Alien 5 Eternity (neuvième épisode)

 

                                                               
                                                                 
   
CHAPITRE N°16

    Foller balaya la toile d’araignée d’un revers de la main. Le malheureux insecte qui s’y abritait, tomba sur le sol et fuit en toute hâte dans l’ombre salvatrice du meuble qui quelques secondes avant cachait l’entrée du labo. Le professeur l’écrasa sans s’en apercevoir en pénétrant dans la pièce. 
    Il ne restait rien de son ancien laboratoire secret, si ce n'est un plan de travail scellé dans la roche  et sur lequel il avait entassé un tas d’objets d’art précieux, une pile de tableaux anciens et quelques caisses de millésimés. Dans un coin, étaient stockés des meubles d’époque lointaine et des statues. Il repensait invariablement à tout ce qui s’était passé là chaque fois qu’il y venait et essayait vainement de chasser les pensées perverses et le désir qui le saisissait. Il se dirigea vers un petit congélateur en sortit une cuve métallique qu’il posa près de lui, puis une trousse plastifiée. Il resta quelques secondes, la tête dans les volutes de buée, à examiner le paquet recouvert de givre. Au bout d’un instant, il soupira et se murmura à lui-même :    
- Tu dois le faire…! 
    Foller remit la trousse au fond du congélateur, en referma la porte, attrapa la cuve par l’anse et sortit du labo. Deux minutes après, il était sur la plage. La mer était noire et immobile. Une indicible rumeur et quelques faibles clapotis témoignaient de sa présence dans la nuit sombre. Un hors-bord l'attendait sur la rive. Foller grimpa dessus. Il rangea la cuve dans un petit placard sous le poste de commande, puis programma la destination. Il s’installa ensuite dans le siège de pilotage, serra sa ceinture et fit partir l’engin d’un simple clic. Le hors-bord se mit à planer, sans bruit, sur le miroir d'eau. Le professeur laissa errer ses pensées et revint une semaine en arrière.   
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    Nico le fixait droit dans les yeux. Son clone s’était travesti pour le rendez-vous et s’était maladroitement maquillé. Quelques détails mal dissimulés laissaient voir les traits d’une personnalité bien différente de l’originale. Il n’était pas moins beau, mais était irrémédiablement moins féminin.
- Si tu ne le fais pas, c’est moi qui viendrai te tuer…! dit le jeune homme sans ciller.
    Foller cligna de la paupière. Il le regarda d’un air incrédule, puis rit doucement en hoquetant. 
- Tu es sérieux, là…? À cause d’une petite conne. C’est elle qu’il faut éliminer ! répondit-il.
- Je t’ai dit que c’était trop risqué…! L’enquête pourrait mener jusqu’à nous. C’est à toi de te sacrifier si tu veux aller jusqu’au bout…! Ou à moi de t’exécuter ! 
    Foller savait que son clone en était capable. Lui-même avait bien liquidé le Nico original sans états d’âme. Il se mit à rire du retournement de situation, de ce coup du sort si ridicule, de la cruelle détermination de son double.
- Tu cherches, peut-être, tout simplement, à te débarrasser de moi…! suggéra-t-il.
- Je ne fais rien d’autre que satisfaire ton désir…! Qu’exaucer ton propre vœu ! lui répondit son clone. Tu aurais fais la même chose, j’en suis certain…! Tu voulais revenir auprès de ta bien-aimée, et maintenant que tu y es, tu voudrais tout gâcher. Prends ça et fais ce que tu dois faire...! 
    Nico poussa le paquet vers Foller en le faisant glisser sur le marbre de la table. Le jeune homme ne le quitta pas des yeux, le défiant d’un regard froid et déterminé durant de longues secondes. C’est à cet instant que leurs deux esprits se pénétrèrent. Le professeur ressentit le puissant et indéfectible lien qui les unissait. La cruauté de son clone était une prolongation de sa propre obsession. Une nécessité absolue. Ses pensées étaient les siennes, éclatantes de vérité et de  justesse. Foller souleva sa main, l’approcha lentement du paquet, puis s’en saisit enfin en affichant un étrange sourire.        
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    Le ralentissement du hors-bord sortit Foller de ses pensées. L’alarme se mit à vibrer et à clignoter sur le tableau de commande. Le professeur détacha sa ceinture de sécurité, puis attendit que le bolide s’arrête complètement avant de descendre de son siège. Il vérifia sur l’ordinateur de bord qu’il était au bon endroit, juste au-dessus des profondeurs abyssales de l’océan, puis il commença à balancer tout ce qui se trouvait sur le pont. L’ensemble des machines et les morceaux du cylindre de maturation. Il récupéra ensuite la cuve, en dévissa le couvercle qu’il jeta à l’eau, puis il partit chercher un manche de canne à pêche dans la soute et s'en servit pour briser les éprouvettes rangées au fond du récipient. Il s’approcha du bord. L’eau était plus noire que la nuit. Plus de quatre milles mètres le séparaient des profondeurs de l’océan et des failles géantes qui aspiraient la mer vers le centre de la Terre. Il posa un genou sur le pont, puis se pencha prudemment par-dessus le bastingage en tenant la cuve d’acier à bout de bras. Il la remplit d'eau et la laissa couler. Foller la regarda s’évanouir dans la noirceur de l’océan. 
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    Foller se tenait torse nu et observait son image dans le miroir de la salle de bain. Il se maudissait de manquer ainsi de courage. Le geste lui faisait peur et tant de choses le retenaient encore sur Terre. Il avait besoin d’un esprit plus fort pour l’accompagner dans cette folie. Il invoqua l’aide de Nico, sa nouvelle conscience, pour se forcer à aller jusqu’au bout.
    Imperceptiblement, sans qu’il s’en rende compte, ses yeux virèrent au vert émeraude. Il jeta un coup d’œil sur la trousse noire posée au bord de l’évier, hésita un instant, puis, soudainement poussé par une force extérieure, posa la main dessus et la ramena à lui.
    Quand il se regarda à nouveau, c’est le reflet de Nico qu’il découvrit. Son double posa aussitôt sa main contre la surface du miroir. Foller fit de même et ils restèrent un long moment, paume contre paume, à se sonder l’un, l’autre et à unir leur esprit en un seul.
     Nico invita Foller à faire comme lui. Le professeur reposa la trousse près de lui et l’ouvrit. Une fine seringue, une aiguille encapuchonnée et une petite fiole transparente s’y trouvaient encastrées sur un côté dans un moule en polystyrène. Il les sortit, les aligna avec précaution devant lui, puis commença par visser l’aiguille sur son support. Il retira ensuite le capuchon et planta la seringue à travers la membrane protectrice de la fiole pour en aspirer le liquide jaunâtre. Un sérum contenant le géno-virus qui allait le tuer.    
    C’est Nico qui, dans le reflet du miroir, le força à continuer, devançant chacun de ses gestes d’un dixième de seconde. Foller reposa la fiole vide, puis tapota la seringue avec son doigt pour en extraire la bulle d’air. Il regarda son double. Celui-ci semblait confiant et souriait. Le professeur se sentit apaisé et se décida enfin à planter l’aiguille dans le gras de sa hanche. Le sérum s’infiltra lentement à travers les tissus organiques et y déposa le géno-virus mortel. Quand Foller redressa la tête, Nico avait disparu, l’abandonnant à son triste sort.
                                                                       
CHAPITRE N°17
                                                               
    Le portrait de Foller se réduisit à un simple encart dans un coin de l’hologramme, immédiatement remplacé par le beau visage de la présentatrice du journal télévisé. Emma resta bouche-bée. L’annonce de la mort du Professeur Edward Foller venait de lui causer un choc. Elle, qui en avait rêvé plus d’une fois et avait même prié ses propres démons d’agir, ressentit, en lieu et place d’une joie sans bornes, un surprenant sentiment de culpabilité.
    Elle avait beaucoup changé et était passé du statut de petite peste à celui d’adulte responsable. Elle avait embellie, grandie d’une hauteur de talon, s’était embourgeoisée et adaptée à la nouvelle situation, aux règles strictes que lui imposait Nico, tirant définitivement un trait sur son passé libertin et ses dernières "copines".       
    Elle écouta l’information jusqu’au bout pour s’assurer qu’elle avait bien entendu.
- « …toute la communauté scientifique est sous le choc. De nombreuses personnalités lui ont rendu  hommage et d’innombrables messages de condoléances ont été envoyés à la famille. Une autopsie a été demandée par le Ministère de l’intérieur et sera effectuée dès demain pour éclaircir les causes de sa mort. D’après les premières constatations, il semblerait qu’une congestion cérébrale de nature inconnue l’ait foudroyé en pleine réunion du Conseil de Sécurité Génétique dont il était le président…! Retrouvez un maximum d’informations sur ExtraNet…! Une bande de mercenaires a été appréhendée dans la zone d’exclu… ».
