Alien 5 Eternity (treizième épisode)

 



CHAPITRE N°21

    La Cité Proxima luisait sous un voile de brumes... comme suspendue au milieu des ténèbres. Ses gigantesques dômes illuminés se dressaient tel un vaisseau de lumière perdu dans la nuit. Le Lieutenant Gobbi regardait cette magnifique apparition à travers le hublot.
- Voilà une Cité qui s’offre un peu trop facilement. Je pourrais croire que vous me tendez un piège, "Baronne"…! dit-il en se tournant vers la technologue. Quoiqu’il en soit, je finirai ce que j’ai commencé.  C’est moi, aujourd’hui...! Ou mon armée de cannibales, demain...!
- Ça ne peut pas être pire, d’après moi. Alors, ne comptez plus sur ma coopération…! C’est à mes concitoyens de décider...! 
- Ah, ah, ah…! Allons, allons, Baronne. N’essayez pas de jouer les mères-courage au dernier moment…! 
     Leur vaisseau se posa au sommet du dôme central. Le Lieutenant Gobbi sentit le doute l'assaillir. Il jouait le tout pour le tout avec cette prise de pouvoir "diplomatique". Il gagnait ou perdait. Et bien que ce ne soit que partie remise en cas d'échec, il espérait rester en vie et s'emparer des clefs de la Cité Proxima avant la nuit. Il se tourna vers la technologue. 
- Libérez-la...! ordonna-t-il.
    Les deux gardes s'exécutèrent. Claire Baron sentit un fourmillement envahir ses avant-bras quand le sang se remit à circuler. Elle raidit ses muscles et serra les poings plusieurs fois de suite pour tenter d’évacuer la douleur, mais ne se leva pas.    
- Ne vous faites pas prier, Baronne…! dit le Lieutenant en s'approchant d'elle. 
- Vous pouvez me torturer, je ne vous aiderai plus…! répondit la technologue.
    La main du Lieutenant s’abattit durement sur la joue de Claire Baron. Il attrapa la technologue par le cou et serra violemment en la menaçant de sa petite pince coupante. Le lieutenant écrasa la pointe de l'outil contre la tempe de la technologue comme il l'aurait fait d'une arme à feu.
- Vous n’avez pas l’air de comprendre, Baronne. Si vous ne m’ouvrez pas les portes de Proxima, nous retournons au "zoo" et je tue la Reine-Mère sous vos yeux…! Adieu le grand amour...! 
- Parlez pour vous…! répondit la technologue d'une voix sifflante. 
- Ah, ah…! Ma pauvre Claire, mais ce n’est plus l’amour qui me pousse à agir, c’est la haine...! C’est un sentiment bien plus précieux pour moi... et qui ne s’estompe pas aussi facilement avec le temps…! Il est pour vous cet amour, Claire. Je vous l'offre sur un plateau...! Vous savez très bien que vous ne l'obtiendrez jamais dans l'adversité. Alors, profitez-en...!
    Claire Baron resta muette et planta son regard haineux dans celui du Lieutenant. Leurs visages se touchaient presque. L'homme afficha un sourire sadique.
- Immobilisez-là...! ordonna-t-il .
    Les deux gardes plaquèrent les épaules de la technologue contre le dossier de son siège et lui tirèrent les bras en arrière. Le Lieutenant Gobbi desserra son étreinte, puis fit lentement glisser sa main sur la peau soyeuse de la jeune femme. Il avait une vue plongeante sur son décolleté. Il taillada le col de son corsage d'un coup de pince, puis tira dessus pour le déchirer, mettant sa poitrine à nue. L'oeil concupiscent et le souffle court, il lui saisit un sein, le tordit et le pressa entre ses doigts pour en faire ressortir le téton qu'il emprisonna entre les pointes ouvertes de sa petite pince coupante. Claire Baron sentit le froid de l'acier sur sa peau. 
- Si vous voulez perdre tous vos atouts, Claire, je peux vous y aider...! plaisanta le Lieutenant. Et il ajouta d'un air sardonique : si vous pensez ne plus en avoir besoin...!  
    La technologue faisait pâle figure. Elle n'avait nullement l'envie de supporter une nouvelle blessure et elle imaginait la douleur à venir si elle résistait. D'ailleurs, le voulait-elle...? Elle ne le faisait que pour tromper l'ennemi. Pour que celui-ci pense qu'il avait une chance de réussir.   
