dernières réagirent bien différemment; à peine ressentirent-elles les picotements douloureux des micro-gouttes empoisonnées sur leur carapace qu'elles se mirent à s'agiter, à cliqueter et à crisser de frayeur.     C'est par instinct que les ouvrières décidèrent d'un seul élan de prendre d'assaut la plate-forme d'accès au sas-mobile. En effet, si elles faisaient ainsi fi de la Reine-Mère et des dominants, c'est parce que chacune d'elles pouvait être choisie par les autres pour être transformée en Reine. Leur rôle se résumait à l'alimenter, non à la protéger. Tout compte fait, leur vie valait la sienne... et d'autant plus dans l'imminence d'une catastrophe.  
     La Reine-Mère et un groupe de dominants se retrouvèrent acculés, puis repoussés sur un côté par la meute d'ouvrières. En nombre supérieur et toujours plus effrayées par les brumes qui les enveloppaient, ces dernières prirent rapidement le dessus et éjectèrent la Reine-Mère et ses protecteurs de la plate-forme d'accès. 
     Les ouvrières comprirent trop tard dans quel piège elles s'étaient, elles-mêmes, jetées. Aucun accès ne s'ouvrit sur l'extérieur pour leur permettre de fuir. Un concert de cliquetis et de crissements assourdissants s'éleva dans les airs. Quelques unes d'entre elles tentèrent vainement de fracasser la porte du sas avant de finalement s'en prendre les unes aux autres. Affectées par les poisons neurotoxiques contenus dans les gaz, elle finirent toutes par perdre la raison, et la terreur qui les assaillait se transforma très vite en folie meurtrière. 
     La Reine-Mère, après avoir traversé le hall empli de brumes empoisonnées, avait trouvé refuge dans la salle d'observation n°1 avec une poignée de mâles dominants.                                                                                                                                                    _
   
    Horst se sentait en partie soulagé de la savoir encore à sa merci. La Reine-Mère était certes moins disponible car mieux protégée, mais elle restait sa prisonnière. Il les observa, elle et sa petite troupe de dominants, durant de longues minutes. Il avait eu tort de parier qu'elle se ferait dévorer par les mâles xénomorphes si elle tentait de s'enfuir. C'est elle qui les dominait. Sans même rien avoir à faire d'autre que quelques claquements de langue mystérieux. Les quelques grands mâles qui formaient maintenant une ronde de protection autour d'elle, ne semblaient pourtant pas directement lui obéir. Ils semblaient plutôt agir d'instinct. 
    Horst était admiratif du puissant lien mental qui unissait la Reine-Mère à ses créatures... et presque jaloux de ne pouvoir lui-même s'en prévaloir. Ses créatures à lui n'étaient qu'une multiplication de lui-même, des doubles de l'esprit torturé de Foller auxquels il ne pouvait accorder aucune confiance. Il gardait néanmoins l'espoir de participer avec eux à la petite sauterie prévue pour fêter leur naissance. Son voyeurisme reprit aussitôt le dessus lorsqu'il afficha les images de la "Nurserie" à l'écran. 
    Les onze cadavres de sacrifiés n'étaient plus que carcasses. Les xénomorphes-mutants qui en étaient sortis finissaient d'en arracher les derniers bouts de chair. Leur taille avait décuplé et trois impressionnantes épines dorsales se dressaient le long de leur colonne vertébrale. Elles avaient été les premières à se dégager de leur gangue de peau morte lors de la première mue. Des lambeaux de peau desséchée issus des mues précédentes recouvraient leur exo-squelette. Ils s'en débarrassaient parfois d'un geste brusque ou d'une secouade, puis se jetaient dessus pour les engloutir d'une bouchée... histoire d'accompagner leur goûter. Ils n'avaient pas encore atteint leur taille optimale, mais leur apparence était déjà des plus menaçantes. Ardan avait fait du beau travail, pensa Horst. Il regarda les onze monstrueuses créations se disputer les restes de cadavres jusqu’au dernier bout d’os, et puis soudain, quand ils eurent tout avalé, il les vit se retourner vers la caméra de surveillance pour regarder dans sa direction. Le signal était clair.       
_

    Le Chef de la Sécurité hésita quelques secondes avant d’ordonner l’ouverture de la "Nurserie". Il se saisit ensuite du fusil qu’il avait en bandoulière sur son épaule, puis continua à libérer, un à un, les accès qui menaient jusqu’à lui. Il se tourna ensuite vers la porte du sas d’entrée et pointa son fusil anesthésiant, droit dessus.                     