    Emma coupa le son, puis reposa la télécommande sur le bord d’un meuble. Elle resta pensive quelques instants, quittant le salon d’un pas lent et hésitant, puis, soudain, elle traversa rapidement le vestibule, longea le couloir jusqu’au bureau de Nico et frappa à la porte.
    Nico détourna la tête de son écran holographique et posa machinalement un cache sur la feuille posée devant lui. Celle-ci contenait des milliers de codes génétiques dont il vérifiait la justesse. Il déclencha l’ouverture du panneau coulissant et questionna sa jeune maitresse du regard.
- Tu ne devineras jamais…! lui dit-elle, redoutant sa réaction par avance.
- Quoi…?! Qu’est-ce qui se passe ? demanda Nico en simulant l’étonnement.
- Il s’est passé quelque chose de grave !
     Elle devait lui apprendre les yeux dans les yeux et alors... elle saurait. Elle continua sur sa lancée :
- Je viens d’apprendre aux infos que le Professeur Foller est décédé ! 
- Hein…!!! Tu es sûre…? s’exclama Nico.
     Elle ne le lâcha pas du regard.
- Qu’est-ce qui lui est arrivé ? demanda Nico d’un air faussement affecté.
- Un truc au cerveau, je crois…! Ils ne savent pas vraiment ! 
- C’est bizarre, il était encore jeune…! Il devait avoir dans les soixante-cinq ans, à peu près ! 
- Tu dois le savoir mieux que moi, l’âge qu’il avait…! En tous cas, pour moi, il a toujours eu l’air d’un vieux ! 
- Hé, ho, commence pas…! rétorqua Nico. Tu devrais être heureuse qu’il soit mort. D’ailleurs, moi aussi, je devrais l’être, parce qu’au moins, maintenant, tu ne pourras plus m’emmerder avec lui...! 
- C’est tout l'effet que ça te fait…!? s’étonna Emma.
- Tu voudrais, peut-être, que je joue les folles éplorées…! J’ai de la peine pour lui, mais pas autant que tu pourrais le croire. Et certainement pas pour des raisons sentimentales comme tu l’insinues…! Il était le plus grand généticien de tous les temps. Tout ce que je sais, il me l’a appris. Il mérite un minimum de considération de ma part, mais pas au point de me rouler par terre en criant de douleur...!
    Nico se leva de son bureau en disant cela, puis fit un pas vers Emma pour la prendre dans ses bras.
- Ce qui me ferait de la peine, c’est que tu continues à parler de lui, après ça…! lui susurra-t-il dans le creux de l’oreille.
    Emma enlaça la taille de son amant et posa la tête sur son épaule avant de répondre :     
- Je suis désolée, mon amour, d’avoir été si jalouse. Je vais essayer d’oublier tout ça...! 
- Il n’y a rien à oublier, parce qu’il ne s’est jamais rien passé, Emma, je peux te le jurer…! Il ne faut plus y penser. On va même éviter d’en parler dès ce soir et sortir faire la fête. C’est toi qui décides de la soirée. Je t’accompagne où tu voudras ! 
- Eh, ben…! S’il pouvait mourir tous les jours, celui-là, je serais la plus heureuse du monde…! dit-elle avec un petit sourire, puis elle ajouta : Il faut qu’on se prépare, alors, parce que j’aimerais aller à l’opéra…! 
- Tant que tu ne me traines pas dans les clubs...! répondit Nico.  
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CHAPITRE 18

- J’étais certaine, qu’un jour ou l’autre, vous y seriez contraints…! dit Lady Ripley en s’adressant à Lew Danton. Il est heureux que ce malheureux Foller ait découvert des solutions moins barbares pour y arriver…! En fin de compte tout cela n’aura servi à rien. Vous n’avez plus besoin d’Elle...!  
    Le Ministre de la Défense Américaine guidait la "Mutante" à travers les couloirs du laboratoire d’un pas rapide et volontaire.      
- Vous savez bien que nous sommes pressés d’obtenir ces souches-mères et qu’il vous faudra encore des années pour réussir à les créer sans l’aide d’un xénomorphe. Vous devez nous aider, Ellen...! insista le Ministre de la Défense.
- Vous me mettez au pied du mur, Lew, et je ne veux pas abandonner mon équipe. Pourquoi ne pas demander à l’un des assistants de Foller ! 
- Ils sont beaucoup trop jeunes...! La plupart sont encore étudiants…! Vous partagerez votre temps entre les deux laboratoires... Vous savez, le plus gros est fait, ici. Vous pourriez produire le test de compatibilité et superviser la production des nouvelles souches-mère. Vous apprendriez énormément de choses en ayant accès aux données de Foller ! 
- Il a dû vous léguer quelques secrets dont vous voulez me cacher l’existence. Je ne suis pas dupe...! répondit la "Mutante".      
- Je vous certifie que si c’était le cas, je vous aurais mise dans le secret…! Ah, nous y voilà…! 
    Ils s’arrêtèrent devant la porte d’un sas de sécurité. Lew Danton posa un doigt sur les capteurs d’a.d.n, puis tapa son code d’accès. Ils pénétrèrent dans une petite salle où les attendait un assistant qui les regarda d’un air un peu affolé. Il y avait de quoi…             
 - Nous sommes honorés de votre présence, Lady Ripley ! déclara le technicien en gardant ses mains derrière le dos.  Les consignes étaient claires, aucun contact. Il continua
- Enchanté, Mr le Ministre. Je suis désolé, mais la situation est un peu confuse…!
- BING…!!!
      La Reine-xéno-morphe, frappa le vitrage blindé d’un violent coup de museau, puis siffla entre ses dents en secouant la tête de tous côtés.
- Impossible de la calmer depuis le prélèvement des œufs. Elle a été piquée au-delà de la dose prescrite, mais rien n’y fait…!     
    La Reine-xéno-morphe ouvrit grande sa gueule et fit glisser sa mâchoire préhensile hors de son gosier. La lèvre supérieure retroussée, elle s’approcha de la paroi vitrée en soufflant comme un dragon. Des projections blanchâtres constellèrent le vitrage de diamantine. Elle allait frapper à nouveau, quand subitement elle se tétanisa, referma sa gueule à moitié et se mit à sonder les alentours avec l’avant de son crâne.   
    Lady Ripley lui faisait face. La "Mutante" souleva le voile de tulle blanc qui lui couvrait le visage et pénétra l’esprit du xéno-morphe de son regard noir. La Reine eut un léger mouvement de recul et rentra sa mâchoire préhensile en un éclair. Elle balança son torse de gauche à droite durant quelques secondes, puis avança péniblement de quelques centimètres, trainant derrière elle son énorme ventre empli d’œufs.
    Un léger voile de buée se forma sur la paroi de diamantine quand la Reine y colla sa gueule noire et sans yeux. Elle bascula doucement sa tête sur un côté en faisant vibrer sa fantastique collerette. Elle recula légèrement, puis, soudain, tapa amicalement contre le vitrage blindé avec son museau. Lady Ripley effleura la paroi transparente de sa main gantée, à l'endroit où la Reine avait posé sa gueule, puis elle tapota dessus avec douceur. Un grand sourire éclaira son visage lorsque sa "fille" fit tendrement glisser son crâne sur le vitrage pour lui rendre sa caresse.  
    Derrière elle, l’assistant et le Ministre étaient admiratifs. L’émotion était palpable. Ils regardaient la scène avec une certaine incrédulité, le regard empreint de respect et d’une indicible frayeur. Ils pensèrent que la "Mutante" était certainement capable de communiquer avec la reine-xénomorphe et comprirent quel puissant lien les unissait l’une à l’autre.
     Au bout d’un moment, frustrée de ces fausses caresses, mais néanmoins calmée, la Reine-xéno-morphe retourna vers son nid, poussant laborieusement sur ses grandes pattes et tirant mètre par mètre sa lourde et imposante matrice prête à pondre. Elle tenta de remettre un peu d’ordre et rassembla avec peine quelques uns des œufs qu’on lui avait laissés. Vite épuisée, elle finit par abandonner devant la difficulté de la tâche et étendit son ventre gonflé en le faisant onduler, anneau par anneau, avant de rouler sur elle-même avec habileté. Une fois retournée, elle utilisa ses longues épines dorsales et les extensions de sa collerette pour se maintenir à la verticale. Un long et douloureux gémissement sortit de sa poitrine par les interstices de son exo-squelette et résonna comme un chant à travers le haut-parleur du poste de surveillance.