- Refusez d'obéir et je coupe ce mignon petit téton sans aucun regret...! 
   Le Lieutenant se pencha un peu tandis qu'il parlait et fit mine de poser un baiser sur le mamelon rougeoyant de la technologue. Cette dernière lui cracha dans l'oreille. 
- Il ne vous est pas destiné...! lança-telle. 
     Le Lieutenant comprit le sous-entendu. Il recula, remisa la petite pince dans sa poche, puis s'essuya l'oreille avec sa manche sans cesser de sourire.
- Lâchez-la...! ordonna-t-il à ses gardes. 
    Claire Baron, faussement soumise, referma son col déchiré d'une main et de l'autre entra son code d'accès dans l'ordinateur de bord. Elle commanda ensuite l'ouverture du sas d'accès.
   
    Au dehors, la brume empoisonnée poussée par les vents enveloppait leur vaisseau de volutes tourmentées. La plate-forme sur laquelle l'engin avait atterri se mit à descendre lentement. Elle s'enfonça progressivement à l'intérieur de la Cité, les emportant avec elle.

     Une minute plus tard, le Lieutenant, la technologue et les deux gardes androïdes pénétraient dans le sas de débarquement.
- Encore un effort, Baronne. Pensez à Ellen…! Vous pouvez la sauver, elle et ses enfants. Je suis certain qu’elle vous en sera éternellement reconnaissante. Vous sauverez les vôtres, aussi…! Vous avez leur vie entre vos mains. Refusez et je vous jure que vous les regarderez mourir un par un, jusqu’au dernier brin d’a.d.n ! J’aurai ensuite grand plaisir à infester votre mémoire et à vous faire souffrir pour l’éternité ! 
    Claire Baron s’arrêta devant la porte d’évacuation et en ordonna l’ouverture sur le clavier de commande mural. « Sas-mobile en approche… Verrouillage… Ouverture autorisée… » s’afficha sur l’écran. Le lieutenant saisit sa prisonnière par le bras.     
- Je vous donne cinq minutes pour me mener au Haut-Commandement et cinq de plus pour entamer la procédure de transfert. Et dites à votre Générale en chef de nous rejoindre...! lui ordonna le Lieutenant.                    
- Ça ne sera pas nécessaire…! répondit la technologue en déclenchant l’ouverture.
    Le Lieutenant Gobbi se figea sur place. Il esquissa un sourire jaune qui se transforma aussitôt en un pâle rictus désabusé. Les nerfs de sa joue droite se contractèrent, puis sa paupière se mit à cligner, malgré tous les efforts qu’il faisait pour paraitre serein. La Générale en chef et quelques responsables civils se tenaient face à lui, dans l’encadrement du sas-mobile, escortés par une escouade de policiers- androïdes. Ils le toisèrent un court instant, puis lancèrent un regard interrogatif à leur Mère. Cette hésitation, cette incertitude permit au Lieutenant de reprendre confiance.
- Vous n’avez qu’un ordre à donner, Claire…! Alors, faites le bon choix ! Dans une petite heure, il sera trop tard.  
    La technologue resta silencieuse durant quelques secondes, se délectant du désarroi de son adversaire et du faible espoir que son hésitation entretenait, puis elle ordonna :
- Emparez vous de lui…!   
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CHAPITRE N°22

    A l’intérieur du "Zoo", les brumes empoisonnées libérées par Horst recouvraient les masses informes que formaient les cadavres amoncelés dans le hall. Aucun des xénomorphes sauvages n’avait survécu à la toxicité des gaz. Quelques moribonds agonisaient dans d’horribles spasmes et tremblotaient, couchés à terre dans leur bave et leur sang fluorescent. 
    Réfugiée dans la salle d'observation n°1 avec quelques dominants, la Reine-Mère se voulait sereine malgré les doutes qui la tenaillaient. Sa détention avait un but qu'elle avait du mal à discerner. Pour quelles raisons voulait-on la garder en vie...? Qu'avait donc prévu l'horrible Foller pour se venger d'elle...? Elle avait beau projeter son esprit à travers tout le bâtiment, elle n'y découvrait que ceux de Horst et des xénomorphes sauvages agonisants. Aucune autre présence. Elle sentait pourtant un danger imminent et s'attendait à devoir lutter à mort contre une menace inconnue.   