    Les onze xénomorphes mutants infestés par la mémoire de Foller se précipitèrent hors de la "Nurserie", passèrent d’une salle à l’autre et débouchèrent dans la salle de contrôle, face à Horst. Ils s’arrêtèrent en le voyant, puis s’avancèrent lentement vers lui en flairant son odeur. Ce dernier éteignit l'écran de contrôle, se leva sans se précipiter, se saisit de la petite boite posée sur la console et qui contenait la phalange d’Ardan, puis recula dans un coin de la pièce, protégé par le cercle que formaient ses huit policiers androïdes.   
    Les xénomorphes mutants investirent la salle de contrôle en émettant des petits cliquetis moqueurs à l’adresse de Horst, puis se mirent à flairer les alentours. L’un d’eux s’approcha du pupitre en reniflant et se jeta sur le paquet de biscuits posé près du clavier. Il ouvrit sa gueule, projeta sa puissante mâchoire préhensile pour s’en emparer, puis l’avala, emballage compris. Les autres découvrirent rapidement le réfrigérateur et se mirent immédiatement à le dévaliser, gobant voracement toutes sortes de choses sans prendre soin de les déballer ; puis se fut le tour du distributeur dont ils vidèrent et avalèrent le contenu, bouteilles plastifiées, canettes et pots, de la même manière. En moins de dix secondes, il ne resta plus une miette, plus une goutte, plus aucune trace de leur frugal repas. 
    Quelques uns restèrent sur leur faim et passèrent leur frustration sur Horst. Ils se tournèrent vers lui en cliquetant violemment, puis s’approchèrent pour le flairer par-dessus son cordon de sécurité. Leurs cliquetis, mêlés aux sifflements qu’ils émettaient, ressemblaient à des rires. Ils s’amusèrent à lui tourner autour, sans toutefois montrer leur intention d’aller plus loin.
    Horst sentit leur odeur acre se répandre dans la pièce. Leur immaturité l’effrayait autant qu’elle pouvait le rassurer. Leur petite taille était largement compensée par leur terrifiante apparence, par leurs longues épines dorsales, par leur habile queue dardée, par leur exo-squelette torturé, par leurs trois paires de bras bardés d’ergots tranchants et par leurs serres aiguisées plantées au bout de leurs doigts palmés. Sans parler de leur horrible gueule. 
    Leurs cliquetis augmentèrent en intensité et les saccades s’accélérèrent. Quelques uns se ruèrent vers les différents sas d’accès pour tenter de débloquer les ouvertures. En vain. Leurs coups de griffes, leurs coups de tête n'entamèrent en rien la diamantine, ni l'acier de la lourde porte.  Les autres xénomorphes- mutants, moins fébriles et plus raisonnés, restèrent près du pupitre à inspecter le clavier de commande, à flairer le verre vide posé à côté et l’endroit où la petite boite contenant l’index d’Ardan avait été posée.
    L’un d'eux se retourna vers Horst en flairant dans sa direction. Il s’approcha de lui en cliquetant, puis se redressa sur ses deux puissantes pattes arrière pour tenter de passer le cordon de sécurité. Le choc électrique que lui envoyèrent les policiers androïdes lui brûla le museau et le fit brusquement reculer de quelques pas. Sa seconde tentative fut plus fructueuse. Il cliqueta méchamment pour appeler ses congénères à lui prêter main forte. Désireux de profiter de toutes les opportunités, ils se rassemblèrent tous auprès de lui pour faire face au cordon de robot-cops.
   Horst compris que son existence ne leur était plus nécessaire. Que pouvait-il faire...? Sinon se rendre à l'évidence qu'il ne ferait pas partie de la horde, ni même ne la commanderait...! Il savait que ses huit policiers-androïdes ne le protégeaient pas d’un assaut massif et il voulait éviter de les perdre inutilement. Il pointa son fusil en direction des xénomorphes-mutants, puis fit ouvrir le cordon de sécurité que ses robot-cops formaient autour de lui.
    Horst s’avança alors prudemment vers l’horrible monstre mutant en le tenant en joue. La main tendue, il désigna du regard la petite boite hermétique qu’il tenait dans sa paume ouverte. Le xénomorphe mutant flaira de loin le cadeau qu’on lui proposait, puis avança d'un pas. Horst arma son fusil. Le cliquetis que fit la culasse cloua le xénomorphe-mutant sur place.    
    Le Chef de la Sécurité avança encore d’un pas en serrant le fusil contre son flanc et en désignant à nouveau la petite boite qu’il tenait dans sa main tendue, puis enfin il déposa celle-ci sur le sol avant de reculer précipitamment pour se réfugier derrière son cordon de policiers-androïdes.
    Le xénomorphe-mutant saisit la petite boite de ses griffes acérées. Il souleva le couvercle et sortit le petit bout de chair qu'elle contenait. Derrière lui, ses congénères se rapprochèrent de quelques pas et tendirent le cou pour voir le mystérieux cadeau dont il s'était emparé. Le passe magique devint aussitôt l'objet de toutes les convoitises.    
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