- Vous semblez satisfaite de cette première rencontre…! s’exclama Lew Danton. 
- Détrompez-vous, Lew...! Mon sourire est amer. Je la plains de tout mon cœur. Cette situation doit lui sembler infernale ! répondit Lady Ripley.
- Pensez-vous…! Elle a tout ce qu’il lui faut. Protéine modifiée à volonté et beaucoup de chair fraiche. Ce sont les prélèvements d’œufs qui la rendent irritable…! Allons visiter le laboratoire. Vous rencontrerez le reste de l’équipe…! Je crois qu’ils en sont au stade de l’extraction. C’est bien cela, n’est-ce-pas...?
     Lew Danton se tourna vers l’assistant.       
- En effet…! répondit ce dernier. Pour être exact, nous procédons à l’extraction du parasite, puis à l’extraction de ses ovules parasitaires et, enfin, de l’a.d.n qu’ils contiennent…! Si vous voulez bien me suivre ! 
    Lady Ripley s’immobilisa subitement devant le sas de sécurité et se retourna vers sa "fille". La Reine-xénomorphe gémissait douloureusement dans sa direction, exprimant ainsi sa peine à voir partir une "congénère". Compatissante et presque aussi désolée qu’elle, la "Mutante" resta quelque secondes à l’observer fixement. Elle ne l’abandonnait pas et elle serait, dorénavant, auprès d’elle pour la protéger. La langoureuse plainte diminua d’intensité et se transforma peu à peu en un paisible cliquetis. Lady Ripley, pleine de remords, se détourna d'elle à contre-coeur pour suivre Lew Danton et le laborantin.         
    La Reine-xénomorphe les regarda tous trois s’éloigner au travers de son crâne sans yeux. Les récepteurs organiques logés dans ses lobes frontaux lui renvoyaient une incroyable image électro-magnétique et infra rouge de son environnement. Une aura d’émeraude scintillante et d’éclats pourpres habillait la haute silhouette de Lady Ripley et la différenciait totalement des deux autres, pâles et blanchâtres.  
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    L’assistant, le Ministre et Lady Ripley se tenaient côte à côte, derrière le vitrage qui les séparait du bloc d’extraction. Une centaine d’œufs clos, la coque terne et sans vie, était disposée au sol sur des plots de caoutchouc et sur plusieurs rangées. Un étrange robot attendait patiemment dans la semi-pénombre. Le robot-extracteur se mit soudain en route. Il pivota sur lui-même et se dirigea aussitôt vers le premier œuf du premier rang. Il s’immobilisa à quelques centimètres. Un halo de lumière bleutée émis par le robot cibla la corolle, la cloche de protection s’abaissa lentement et emprisonna la coque sur un bon tiers, recouvrant parfaitement l’orifice. Aussitôt, un choc électro-magnétique réveilla le parasite endormi au cœur de l'œuf. Le grésillement ne dura qu’une demi-seconde et l’instant d’après une lueur diffuse apparut à travers la paroi rugueuse.
   Une forme se déploya brusquement à l’intérieur de la gangue minérale, dans les méandres organiques qu'elle contenait. Les soudures qui fermaient l’orifice de l’œuf fondirent sous l’effet de puissants acides soudainement activés et celui-ci s’ouvrit comme une fleur au matin. Deux grosses poches de chair visqueuses apparurent. Gonflées comme des outres, elles ondulaient nerveusement l’une contre l’autre.
    Le robot introduit sans attendre le mandrin anesthésique à travers l’hymen protecteur, l’enfonça profondément à l’intérieur de l’œuf et lâcha la sauce. La puissance du choc électrique assomma complètement l’horrible parasite enfoui tout au fond, mais n’évita pas un rejet incontrôlé. Un geyser d’acide pressurisé remonta par les interstices au travers de l'hymen et gicla en gerbes tout autour du piston, arrosant l’intérieur de la cloche et la mouchetant entièrement de gouttelettes corrosives.  
- Aie…! Ce n’était pas prévu au programme...! Un nouveau problème à ajouter sur la liste...! déclara l’assistant.      
    Le robot continua son travail. Il libéra la cloche et ressortit délicatement le mandrin hors de l’œuf. Le parasite, tétanisé, y était resté accroché, les pattes et la queue entortillées autour du métal.
- Nous allons ensuite pratiquer l’extraction des ovules au bloc opératoire n°2...! C’est par là...! 
    La salle était munie de deux plans de travail et de deux robots-chirurgiens. Le parasite arriva sur un plateau, prêt à être opéré. Écartelé sur le dos, inerte, ses huit pattes fermement maintenues par de solides crochets, la queue coupée et cautérisée. Son organe inséminateur reposait à plat contre son abdomen, immobilisé par un sparadrap. Il atterrît sur une des tables d’opération et sous les doigts experts du robot-chirurgien.   
    Le rayon du scanner s’arrêta sur sa cible et, tout de suite, le laser trancha net dans la chair blanche. Il fit une courte incision sous la poche d’où sortait l’organe inséminateur. Quelques gouttes de sang acide perlèrent sur les bords de la plaie et furent immédiatement aspirées. Le cathéter s’enfonça entre les chairs de l’animal et atteignit les ovules.  
   Celles-ci apparurent sur l’écran holographique du laborantin qui surveillait les manœuvres chirurgicales. Oblongues et grisâtres, elles étaient encore accrochées aux muqueuses gluantes comme des chauves-souris à la paroi d’une caverne humide. Le laser les détacha une par une, tandis que le cathéter les aspirait. En moins d’une minute, elles furent conditionnées et prêtes à être expédiées.     
- Ce n’est pas plus difficile que ça…! dit l’assistant en se tournant vers Lady Ripley. L’extraction de l’a.d.n se fait lui aussi relativement rapidement au bloc n°3. Il n’y a rien de très intéressant à voir, à part des boitiers isolants. Notez qu’il est totalement exempt de gènes humains alors qu’il provient d’une reine mutante xéno-humaine… heu… comme vous le savez ! Ce sont les œufs qui filtrent les a.d.n afin d’éliminer les gènes indésirables. Nous pensons découvrir le procédé assez rapidement. Cela facilitera encore les choses…! C’est grâce à cela que les xénomorphes issus de parasites peuvent retrouver leur apparence originale dès la première fécondation...! 
    La "Mutante" haussa le sourcil et hocha légèrement la tête en signe d’intérêt. L’assistant continua :
- Pour en revenir aux a.d.n… c’est ensuite que ça se complique…! Le Professeur Foller a inventé un procédé d’intrication révolutionnaire qui permet de créer un a.d.n original. Cela fonctionne sur nos simulateurs, mais il faut maintenant le tester in-vitro…!   
- Je suppose que les enzymes qu’il a découvert proviennent du parasite…? demanda Lady Ripley.
- Euh… oui, c’est juste...! Ce sont eux qui sont impliqués dans les interactions entre les gènes. Ils sont récupérés au moment de l’extraction de l’a.d.n…! Le procédé d’intrication est très simple. Nous isolons, avant tout, les gènes indésirables des deux parties; essentiellement pour cause d’esthétisme; nous disposons ensuite les a.d.n dans un bain d’enzyme, et tout se fait le plus  naturellement du monde. C’est exactement ce qui se passe à l’intérieur d’un hôte parasité. Cela évite aussi les opérations d’intrications nano-chirurgicales; le procédé sur lequel vous travaillez qui est bien plus délicat à effectuer ! 
- Trois ans de recherches pour rien…! Je vous en veux, Lew, de m’avoir caché ces découvertes aussi longtemps ! 
- Mais nous venons à peine de les faire. Les recherches n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements, il y a encore des ratés…! répondit le Ministre.
    L’assistant lui sauva la mise :
- Vous savez, toute l’équipe pense que les intrications seront très utiles pour amorcer la fusion et pour positionner les génomes; les résultats de vos recherches nous aideront certainement ! 
- Eh bien, si cela est réciproque, je vous apporterai volontiers mon aide…! Vous comprendrez, Lew, que tous les travaux de Foller doivent être mis à ma disposition, sans exception. Le moindre document peut cacher des indices essentiels. Ses recherches sur la mémoire, sur le phénomène de récurrence, sont d’une importance fondamentale. C’est là que se trouve les plus gros risques de dérive…! Qui sait quels terribles secrets Foller a emportés avec lui...!      