    Dans la salle de contrôle, la tension était palpable. Les onzes xénomorphes-mutants infestés par Foller avaient patienté trop longtemps. Une partie d’entre eux attendait près de la sortie en tournant en rond comme des lions en cage et en cliquetant à tout-va. D'autres vaquaient de-çi, de-là à la recherche de nourriture. Les plus raisonnables montraient une attention particulière pour le passe magique, ce bout de chair que le plus grand d'entre eux, qui semblait être leur chef, tenait entre ses griffes. 
    Horst, protégé par son cordon de policiers-androïdes, observait la scène avec intérêt. Spécialement, le grand mâle à qui il avait offert le passe magique, et qui semblait doué d'une intelligence supérieure à celle des autres. Sa mémoire génétique émergeait peu à peu et devait bientôt lui permettre d'exécuter toutes les tâches nécessaires à sa survie, si ce n'est à sa gloire. Horst n'attendit pas longtemps pour en avoir la confirmation.  
    Le grand plus mâle... le bien nommé "chef de meute"... renifla le petit bout de chair flétri qu'il serrait entre ses griffes, puis il se mit à "flairer" les alentours. Il se dirigea aussitôt vers le pupitre de commande, survola le clavier de son museau dégoulinant et s'arrêta net au niveau de la languette de détection. Il sentit l'endroit et sut instinctivement ce qu'il avait à faire. 
    A peine eut-il déposé le passe magique sur le détecteur que l'écran holographique s'illumina. L'apparition de la Reine-Mère à l'image fit grand effet. Les onze xénomorphes mutants se regroupèrent, puis se mirent à cliqueter d’excitation en la reconnaissant. C’était elle qu’ils cherchaient...! Elle, qu'ils voulaient posséder...! Ele était là, à portée de main. La vue des xénomorphes sauvages qui l'accompagnaient n'affaiblit en rien leur exaltation. Bien au contraire. Leur jalousie naturelle ne fit qu'accroitre leur impatience. 
     Une fenêtre clignotait dans un coin de l'écran et attira l'attention du "chef de meute". Sans vraiment savoir pourquoi, celui-ci tendit son bras et appuya sur l'encart du bout de sa griffe. Une ligne de chiffres et de lettres apparut instantanément. Le premier signe se mit aussitôt à clignoter. Il le regarda fixement de son horrible gueule sans yeux durant de longues secondes avant d'en comprendre l'intérêt.     
    Il reproduisit méticuleusement chaque signe en les entrant sur le clavier chaque fois que l'un d'eux se mettait à clignoter et recopia ainsi la ligne dans le bon ordre. Une nouvelle fenêtre s'afficha à l'écran dont il ne put interpréter le message. Elle signalait la mise en marche des évacuateurs et indiquait le taux de toxicité à l’intérieur du bâtiment. Les chiffres défilèrent à toute vitesse jusqu'au nombre zéro. Là, une suite de signes s'inscrivit que le "chef de meute" entra immédiatement sur le clavier. L'ordre commandait l’ouverture du sas.
    Tous, à l’exception des plus sages, se précipitèrent hors de la salle. Ils se jetèrent à l’intérieur du sas en se bousculant, puis se mirent à cliqueter et à trépigner d’impatience devant la seconde porte encore verrouillée. 
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    Horst, pensa être sorti d’affaires. Il garda un œil sur les xénomorphes mutants qui étaient restés auprès du "chef de meute", en espérant les voir tous partir au plus vite. Peut-être auraient-ils pitié de lui. Ils semblaient fort heureusement ne plus du tout s'intéresser à lui; toute leur attention étant fixée sur le bout de phalange que chacun d'entre eux voulait s'approprier.
    La tension était palpable. Quelques xénomorphes mutants s'étaient prudemment approchés du pupitre de commande et se trouvaient à portée de crocs du "chef de meute". Celui-ci sentait leur souffle fétide glisser sur sa nuque. Il connaissait leur intention. L'heure était venue de ce duel inévitable auquel il s'était préparé. Il en était très heureux, car il souhaitait connaitre ses ennemis et voulait à tous, leur donner une bonne leçon.
     Le "chef de meute" tendit le bras pour récupérer le passe magique en laissant volontairement un temps d'avance à son adversaire. La réaction ne se fit pas attendre. Aussi sec, pensant qu'il en aurait le temps, l'un des xénomorphes-mutants se pencha en avant et, tête la première, projeta sa machoire préhensile. Ses crocs n'atteignirent pas la cible. Le puissant organe fut littéralement happé dans sa course par celui, plus agile et rapide, du "chef de meute". Ce fut machoire contre machoire que le combat fut mené; à coups de crocs et dans un entortillement de muscles hypertrophiés. Crâne contre crâne, leur machoires préhensiles entremêlées, ils s'affontèrent durant quelques secondes avant que le "chef de meute" ne prenne le dessus. La douleur infligée à son adversaire fit reculer ce dernier. Le xénomorphe mutant, blessé profondément dans les deux sens du terme, abandonna la partie en couinant. Il ravala sa longue machoire préhensile, toute ensanglantée, et recula autant qu'il le put. 
    Le petit bout de chair tant convoité n'avait pas bougé d'un millimètre. Les autres xénomorphes, non plus. La ruse, la vivacité et la détermination du "chef de meute" leur avait laissé une impression des plus mitigées. Ils n'osèrent pas profiter de la situation et s'éloignèrent eux aussi de quelques pas. Le passe magique retrouva son écrin de glace pilée. Le "chef de meute" y déposa la phalange, puis fit claquer le métal du couvercle en refermant la boite. Il hésita un bref instant avant de finalement décider qu'un peu de chair fraiche calmerait les esprits échauffés et les ventres vides. Il se retourna alors vers Horst et son cordon de policiers-androïdes, puis s'en rapprocha d'un bond.
    Horst comprit tout de suite, à la curieuse et insistante façon dont il était dévisagé, que tout était fini pour lui. Il braqua son fusil vers le xénomorphe-mutant, imité en cela par ses policiers-androïdes, puis fit claquer plusieurs fois la culasse de son arme pour tenter de l'effayer. En vain. Tous deux se jaugèrent durant un court instant. Le monstre émit un long grognement et quelques furieux cliquetis, puis resta là, à dodeliner de la tête, indécis.  
    Horst savait qu'il était parfaitement contre-productif de vouloir lutter contre les xénomorphes-mutants et qu'il devait juste surmonter sa peur. Résister sans combattre restait la seule solution. Jouer les gros bras, faire bloc et montrer les armes pouvait à la rigueur les faire renoncer à leur funeste projet, mais il était hors de question de s'attaquer à eux. N’avait-il pas lui-même lutté pour arriver à ce résultat...? Pour créer ces magnifiques et indestructibles xénomorphes-mutants, chair de sa chair...! Et cet enfant, maintenant face à lui, ne lui demandait que son dû. Ce que tout bon père devait pouvoir offrir à sa progéniture... un peu de nourriture...! Un peu de sa chair et de son sang...!  
    Le "chef de meute" se figea soudainement. Il avança encore d'un pas avec prudence, puis sonda le cordon de policiers-androïdes au travers de ses lobes temporaux pour évaluer leur activation. Mis à l'arrêt par Horst, ces derniers n'émettaient plus aucune source d'énergie. Rassuré, le xénomorphe-mutant fit glisser la petite boite contenant le passe magique dans une poche ventrale située sous son abdomen. Il se redressa ensuite sur ses deux puissantes pattes arrières, se cabra, fouetta l'air de sa puissante queue dardée, puis d'un coup balaya la rangée de policiers-androïdes se trouvant face à lui.
    Horst ne chercha même pas à reculer. Il resta immobile, paralysé à la fois par la peur et par la fascination que le monstre exerçait sur lui; hypnotisé par la vision de cette gueule terrifiante, de ces longs crocs de carbone inoxydable dégoulinants de salive et de cette puissante mâchoire préhensile qui à l'instant s'en extrayait. Il resta impassible, malgré la terreur qui le saisit, lorsque l'organe transperça lentement le rideau de bave pour venir lui renifler le visage. 
    Le "chef de meute" savait à qui il avait à faire. Il n'y avait certes aucun air de famille, mais les phéromones parlaient d'elle-même et signaient sans aucun doute possible leur filiation. Son instinct aurait dû le pousser naturellement à l'épargner, mais la faim qui le tenaillait et surtout la mémoire génétique de l'immonde Foller en décidèrent autrement. Le xénomorphe-mutant se jeta sur Horst, lui planta ses crocs dans l’épaule et l’emporta avec lui pour le partager avec ses congénères.              