- Je vois que vous avez gardé quelques griefs contre lui…! S’il nous a caché quelque chose, vous le découvrirez. Vous aurez ses meilleurs assistants pour vous seconder et vous aurez accès à toutes ses données. Nous avons même récupéré les documents qu’il avait chez lui. Vous devriez être satisfaite…! Je pense que nous en avons fini avec les extractions et les intrications, non…?! Allons voir la salle de clonage, alors. Je crois que vous apprécierez ! Nous vous suivons, cher ami…! 
    Ils passèrent simplement d’une salle à l’autre. Le Ministre de la Défense se tourna vers la "Mutante".
- Alors…?! Et ce n’est pas qu’une histoire de design, vous pouvez me croire. Les toutes dernières technologies vont être appliquées, ici-même ! 
- Très impressionnant, je le concède…! Mon laboratoire fait pâle figure à côté ! répondit-elle.
- Plus pour longtemps…! Vous bénéficierez d’un transfert de technologies dès que vous aurez pris vos fonctions ! 
    Lady Ripley resta quelques secondes à imaginer tout ce qui allait sortir de ces dizaines d’incubateurs.
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    Un intense sentiment de joie étreignait Nico. Un mince sourire contenu ridait son visage vieillissant et d’imperceptibles clignements de son œil malade lui rappelaient qui il était réellement. Il se trouvait génial. Sa découverte et tout ce qui en découlait étaient fantastiques. Vraiment… ! Il aurait été désolant que son ancien "moi" disparaisse à jamais. Pauvre Professeur ! Heureusement, l’esprit de Foller était encore là, bien vivant, dans son nouveau corps, en la personne de Nico. Il était de nouveau à la tête de son laboratoire et maitre de ses connaissances, heureux et fier de ce qu’il avait accompli.
    Planté en plein milieu de la salle de clonage, il en admirait les modifications, la modernité et la sophistication. Les encombrants cylindres de clonage avaient été remplacés par un chapelet de bulles en diamantine qui couvrait tous les murs. Une bonne quarantaine d’individus pouvait être produit, ici, en moins de six mois. Et la première fournée arrivait justement à maturité.
   Nico passa lentement tous les clones en revue. Les corps étaient parfaits. Les mutations indiscernables, à part pour la taille et le gabarit qui étaient toujours plus importants que chez l’original. Il s’arrêta devant le clone de Horst en le reconnaissant, resta quelques secondes à l'observer, puis continua sa sélection. Il fixa son choix sur un spécimen d’une rare beauté. Un beau mâle bien bâti au visage expressif... à la fois triste et déterminé.
    Le clone-mutant endormi flottait en suspension dans son liquide amniotique. Un long cordon ombilical le raccordait à la vie, lui procurant les éléments, l’oxygène et les enzymes accélérant dont il avait besoin. Un frémissement lui parcourut l’échine et il se recroquevilla sur lui-même avant de lentement reprendre sa position initiale.      
    Nico passa le capteur de son lecteur devant le code barre de la cuve et obtint immédiatement l’identité du clone. Le nom, le prénom du jeune homme s’affichèrent à l’écran holographique, ainsi que toute une série de renseignements : Aguilar Ardan. Mâle. 21 ans. Américain. GAT. L.R. 28574. Mission Éternity.    
      Nico l’observa quelques instants. L’ambiguïté de son regard, le cynisme qui se reflétait dans ses grands yeux verts et le petit clignement nerveux qui lui faisait tressauter la paupière, ne laissaient rien présager de bon pour le malheureux Ardan qu’il avait choisi d’infester. Il resta un long moment à le contempler, puis quitta la salle de clonage.     
    Les lumières s’éteignirent automatiquement derrière lui. Les parois en diamantine s’opacifièrent brusquement, puis l’obscurité fit tout disparaitre.
                                                                                  

CHAPITRE N° 19

    Le géo-croiseur surgit des ténèbres. L'énorme météorite avait été totalement transformée et était devenu le vaisseau le plus imposant de tous les temps. Un colosse de roche...! Dur comme le diamant....! Le gigantesque vaisseau était entièrement recouvert d’un épais film de protection auto-réparant qui brillait sous la lumière des projecteurs. 
    La pointe avant du géo-croiseur était recouverte par un immense bouclier de protection. Le filet d’amarrage, désormais inutile, avait été retiré. Sur le flanc visible du météore s’alignaient une rangée de petits cratères de même taille. C’est vers l’un d’eux que se dirigea le transbordeur qui venait d’apparaitre au bas de l’écran.
    Eva Kesh, toujours aussi jeune, commentait la scène :   
- Voilà…! C’est maintenant au tour des deux Géno-Cubes...! Ils vont être débarqués, puis entreposés dans l’Auto-Lab, au cœur du géo-croiseur, à l’abri des chocs, des radiations cosmiques, des tempêtes magnétiques qui ne manqueront pas de venir perturber leur improbable et non moins incroyable voyage. C’est une petite colonie d’environ mille personnes qui est emprisonnée à l’intérieur de ces ice-cubes. Des dizaines de milliers d’a.d.n qui devront résister et survivre à un trajet de cinquante sept mille années lumières, durant près de soixante-quinze mille ans. Cela est-il possible…?
    La super présentatrice a pparut à l’écran. 
- C’est la question que nous poserons tout à l’heure à notre invitée, en exclusivité pour "Space Oditty"…!. Elle en profitera pour nous annoncer sa retraite qui sera, je l’espère, le début d’une nouvelle aventure pour elle...! Au-delà de l’enjeu énergétique et du défi technologique que cette mission représente, tout cela est-il bien raisonnable...? C’est une sorte de pari sur l’avenir. Incertain pour les uns, essentiel pour les autres. Y-a-t-il un réel danger...? Comment garantir notre sécurité...? Des questions dont nous débattrons avec les experts du Gouvernement, dans un moment…! Le transbordeur a atteint le cratère d’accès et doit maintenant y pénétrer. La manœuvre est délicate. Voilà, c’est fait…! Nous n’en verrons pas plus. Les Géno-Cubes vont être déchargés et vont ensuite rejoindre leur point d’arrimage dans les entrailles du géo-croiseur...!
    Le cratère se referma lentement sur le transbordeur. 
- Les voilà livrés à eux-mêmes…! reprit Eva Kesh. Enfin, pas tout à fait, si l’on prend en compte l’équipage d’autons qui doit les conduire sur Eternity….! Ces derniers sauront-ils s’auto-régénérer durant aussi longtemps sans accumuler les erreurs, ni perdre aucune fonction...? Sauront-ils protéger les a.d.n dont ils ont la responsabilité et assurer une maintenance aussi complexe...? Il va ensuite s’agir, pour eux, de réaliser la construction de l’Auto-Lab, d’engins robotisés sophistiqués et de super-calculateurs; d’aménager les lieux de vie, de produire la nourriture sans cesser de réparer tous types d’avaries…! Ce sont des usines, un super générateur, une machinerie gigantesque qu’il leur faudra gérer. Toute cette débauche de technologies suffira-t-elle ? Et je repose la question : tout cela est-il bien nécessaire…? Mlle Baron, bonsoir…! Vous avez été la maitre d’œuvre de ce projet pharaonique et vous êtes venue sur ce plateau pour essayer de nous persuader de son utilité. À vous l’honneur, donc…!   
    Claire Baron sourit maladroitement à la caméra en se tortillant dans son fauteuil, croisant et décroisant les jambes tandis qu'elle cherchait dans sa mémoire les premiers mots de son discours. Elle se lança sur un ton empreint d’une fausse sévérité :
- Bonsoir..! Nous savons tous que l’aventure spatiale a longtemps été jonchée de tentatives avortées et de sacrifices héroïques, mais que ceux-ci n’ont jamais été inutiles. Ils nous ont permis d’aller plus loin, avec plus de sûreté…! Nos longs-porteurs sont la preuve que les technologies d’aujourd’hui, que notre savoir-faire, peuvent nous aider, une fois encore, à repousser les limites du possible…! Bien sûr, ce voyage est exceptionnel et il peut vous sembler irrationnel, utopique, inutile. Je ne suis pas là pour en juger…! Mais il est techniquement faisable. Le vaisseau est à la dimension du défi. Et je peux vous garantir qu’il arrivera à destination. Les tests, les simulations, nous autorisent à être des plus confiants. Évidemment, il n’est pas à l’abri d’une panne imprévue, bien que le risque soit vraiment très faible, mais nous resterons en liaison perpétuel avec l’équipage d’autons pour les aider à résoudre le moindre problème. Ils bénéficieront, ainsi, des avancées technologiques, des nouvelles découvertes, tout au long de leur périple, et en seront d’autant plus efficaces…! Je suis tout aussi confiante en ce qui concerne le Géno-Cube. Lady Ripley vous parlera mieux que moi de ce qui se trouve à l’intérieur. Mais pour ce qui est de sa conception, je peux vous certifier qu’elle est parfaite, qu’aucune particule dangereuse ne traversera la coque de protection. Celle-ci est même capable de résister à un effondrement géologique. Il n’y a rien à craindre de ce côté-là…! Vous avez parlez de nécessité, mais aussi de dangerosité. Le danger nous force parfois à agir, afin de le devancer. La menace extra-terrestre et la menace militaire sont bien réelles, et l’erreur serait de croire que nous avons du temps devant nous. Nous emparer de cette nouvelle et surpuissante ressource énergétique qu’est la Neutrinite nous permettra de tenir en respect tous nos ennemis. Voilà en quoi ce voyage est nécessaire…! 
- Certes, les militaires sont encore bien loin de votre destination, mais les extra-terrestres, eux, y sont, peut-être, encore installés. Je doute qu’ils vous accueillent avec bienveillance. Ils n’auraient pas de mal à vous intercepter et, ainsi, à découvrir notre présence…!?  lui fit remarquer Eva Kesh.
- Votre argument ne tient pas debout…! Vous savez très bien que la Sécurité nous impose un système d’auto-destruction automatique pour ce cas de figure. Dans l’éventualité d’une défaillance technique, c’est envisageable. Mais si les extra-terrestres sont toujours sur les lieux, nous le saurons assez tôt et je crois que la meilleure chose à faire dans ce cas-là sera de trouver un terrain d’entente. Nous avons un avantage sur eux : nous savons où ils se trouvent, nous connaissons leur langage, leur armement, leur technologie…! Ceci dit, nous ne pensons pas faire de mauvaise rencontre. La planète Éternity est hautement polluée, relativement éloignée d’un système habité, et beaucoup moins riche en Neutrinite qu’on le supposait. Elle représente peu d’intérêt, dans une région qui en regorge. Elle n’a sans doute été qu’une escale malheureuse pour les extra-terrestres qui l’on découvert…! Pour nous, c’est une première étape…! Sa composition atmosphérique peut facilement être améliorée et la pollution qui y règne, entièrement éliminée. Il y a de la glace d’eau en quantité et des océans, ainsi que toutes les matières premières dont nous aurons besoin. Je ne dis pas que c’est un paradis, mais les conditions sont favorables pour un retour à la vie…! 
- Si nous excluons les militaires et les extra-terrestres, il reste pourtant une dernière menace. Je parle au nom de vos nombreux détracteurs qui redoutent toujours autant la normalisation des mutations. Est-il bien sage de laisser Lady Ripley conduire cette mission…? Une trahison est-elle envisageable, voire une invasion en retour…? 
- Je ne peux décemment pas répondre à cette question Madame Kesh…! J’ai accepté de collaborer à ce projet pour les mêmes raisons que Lady Ripley et parce que celle-ci a toute ma confiance. Vos arguments sont ridicules…! Voilà dix ans déjà que nous envoyons des clones-mutants dans nos colonies et nous n’avons jamais eu à nous plaindre de leur fidélité. Connaissez-vous quelqu’un qui ait un sens du sacrifice aussi développé que celui de Lady Ripley. Quelqu’un qui soit mieux armé qu’elle pour combattre tous les démons de l’espace. Qui soit de taille à diriger toute une colonie et à affronter l’inconnu. Et d’ailleurs, elle ou un autre, croyez vous que cela puisse changer quelque chose…!?        
- Je ne le pense pas…! Mais, pourtant, d’après sa dernière prestation télévisée, elle semblait très attachée à sa créature. Elle a fait sensation et en a alarmé plus d’un en se montrant avec...! remarqua la présentatrice.
- Vous avez aussi pu voir comme elle a su l’amadouer, la dompter et la rendre inoffensive…! rétorqua la technologue. Le public ne s’y est pas trompé, d’ailleurs...! Plusieurs millions de visiteurs sont déjà venus admirer ce soi-disant monstre, en seulement quelques jours. Je crois qu’elle a su les rassurer ! 
- Vous ne m’en voudrez pas alors de revenir sur cet épisode, avant de retourner, ensuite, assister au départ officiel de la mission Éternity…! Je vous remercie, Mademoiselle Baron, d’avoir répondu à nos questions. Retrouvons-nous dans un instant...! 
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- Ardan, mon chéri, je t’ai dit que je ne voulais pas qu’il regarde ces horreurs…! 
    Ardan, assis dans le divan du salon, se retourna vers sa femme.
- T’inquiète pas, il s’est endormi…! murmura-t-il en montrant l’enfant blotti à côté de lui.     
    À l’écran, le terrifiant faciès de la Reine-xénomorphe leur faisait face. La monstrueuse gueule sans yeux regardait la caméra d’un air curieux comme si elle cherchait à pénétrer chez le téléspectateur. La collerette épanouie et scintillante de reflets ambré, elle présentait parfaitement. On pouvait l’entendre cliqueter. Ce simple son, ce cliquetis mat et étouffé qui résonnait doucement à travers ses lobes frontaux, suffisait à la rendre attendrissante. Elle n’était plus qu’une pauvre bête sauvage, esclave de ses instincts, capable du pire comme du meilleur.       
    L’animal dodelina de la tête, secoua sa collerette, puis émit un long gémissement. La caméra recula pour reprendre un peu de champ; Lady Ripley était là, juchée sur un porteur à sustentation, seule face à l’imposante reine xéno-morphe, sans autre protection qu’une simple rambarde. La "Mutante" s’approcha lentement, la main tendue. Arrivée à sa hauteur, elle lui flatta gentiment le museau, puis lui donna une gourmandise. Aussi simple que cela...!    
- Eh ben, dis donc, elle ne manque pas de courage…! Ho, la, la, tu as vu ça, cette mâchoire...! s’exclama la jeune mère en voyant la gueule du xéno-morphe s’entrouvrir.
- Elle pourrait n’en faire qu’une bouchée et pourtant elle lui mange dans la main. Allez, viens t’asseoir, ça vient de commencer ! dit Ardan en tapotant le divan du plat de la main.   
    Il remonta le volume, se cala dans les coussins et enlaça sa petite femme adorée. La voix d’Eva Kesh résonna dans le salon.
- … cela se passait au grand zoo du parc naturel de Northland, lors de la présentation officielle des xénomorphes au public. L’étape suivante semble bel et bien être la naissance en captivité de xénomorphes semi-originel et l’étude du phénomène de dé-mutation qui leur permet de retrouver leur forme ancestrale. Peut-être un espoir pour débarrasser nos propres mutants de gènes encombrants…! Il est temps maintenant de retourner vers le système Arios, pour assister au départ officiel de la Mission Éternity. Voilà, nous y sommes…! Nous retrouvons le super vaisseau Éternity, conçu à partir du géo-croiseur Téoris 47, pour un dernier adieu. Souhaitons bonne chance à nos courageux volontaires. À Melle Claire Baron, à Lady Ripley, bien sûr, et à tous ces anonymes héros de l’Humanité qui ont accepté de faire cet incroyable voyage vers l’inconnu. Que serons nous devenus quand ils toucheront enfin au but…? Les aura-t-on oubliés…? Serons-nous encore là pour les voir resurgir du néant et renaitre dans un nouveau monde…? Nous les suivrons, siècles après siècles, millénaires après millénaires, dans leur odyssée galactique en espérant qu’un jour ils continueront d’écrire la grande Histoire de l’Humanité…! Le transbordeur s'éloigne du géo-croiseur pour regagner le vaisseau cargo. Les Géno-cubes sont maintenant en sécurité. Les panneaux se referment sur eux et ne s’ouvriront, désormais, qu’à la fin du voyage, dans un peu plus de soixante-quinze mille ans…! Encore quelques secondes et ce sera le grand départ. 3, 2, 1, les voilà partis. Bonne chance à eux...!       
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    Le géo-croiseur accéléra imperceptiblement. Sur son flanc, jaillissant d’un des cratères d’échappement, une impressionnante colonne de gaz bleutée apparût et s’étendit en cône dans le vide cosmique. Le météore dépassa, bientôt, le vaisseau-cargo, puis s’éloigna de lui, mètre par mètre, découvrant son train-arrière. Les tuyères de compression étaient fichées à l’intérieur d’un immense cratère central. Une colonne magnétique s’en échappait avec force, poussée par un puissant éclat blanchâtre. La lueur s’intensifia peu à peu, jusqu’à en devenir aveuglante. Elle enveloppa le super-vaisseau Éternity qui ne fut bientôt plus qu’un point lumineux dans l’espace, parmi les étoiles.         