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    La Reine-Mère se tenait assise sur les talons à quelques mètres du sas de la salle d'observation n°1. En cercle, accroupis tout autour, les xénomorphes sauvages, au nombre de cinq, veillaient sur elle. Sa main, cassée et lacérée, ne la faisait plus souffrir, mais elle continuait à régulièrement ouvrir et fermer le poing pour lui redonner de la mobilité. Elle releva soudainement la tête, saisie par un violent pressentiment. Horst n’était plus là pour la surveiller, désormais, elle le savait. Son aura n'était plus là pour le trahir. Il n'y avait à la place qu'une vague présence indiscernable, une et multiple à la fois, dont elle ne comprenait pas la nature, mais qu'elle ressentait comme une menace. C'était le moment de réagir...!
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    Le "chef de meute" avait rapidement calmé les ardeurs animales de ses rivaux en leur jetant la plus grande part de son butin. Ils s'étaient jetés dessus comme des vampires et se disputaient maintenant chaque morceau de chair arraché au corps du malheureux Horst. L'accès au sas étant ainsi libéré et le danger momentanément écarté, le "chef de meute" se jeta à l'intérieur et atteignit d'un bond la seconde porte. Il s’approcha du clavier de commande mural, sortit la phalange d’Ardan de sa poche ventrale, puis de sa boite et posa le bout de chair sur la languette de détection. Il fut pris de stupeur en ne constatant aucune réaction. La porte du sas resta verrouillée et aucun code ne s'afficha sur l'écran de la commande mural. Il tenta alors d'entrer les codes qu'il avait précédemment mémorisés, mais sans obtenir le moindre résultat.  
    Horst avait pris soin de lui laisser le code personnel d'Ardan pour qu'il puisse l'utiliser au delà du "zoo", dans la Cité Eterna; mais celui-ci se trouvait gravé à l'intérieur du couvercle de la boite de conservation, presque invisible à l'oeil nu.   
    Affolé, le "chef de meute" chercha dans sa mémoire vive toutes les images précédemment enregistrées par son cerveau et il se passa un bon moment avant qu'il ne tombe sur les petites marques qui se reflétaient dans le fond du couvercle. Il se pencha sur la petite boite métallisée et en sonda l'intérieur de ses lobes temporaux. La ligne de code lui apparut aussitôt, parfaitement nette.
    Ses congénères, une fois repus, s'étaient rassemblés derrière lui en prenant soin de garder leur distance. Ils scrutaient son petit manège avec intérêt, désireux d'en comprendre les mystères. Chacun d'entre eux convoitait le passe magique avec avidité et était impatient d'en devenir le dépositaire.
    Le "chef de meute" le savait et il ne leur donna pas l'occasion d'en apprendre plus. Il se colla au plus près du clavier de commande pour le cacher à la vue de ses rivaux, puis entra la ligne de code du bout des griffes. Il fut à la fois soulagé et fier d'avoir compris le stratagème de Horst... et en aurait presque regetté de l'avoir mangé... lorsque la porte du sas s'ouvrit enfin.      
    L’un des xénomorphes-mutants se précipita en voyant le panneau de la porte s’écarter et fut presque cloué sur place par le dard acéré que le "chef de meute" planta dans le mur, à un demi-centimètre de son museau. L'imprudent préféra reculer sans oser protester, baissant la tête en signe de soumission.
     Une fois la phalange reposée dans sa boite et le couvercle refermé, le "chef de meute" pris la peine de flairer l’air ambiant avant de s’aventurer plus loin. Craint et provisoirement accepté comme dominant par la meute, celle-ci choisit de lui obéir, et c’est en rang bien ordonné, selon la hiérarchie établie, qu’ils s'ébranlèrent. Les plus faibles devant, et le chef à l’arrière.
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    La Reine-Mère venait de constater la disparition des brumes empoisonnées dans le hall, à travers le hublot du sas. Quelques trainées de gaz verdâtres finissaient de s'effilocher en zigzaguant entre les cadavres d'ouvrières et de mâles qui y avaient succombé, mais l'air y semblait respirable. Elle comprit aussi que s'il l'était, il ne l'était pas forcément que pour elle. Quelqu'un en avait autant besoin qu'elle. Quelqu'un comme Foller, très certainement... et avec peut-être toute une armée. La nature de la menace se dévoilait peu à peu à son esprit et elle frissonna de dégoût en pensant au pire. Elle devait faire vite si elle voulait rejoindre le sas-mobile pour lui échapper.   
    Elle tapa l'ordre d'ouverture du sas sur le clavier de commande mural, appela ses protecteurs auprès d'elle d'un claquement de langue, puis entra son code. Elle s'apprêtait à poser son index sur la languette de détection quand le faciès noir et sans yeux du "chef de meute" apparut soudainement au hublot. Il y colla son museau pour l’observer, soufflant son haleine corrosive sur le vitrage blindé. 
    Sans rien perdre de son calme, la Reine-Mère le défia de son regard noir et le fixa longuement. Elle l'avait enfin face à elle, cette menace, et elle en découvrait enfin la nature. Une nature qu'elle trouva pire que tout ce qu'elle avait imaginé; non pour son apparence, mais parce qu'elle savait que Foller se cachait derrière. La gueule du "chef de meute" disparut soudainement, aussitôt remplacée par celle d'un second xénomorphe-mutant. Ils étaient, donc, plusieurs. Mais combien...? Toute une armée, peut-être, comme elle le craignait. Peu importait, finalement, car l'affrontement était inévitable si elle voulait éviter qu'ils la devancent. Elle devait profiter du choix qu'ils avaient fait d'aller vers elle et de vouloir la soumettre, pour les prendre à leur propre piège. Elle respira un grand coup; alerta d'un claquement de langue ses cinq protecteurs, qui aussitôt se regroupèrent autour d'elle; puis enfin, elle posa son index sur la languette de détection.        
    Le "chef de meute" et ses dix acolytes reculèrent sous l'effet de la surprise lorsque la porte du sas s'ouvrit sous leurs museaux. La présence très rapprochée des grands mâles sauvages auprès de la Reine-Mère réfréna leur ardeur. Massés dans l'encadrement de la porte ces derniers en remplissaient totalement l'espace et aucun des xénomorphes-mutants ne prit le risque de s’attaquer à eux. Ils se contentèrent de parader en exhibant leurs attributs les plus menaçants, identiques en tous points à ceux de leurs adversaires, excepté pour leur taille moitié moins grande. Munis des mêmes défenses naturelles, d’un solide exo-squelette, de terribles mâchoires, de trois paires de bras, de mains palmées aux griffes acérées, de longues épines dorsales et d’une habile queue dardée, le tout posé sur deux puissantes pattes arrière, ils ne présentaient que d’infimes différences... comme ces proéminences colorées que les grands mâles arboraient. Moins robustes, moins puissants que les xénomorphes sauvages, ils avaient néanmoins pour eux, le nombre, la détermination, l'intelligence et plus stimulant encore... la folie et la rage de Foller... cette cruelle et sinistre conscience qui habitait leur mémoire.
    La Reine-Mère comptait justement là-dessus. Sur cette obsession que Foller avait pour elle et sur cette frustration qu'il pensait à l'instant évacuer par l'intermédiaire de ses créatures. Elle savait que les xénomorphes-mutants ne renonceraient pas à l'idée de la voir soumise, et ce malgré les risques mortels qu'ils allaient devoir prendre pour y parvenir. Elle écarta les bras et d'un claquement de langue fit reculer ses cinq protecteurs à l'intérieur du sas. Pas à pas, sans cesser de faire face à leurs adversaires qui s'engageaient déjà à leur suite, ils retournèrent dans la salle d'observation. 
    Le "chef de meute" hésita quelques secondes avant d'avancer plus avant. Il se tenait dans l'encadrement du sas, pressé par ses dix acolytes massés derrière lui, et observait la Reine-Mère. Celle-ci se trouvait plantée au centre de la salle d'observation, entourée de ses cinq grands mâles sauvages qui battaient l'air de leur queue menaçante. Il évalua rapidement la situation, puis émit de longues saccades de cliquetis à l'intention de ses congénères. Un par un, ceux-ci, se dispersèrent de chaque côté de la salle d'observation pour encercler la Reine-Mère et ses protecteurs. Le combat paraissait équitable... à deux contre un, ils avaient toute leur chance. 
     Un bref cliquetis lancé par le "chef de meute" déclencha l'attaque. Ses dix acolytes se jetèrent deux par deux sur les grands mâles sauvages et se mirent à les harceler de toutes parts. Pris en tenaille, les grands mâles répondaient coup pour coup aux assauts incessants qu'ils subissaient. Des coups qui malheureusement atteignaient rarement leur cible et les affaiblissaient pour rien. Sans arrêt en mouvement, les xénomorphes-mutants y échappaient avec agilité avant de repartir aussitôt à l'attaque. Bondissant d'un côté puis de l'autre; griffant et mordant, ici un mollet, là une épaule; frappant de leur queue dardée et crachant de leur fiel acide; ils firent tout leur possible pour les repousser loin de la Reine-Mère. Tant et si bien que celle-ci se retrouva vite isolée et totalement vulnérable.