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- Ça me fait bizarre de savoir que tu es là-dedans…! Je m’inquiète pour toi et en même temps je suis jalouse…! C’est idiot, mais j’ai l’impression de te perdre…! 
- C’est juste un peu d’a.d.n congelé…! Moi, je suis toujours là ! répondit Ardan, en embrassant son épouse sur la joue.
    Leur enfant dormait à poing fermés. Le son de la télé était coupé et Eva Kesh parlait dans le vide, à l’écran.   
- Dans soixante-quinze mille ans, c’est une autre que tu aimeras…! Ça me fait de la peine ! 
- Pour moi, tu seras le plus beau des souvenirs…! Je pourrai penser à toi, si je suis triste ! dit Ardan pour la rassurer.
- C’est gentil, mon amour, de me dire ça…! Je t’aime…! Mais, quand même…! Ça ne m’empêche pas d’être jalouse ! soupira la jeune femme en se lovant contre lui avec un air coquin.
    Ardan se pencha vers elle et ils s’embrassèrent avec passion. Au même instant, le noble et austère visage de Lady Ripley remplaça celui de la présentatrice. Le regard fixe, elle semblait observer les deux amoureux en train de se bécoter. Mû par un sixième sens très développé, Ardan ouvrit un œil et croisa, alors, le regard perçant de sa maitre-à-penser. Sa femme se figea elle aussi, puis tourna la tête vers le diffuseur.
- Encore elle…! dit-elle en voyant l’intruse. Je ne sais pas si j’ai raison d’être jalouse, vu la tête qu’elle a, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle commence à m’énerver…! Et, en plus, tu montes le son...! 
- Elle va parler de la mission…! Ça m’intéresse ! Et puis, franchement, tu n’as pas à être jalouse. Je la considère comme ma seconde mère ! 
- La tienne suffit bien…! 
- Ne le prends pas mal, mon amour…! Reste...! 
- Je vais coucher Yehan. Lui aussi, il a besoin de sa maman…! dit-elle en prenant le gamin dans ses bras.
- Ouf…! Il a encore pris du poids ce petit bonhomme. Allez, tu vas faire dodo dans ton lit...! 
    Le gamin s’accrocha au cou de sa mère, puis se frotta les yeux avec le poing.
- Il est parti, papa…?       
- Mais non, je suis toujours là, mon p’tit chou…! répondit Ardan. Fais-moi un bisou. Allez, bonne nuit...! On regardera tout ça, demain. Que tu saches au moins que ton père fait maintenant partie de l’Histoire…! 
- Pfff…! fit sa femme en esquissant un sourire narquois.
    Ardan remonta le volume. La voix de Lady Ripley l’envoûta instantanément.
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- … Le propre d’une mère n’est-il pas de protéger sa progéniture et de forger une unité, un lien indéfectible qui unisse les siens autour d’elle. C’est la raison pour laquelle nous avons préféré utiliser la même souche-mère. Pour assurer une stabilité à la colonie…!   
- Pourtant, Mlle Baron, elle, est issue d’une nouvelle souche-mère. Il semble que le gouvernement ait voulu équilibrer un peu les choses. Ne craignez vous pas quelques tensions…? demanda Eva Kesh.
- C’est moi-même qui ait proposé à Mlle Baron de m’accompagner dans cette aventure. Elle a toute ma confiance, toute mon amitié, et je sais pertinemment que nous partons en alliées. Son rôle est essentiel et le fait qu’elle soit issue d’une nouvelle souche-mère ne me gène en rien. Au contraire, je trouve cela très sain, dans une certaine mesure…! Le gouvernement avait besoin de rassurer l’opinion et il a fait le bon choix en nommant une personnalité d’une aussi grande valeur morale et intellectuelle. Je me réjouis de la savoir à mes côtés ! 
     Claire Baron eut un petit sourire gêné et esquissa une mimique de remerciements. Le maquillage dissimulait fort heureusement le rouge qui lui monta aux joues. La super-présentatrice reprit son interrogatoire :
- J’aimerais revenir sur ce phénomène sociétal qui enfle dangereusement et qui voit un nombre inquiétant de citoyens s’intéresser au génétisme, voire à l’approuver…! La polémique a redoublé d’intensité et des violences ont même été enregistrées au sein de la Cité. Qu’est-ce que vous en dites...? 
- Évidemment, en premier lieu, je déplore ces actes de violence et je plains les victimes, mais je reste attentive à l’appréhension de la population face à une telle menace. Je crois que les lois sécuritaires que le gouvernement a établies ne pourront pas empêcher les dérives qui s’annoncent. Il n’a pas d’autre choix que de durcir la sécurité avant que les choses ne s’emballent. Espérons qu’il ne soit pas trop tard…!  Un jour ou l’autre le verrou de l’hypocrisie finira par sauter et ce sera la majorité qui voudra devenir éternelle…! Vous savez que j’ai toujours été attentive à la sécurité. En quinze ans, nous n’avons eu à déplorer aucun trafic d’a.d.n mutant et cela durera aussi longtemps que nous le voudrons bien. Pour ma part, je continuerai à agir en toute transparence et je peux vous garantir que mon successeur fera de même. La protection du patrimoine génétique de l’Humanité est, pour nous, une priorité absolue. Et je rappelle à nos volontaires que l’éternité n’est pas un privilège, mais qu’elle se mérite...!
- Une autre question : le retour des colons-mutants a été autorisé. Dans des conditions plutôt contraignantes, certes. Mais n’y a-t-il pas, là, un risque de plus pour la population, malgré les mesures de sécurité envisagées ! 
- Ma chère Eva, vous avez encore du temps devant vous avant de vous inquiéter pour cela…! Vous savez bien que les volontaires ont signés pour des missions de soixante cinq ans. Les premiers retours, s’il y en a, car les colons ont la possibilité de signer pour de nouvelles missions, ne se feront pas avant une cinquante d’années. D’ici là, les évènements auront, peut-être, fait évoluer les lois. Si ce n’était pas le cas, eh bien, ils se retrouveraient pour le restant de leurs jours dans une prison dorée. Ils savent ce qui les attend. Certains préféreront certainement un retour sur Terre dans ces conditions, à une épuisante éternité. Mais ils ne seront pas si nombreux et leur isolement pourra être assuré très facilement. Moi-même, m’en suis-je plains une seule fois...? 
- Vous restez relativement optimiste, donc, et nous espérons que vous avez raison…! Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions, Lady Ripley. Nous vous laissons à vos recherches et à vos chères petites bêtes…! Merci, encore. Et surtout, bon voyage...!
    Un sourire amusé éclaira le visage de la "Mutante", elle hocha la tête, puis disparût de l’écran.
- Bienvenue à vous Mr le Gouverneur et merci de participer à notre émission. Avant de vous entendre, j’aimerais faire un petit récapitulatif sur la mission Éternity et effectuer une plongée vers la planète du même nom. Allons découvrir ce qui s’y cache et ce qui attend nos courageux colons !         
    Lew Danton rengaina son sourire et se concentra sur le diffuseur holographique.
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CHAPITRE N°20

    Le Général Shell tapa du poing sur la table et se leva brusquement en s’écriant :
- J’vais vous le dire, moi, c’qui vous attend, sales cons d’civils…! Une guerre totale !
    Le général coupa le son du diffuseur et jeta la télécommande devant lui. La tablée de responsables qui l’entourait l’approuva d’une seule voix :
- Yeah…! 
- Ces saletés de mutants veulent nous couper l’herbe sous le pied…! Si leur putain de vaisseau tient la route, ils arriveront avant nous, avec largement assez d’avance pour se constituer une armada. Et là, il sera trop tard...! Je ne vois plus qu’une seule chose à faire, messieurs : trouver un allié…! 
  Les généraux unirent à nouveau leur voix, mais l’approbation sembla, toutefois, moins enthousiaste.  
- Vous savez qu’il nous faut tenter le tout pour le tout. Que sans aide, nous sommes condamnés…! Notre honneur bafoué nous interdit de capituler…! Malgré le risque que cela représente, il faut donc nous allier aux "Ingénieurs", c’est notre dernière chance. Nous devons les contacter... avec toutes les précautions qui s’imposent, bien sûr…! Nous pouvons décider dès maintenant d’envoyer un de nos vaisseaux jusqu’à eux pour les prévenir de la menace qui pèse sur eux…! Sans escale, il peut atteindre sa destination avant la mission Éternity. En échange de quoi, ils nous seront très certainement redevables...! 