    Démunie, la Reine-Mère était comme une enfant perdue au coeur d'un champ de bataille. Le "chef de meute", les babines retroussées en un curieux sourire, savourait l’instant avec délectation. C'était à lui, maintenant, d'entrer dans la danse. La voyant à sa merci, il bondit sur elle, puis sans attendre enroula sa longue queue dardée autour de sa taille pour l'attirer à lui.
   La Reine-Mère se cambra et poussa sur ses jambes de toutes ses forces... machinalement... juste pour  montrer son dégoût. Un cri de rage lui échappa lorsque le "chef de meute" la plaqua violemment contre son torse avant de l'étreindre de ses six membres supérieurs. Elle voulut se débattre, mais l’effort qu’elle fit pour résister raviva sa blessure à la main. Un rictus de douleur déforma son visage.     
    Le plaisir de voir souffrir la Reine-Mère fit monter le désir en lui. Le "chef de meute" la flaira de haut en bas... puis de bas en haut... il passa ensuite son museau sous la longue toge dont elle était vêtue pour aller lui renifler l'entre-jambes. Ivre de phéromones, il se redressa bavant de désir, lacéra le tissu d’un coup de griffe et le déchira sur toute sa longueur. Ses doigts palmés glissèrent en crissant sur la fine combinaison que la Reine-Mère portait par-dessous, effleurèrent sa poitrine, caressèrent son bas-ventre, puis enfin fouillèrent son entre-jambes. 
   La nausée prit la Reine-Mère à la gorge quand le "chef de meute" colla son bassin au sien. Le long sexe flexible de ce dernier s'invita aussitôt dans son intimité, lui fouettant le pubis et y collant ses humeurs poisseuses, à la recherche d’une voie ouverte. La résistance que la Reine-Mère lui opposa et les cris enragés qu'elle poussa n’eurent pour seul effet que de l'exciter encore plus. C'est la raison pour laquelle il ne vit rien arriver.  
    Jaloux et envieux de sa position fort enviable, certains de ses congénères, s'arrêtèrent de combattre pour le regarder faire. Erreur fatale...! Ces quelques secondes d'inattention faites de concupiscence et de convoitise permirent aux grands mâles sauvages, libérés un court instant de leurs assauts, de se concentrer sur un seul adversaire et de reprendre le dessus. Deux xénomorphes-mutants en firent les frais. Laissés seuls au combat par leur partenaire et les forces devenant de fait inégales, ils tentèrent d'échapper aux crocs de leurs attaquants en fuyant dans tous les sens. Poursuivis et acculés, ils périrent sous les coups de leur queue dardée en quelques secondes.
    L'un des grands mâles, à nouveau harcelé, reprit la lutte; faisant que l'autre se retrouva sans combattant. Découvrant la Reine-Mère en très mauvaise posture, ce dernier bondit vers elle en balançant sa longue queue dardée dans les airs. Le "chef de meute" sentit le danger arriver au dernier moment et baissa brusquement la tête. Le dard acéré lui frôla le crâne, mais il ne put éviter que le surpuissant coup de queue lui arrache sa grande épine dorsale. Le choc lui fit perdre l’équilibre et il chancela sur le côté. La Reine-Mère l’aida à basculer complètement d’un furieux coup de pied placé au bon endroit. Le "chef de meute" roula au sol avec elle, puis se releva d'un même élan. Il découvrit alors le grand mâle sauvage qui lui faisait face; deux fois plus imposant que lui et apparemment très en colère.     
    Le "chef de meute" ne perdit pas son calme pour autant. Il détenait encore l'atout-maitre entre ses pattes. La Reine-Mère ne lui avait pas échappée et il comptait bien l’utiliser comme bouclier. Il avait aussi l'intention d'en faire son otage et de la garder ainsi pour lui seul. Cette idée qui venait de lui traverser l'esprit, traversa également ceux de ses acolytes. Ces derniers comprirent à quel point ils s'étaient fait berner en le voyant reculer devant l'ennemi en direction du sas, emportant leur dû avec lui. 