- Ou pas du tout…! D’après ce que nous en savons, ce sont des ennemis potentiels. Ils ont l’air civilisé, mais sont plus militarisés que nous ne l’avons jamais été…! Il faudrait être certain d’obtenir leur aide et leur reconnaissance ! proposa l’un des généraux.
- Yeah…! firent les autres, en chœur.
- Nous avons un avantage. Fragile, mais exploitable…! répondit le Général Shell. C’est qu’ils ne savent rien de nous et que nous pouvons exagérer sur notre puissance de frappe...! Ils ne sont pas censés savoir que leur technologie n'en est pour nous qu'au stade expérimental. Avec un message clair et de belles promesses, nous pourrons obtenir leur confiance et leur aide...! 
- Ils n’ont pas l’air d’être aussi lâches et influençables que vous l’espérez, Général Shell. Il serait plus efficace de leur proposer un marché. De leur donner quelque chose de plus consistant, en échange de leur amitié. Il faut être craints, mais rester généreux…! 
- Et que comptez-vous leur offrir de si précieux…? demanda l’un d’eux, d’un air dubitatif. Une amitié indéfectible...? Une alliance sans intérêt...? L'éternité... peut-être...!
- Ce n’est pas l’essentiel…! reprit le Général Shell. Nos descendants ont soixante-quinze mille ans devant eux pour trouver la bonne stratégie…! Mais nous, messieurs, nous n’avons plus une seconde à perdre…! Entre deux calamités, il nous faut choisir la moins pire, et je préfère cette alliance, au sida génétique que les civils nous promettent...!   
- Yeah…! firent les généraux, convaincus.
- Vous oubliez une chose, Shell…! fit remarquer un vieux général au teint cireux et aux traits marqués par les maladies qu’il endurait. C’est que Lady Ridley pourra négocier avec eux d’autant plus facilement qu’elle a déjà l’Éternité à leur offrir…! C'est un argument de poids auquel ils ne résisteront pas...! Pas plus que nous-mêmes, d'ailleurs, ne sommes prêts à le faire...!
- Qui vous dit que nous n’arriverons pas à nous en emparer, d’ici là…! Quoiqu’il en soit, j’ai dans l’idée, qu’ils préféreront s’allier avec nous, plutôt qu’avec une bande de "xénomorphes-mutants". Ils n’essaieront même pas de parlementer quand ils apprendront que des "xénomorphes" débarquent pour les envahir. Ils les écraseront...! 
    L’idée plût aux généraux qui l’approuvèrent avec enthousiasme :
- Yeah…!  
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CHAPITRE N° 21
                                                                      
- Amen...!
    Le prêtre fit le signe de croix et effleura la chevelure du jeune homme qui priait, agenouillé face à lui.
- Mon enfant, tu es l’élu que Dieu a choisi pour accomplir sa volonté. Dans sa grande clairvoyance, il t’a donné la foi. De celle qui renverse les montagnes et repousse les flots du déluge. Il t’a béni de sa lumière pour que tu nous montres le chemin. Tu brandiras la Croix, l’Étoile, la Svastika et le Croissant à travers le monde, pour rappeler à l’Humanité que Dieu est toujours auprès d’elle et que son fils revient pour la sauver. Amen…!        
- Amen…!
    Des centaines de voix s’élevèrent sous la coupole et retentirent dans toute l’église. Le jeune homme releva la tête, puis se signa. Le prêtre fit un pas de côté et passa au suivant. Une suivante, en l’occurrence. Une jeune fille à la peau noire et aux cheveux blonds comme les blés. Celle-ci baissa les yeux, les mains jointes sous son menton, afin de recevoir sa bénédiction. Elle était la dernière du rang.
    Derrière elle et les six autres jeunes volontaires qui priaient à genoux devant l’autel, se trouvait réunie toute la communauté œcuménique de l’arrondissement. Il n’y avait plus une place de libre sur les gradins et les croyants s’entassaient de bas en haut sur toute la largeur de l’amphithéâtre. 
- … et que sa fille revient pour la sauver. Amen !
- Amen…! 
    Le prêtre remonta solennellement les marches de l’autel, se plaça sous les quatre insignes religieux qui surplombaient l’arrière-scène, puis invoqua silencieusement l’aide de Dieu, les yeux rivés au ciel et les bras grands-ouverts. La foule se recueillit avec lui, mains jointes et têtes baissées. 
- Mes frères, mes sœurs, mes chers enfants, nous sommes réunis en ce Jour Saint, pour dire adieu à nos fils et à nos filles…! Ce sont des adieux qui se veulent emplis d’espoir pour que s’apaise le chagrin que nous ressentons, tous, à les voir partir. Et cet espoir est celui d’un monde meilleur où la parole de Dieu est écoutée et comprise. L’espoir d’une Humanité pure et innocente, forte de sa foi et de la conscience divine qui l’éclaire…! Trente ans de prières, d’appel à l’aide et de cris de colère n’ont pas suffi à réveiller la population de son apathie. La majorité de nos concitoyens reste acquise à la cause des scientifiques. Ils votent sans réfléchir à la menace qui pèse sur nous…! Pensent-ils vraiment échapper au cataclysme annoncé à l’aide de quelques lois sécuritaires. Peut-être, espèrent-ils, tous, au fond d’eux-mêmes, devenir des mutants et enfanter des monstres, à l’instar de ces fous dangereux que sont les adeptes du génétisme…! Je n’en suis pas certain. Je crois qu’il est encore temps de sauver leur âme. De les remettre sur le chemin qui mène à Dieu. Et d’aller à nouveau, vers eux…!       
    Le prêtre inspira une grande bouffée d’air. D’un geste lent et emphatique, il désigna les sept jeunes auréolés de lumière, qui priaient au bas de l’autel, puis reprit son sermon :
- Gloire à vous mes chers enfants, car vous êtes les élus de Dieu. Vous êtes ses nouveaux apôtres. Les gardiens de la foi à travers le monde et jusqu’au fin fond de la galaxie…! Vous êtes les sauveurs de l’Humanité...! Demain, vous partirez prêcher la Vérité. Vous irez grossir les rangs de notre Armée œcuménique et serez la voix de Dieu. Celle de vos familles, de vos amis, de vos église, et de tous ceux qui refusent l’inexorable agonie de l’Humanité…! Lady Ripley est dans tous les foyers, exhortant chaque famille, chaque enfant, à prendre son parti, contre la promesse d’une vie éternelle. C’est auprès d’eux que vous, aussi, devrez être. La rue, les bars, les boites de nuit seront votre champ de bataille. Votre foi, votre volonté, votre parole et votre amour de l’Humanité seront vos seules armes. Partout où l’apathie et l’indolence règne en maitre, vous agirez. Vous réveillerez les consciences silencieuses et les guiderez sur le chemin de la Vérité…! La Mission Éternity ne doit pas atteindre son but. Ils n’ont envoyé, là-bas, aucun humain né de la main de Dieu. Qu’arrivera-t-il à l’Humanité quand ces monstres reviendront sur Terre, plus puissant que jamais…? L’Humanité aura-t-elle, seulement survécu à ce qui s’annonce…? Aurons-nous su résister à la tentation et aux flots déchainés de la folie humaine…? Aurons-nous eu le courage de nous battre jusqu’au bout contre ce terrible ennemi…? Je ne peux pas en douter…! Et c’est vous, mes chers enfants, anges de la Foi et de la Vérité, qui nous donnerez la force dont nous avons besoin. Qui porterez nos espoirs à travers le vaste monde et la parole de Dieu à l’oreille des sourds…! Nos prières vous accompagneront où que vous soyez et ce chant résonnera en vous à chaque instant de la journée. Chaque jour nous honorerons l’un d’entre vous comme un saint. Vos noms seront gravés sur les Tablettes Sacrées et rejoindront le sanctuaire de notre grande et longue Histoire…! Prions…! Prions, mes frères et sœurs, pour que les puissances divines leur insufflent la force et la sagesse. Invoquons Dieu pour que sa lumière éclaire leur chemin et leur apporte le feu sacré. Et que dans son infinie bonté, il les aide à sauver l’Humanité. Amen !                     
- Amen…!
    L’amphithéâtre vibra d’une seule voix. Un grand froissement se fit entendre, puis le silence s’imposa. Enfin, sortant de nulle part, une magnifique voix de soprano s’éleva doucement sous la coupole et électrisa la foule. Tous ces visages semblaient unis dans la même prière; néanmoins, derrière certaines de ses paupières closes se cachaient de traitres pensées, bien plus sombres qu’il n’y paraissait. 
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CHAPITRE N°22
                                                                   
    Cloué sur sa croix, un xéno-morphe sanguinolent agonisait sous un soleil de plomb, tout en haut d’une colline. À ses pieds, une longue file de xénomorphes éreintés passait sans le voir. La même blessure ensanglantée dessinait l’étoile jaune de David sur leur poitrail décharné. Sur un côté du sentier qu’ils empruntèrent, les rejoignirent une rangée de xénomorphes, identiques à eux, mais aux torses bardés d’explosifs. Sur l’autre bord du chemin, une seconde rangée de xénomorphes vint se mêler à leurs congénères en brandissant gaiement de petites girouettes colorées en forme de svastika pour les faire tournoyer dans le vent. Ils formèrent, ensemble, une interminable colonne. Par devant eux... et comme posé sur l’horizon... un scintillement lointain guidait leur pas.  
    Sur la colline, le christ xénomorphe, tourna la tête vers la petite lueur qui brillait au loin en se tordant le cou pour essayer de l’apercevoir. Une indicible tristesse émanait de son horrible faciès sans yeux. Il émit un long et faible gémissement qui s’envola dans les airs au-dessus du sombre cortège. 
    À l’horizon, surgissant de partout à la fois, de mille directions différentes, s’étiraient de longues processions de xéno-morphes qui convergeaient, toutes, au même endroit. La lumière du soleil couchant se reflétait sur la diamantine du mausolée vers lequel elles se dirigeaient, et rayonnait tel un phare pour les guider. 
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    La noble dépouille de Lady Ripley était auréolée d’une fantastique aura. Elle gisait allongée à l’intérieur de sa bulle-cercueil. Un grand linceul blanc enveloppait son corps disproportionné et en dissimulait les difformités. Seul son visage était nu, poudré de fines paillettes d’or et de platine. Son profil était presque méconnaissable tant elle avait mutée et vieillie. Sa longue et large collerette ornementée d’or et de diamants se déployait depuis la base de son crâne tout autour de l’imposante proéminence qui lui couvrait la nuque et scintillait de mille feux.          
    Des dizaines de milliers de xénomorphes éplorés se prosternaient au pied du mausolée, ivres de douleur et de chagrin, et gémissaient comme des chiens abandonnés, pleurant la mort de leur Mère à tous.    
    Une petite flamme s’alluma dans le crépuscule, puis dix, cent et des milliers, enfin, portées à bout de bras par les processions qui avançaient. Un océan d’étoiles se mit à scintiller dans la nuit. En son centre, la foule agglutinée, comme aspirée par de lents courants cosmiques, forma un berceau de lumière sur lequel semblait flotter la sépulture de Lady Ripley.  
    Un premier xénomorphe jeta sa chandelle incandescente dans le réceptacle prévu à cet effet. La flamme du brûleur s’alluma instantanément, fusa à l’intérieur de la bulle-cercueil et illumina la paroi de diamantine d’un vif éclat bleuté. Un à un, les xénomorphes défilèrent devant la dépouille de Lady Ripley pour jeter leur chandelle dans la fournaise. Le linceul de la défunte s’embrasa et se mit à brûler avec intensité. Son imposante collerette se recroquevilla lentement sous l'effet de l'intense chaleur, puis, enfin, son corps tout entier disparut dans les flammes, dans une boule de feu blanche et aveuglante.       
_

    L’actrice, encore endormie, sentit la brûlure du séchoir sur sa peau. Elle sortit soudainement de son cauchemar et ouvrit les yeux. La petite rampe d’éclairage fixé au-dessus du miroir l’éblouit l’espace d’un instant.
- C’est presque fini…! dit la maquilleuse, derrière son masque de protection.
- Déjà…!? s’étonna l’actrice.
   Celle-ci regarda l’heure.
- Mais, j’ai dormi tout le temps…! 
- Vous en aviez bien besoin…! Vous avez ronflé comme une bienheureuse !  
- Ah, bon…!? Vous auriez dû me réveiller…! 
- J’ai bien essayé de vous siffler dans les oreilles, mais avec le masque… (elle montra du doigt celui qui lui couvrait la bouche) …vous n’avez rien entendu. De toute façon, ça ne pouvait vous faire que du bien de dormir un peu ! 
- C’est sûr…! Bon sang, vivement que ça se termine. Je n’en peux plus de ce film. C’est cauchemar sur cauchemar, en ce moment. Je vois des xénomorphes, partout ! Et ce truc que je dois porter sur la tête, toute la journée…! Heureusement, c’est la dernière séance ! 
- Ça va, c’est pas trop chaud…? demanda la maquilleuse. C’est bientôt sec…! précisa-t-elle, tandis qu’elle passait le séchoir sur les contours du masque qu’elle venait d’encoller. Puis, elle ajouta :
- C’est un peu plus long qu’avec l’autre colle, mais, au moins, avec celle-là vous n’avez plus d’allergie...! 
- C’est déjà ça…! répondit l’actrice. Si je pouvais ne plus faire de cauchemar, ce serait encore mieux. Vous savez, j’ai cru que je faisais une fixation, une espèce de psychose obsessionnelle, mais je crois que c’est la perspective de ce foutu voyage qui me rend folle. Je ne veux pas l’avouer, mais je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. J’ai l’impression d’être dans le Couloir de la Mort...! 
- C’est sûr, moi, je ne pourrais pas. J’ai déjà une peur bleue des avions, alors, partir dans l’espace, c’est carrément au-dessus de mes forces. Personne ne vous en voudra si vous laissez tomber...! 
- J’en décevrais plus d’un, au contraire. Moi, la première…! Et c’est, justement, là qu’est le danger. C’est devenu un défi, pour moi. J’ai besoin de surmonter ma peur, de me prouver que je suis assez forte. C’est vraiment de la folie…! Ils n’ont pas tort ceux qui me prennent pour une folle, parce que je ne les laisserai pas me traiter de lâche. J’irai, coûte que coûte, et malgré les risques ! 
    La maquilleuse essaya de la rassurer :
- Je suis bien certaine que ce voyage vous paraitra le plus merveilleux de tous, une fois là-haut. Ça doit vraiment être fantastique de se retrouver en apesanteur ! 
    Perdue dans ses pensées, l’actrice répondit, un brin ironique :
- Je serai la première star à briller dans l’espace…! Tout ce que j’espère, c’est que ça servira à autre chose qu’à faire des entrées ! 
- C’est plus que probable…! Mon plus jeune n’a plus qu’une idée en tête depuis qu’il a vu votre saga : devenir astronaute...! Il s’est même mis à dessiner des xéno-morphes. Évidemment, je préfère qu’il devienne dessinateur, mais s’il veut être explorateur, qu’est-ce que j’y pourrai. Ce sera de votre faute…! 
- J’espère que vous ne m’en voudrez pas…! dit l’actrice en esquissant un sourire.
- Bah, bien sûr que non…! Ça serait le comble ! 
   La maquilleuse arrêta soudain le séchoir et le posa sur la table parmi les pots de colle, les fards, les crèmes et les pinceaux.
- Voilà, c’est fini…! J’appelle le plateau pour les prévenir ! dit-elle en sortant un portable de sa poche de blouse. Elle garda le masque qui lui couvrait le nez et la bouche, et dut parler un peu haut, en prononçant bien, pour qu’on la comprenne.
- Mme Weaver sera prête dans cinq minutes…! 
    L’actrice se concentra, à nouveau, sur son image et fixa son reflet dans le miroir. En un instant, elle reprit possession de son personnage. Sa coiffe de latex et toutes les proéminences posées sur son visage lui faisaient comme une seconde peau et n’arrivaient pas à l’enlaidir. Elles en suivaient parfaitement les lignes et courbures, et les prolongeaient harmonieusement pour faire d’elle la plus noble et élégante des mutantes. Il ne manquait que la collerette.
- Vous pouvez déployer la collerette, Alice, s’il-vous-plait ! 
    La maquilleuse s’exécuta aussitôt. La "Mutante" apparut, alors, dans toute sa splendeur. L’actrice n’avait pas encore ses lentilles noires, mais son regard pénétrant en disait assez long. Elle adorait son personnage, l’ambiguïté qu’il recélait. Il était comme un prolongement de son propre esprit. Légèrement plus radical, mais tout aussi exigeant. Elle cligna des yeux et sentit ses paupières s’alourdir sous les petits coups de pinceau précautionneux de sa maquilleuse. Elle essaya vainement de lutter contre, puis finit par se laisser aller tout à fait.
                                                                                                  

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