    Le "chef de meute" maintenait la Reine-Mère serrée contre son torse à l'aide de ses six bras. Il avait passé sa longue queue dardée entre ses jambes et menaçait de lui planter son dard en plein cœur. Face à lui, le grand mâle sauvage avançait pas à pas sans oser prendre le risque d'intervenir. Une dizaine de mètres les séparaient encore du sas lorsque les huit xénomorphes-mutants, décidément trop jaloux, abandonnèrent un à un le combat pour revenir vers le "chef de meute". La lutte changea subitement de tournure et un nouveau face-à-face s'instaura entre les deux ennemis. Un nouveau statu-quo, en somme, qui força la Reine-Mère à réagir. 
    À cinquante-trois ans, celle-ci était encore jeune et sa force restait exceptionnelle. Elle n’était certes pas dotée des terribles défenses naturelles dont son ennemi disposait, mais elle l’égalait néanmoins par sa taille et sa carrure. Armée simplement de son courage, elle frappa violemment les pattes du "chef de meute"  à grands coups de genoux et à grands coups de pieds. Les coups, bien ciblés, atteignirent plusieurs fois de suite ses articulations et finirent par le faire trébucher. Elle lui assena alors un puissant coup de tête au sternum qui le fit vaciller. Le hasard faisant bien les choses, le "chef de meute" posa une de ses pattes arrière sur un pan de sa toge déchirée et la transperça de ses griffes en voulant se remettre d’aplomb. La Reine-Mère, sentant le tissu se tendre fortement sur ses épaules, eut la présence d'esprit de tirer dessus de toutes ses forces pour le faire basculer. Elle se libéra d’un coup de rein quand il chuta à terre, puis elle s’écarta de lui en roulant sur le côté. 
    Le "chef de meute" eut à peine le temps de se redresser. Le grand mâle sauvage venu à la rescousse de la Reine-Mère lui asséna un violent coup de queue en plein  abdomen et l’envoya valser au loin; le choc éjecta la boite qui contenait son passe magique. Celle-ci tomba de sa poche ventrale et s’ouvrit en frappant le sol, laissant échapper le petit morceau de phalange qui disparut parmi les bouts de chair ensanglantée arrachés dans la bataille. 
    Car tout autour, la bataille faisait rage. Stimulés par la réaction de la Reine-Mère, les grands mâles sauvages s'étaient jetés sur les xénomorphes-mutants infestés par Foller, et les avaient proprement assaillis à grands coups de queue dardées, de crocs, de griffes et d'ergots. Tranchant par-çi, arrachant par-là, fracassant crânes et membres, et repoussant leurs adversaires dans leurs derniers retranchements. L'un des xénomorphes-mutants, esseulé, succomba à un furieux coup de dard qui lui transperça le crâne, laissant les autres dans l'expectative... désormais à huit contre cinq, les grands mâles sauvages valant le double, l'issue du combat devenait, pour eux, incertaine.
    Les xénomorphes-mutants résistèrent dans la fuite et dans l'évitement; courant en tous sens, bondissant et grimpant aux murs, ils usèrent de leurs dernières forces pour échapper à la violence des grands mâles sauvages. Fatigués de les poursuivre, ces derniers finirent par retourner vers la Reine-Mère qui les appelait. Celle-ci, debout dans l'encadrement du sas, la main tendue vers le clavier de commande mural, tentait de les attirer à elle avec des claquements de langue.
    Les cinq grands mâles sauvages, suivis à bonne distance par la meute de xénomorphes-mutants, furent très vite à ses côtés. Trois d'entre eux pénétrèrent à l'intérieur du sas; les deux autres, à deux doigts de l'atteindre, n'eurent pas cette chance. Littéralement happés par l'assaut brutal des huit xénomorphes-mutants, les deux grands mâles se retrouvèrent submergés par le nombre; frappés à coups de dard, griffés, lacérés et mordus de toutes parts.
    La Reine-Mère émit un claquement de langue réprobateur, lorsqu'un des trois grands mâles qui se trouvaient avec elle dans le sas, voulut se lancer à leur secours. D'un geste, elle l'arrêta dans son élan, et le fit reculer. Sacrifier deux de ses protecteurs était déjà bien trop insupportable pour elle. Elle espéra un temps, en voyant ces derniers se défendre avec force et avec toute l'énergie du désespoir contre les xénomorphes-mutants, qu'au moins l'un d'eux leur échapperait. Ce dont elle fut témoin ensuite, la désola au plus haut point. Elle pleurait quand elle referma la porte du sas sur les deux malheureux. Pleine de remords, elle se détourna et ferma les yeux, tandis qu'ils se faisaient déchiqueter par la meute.                                                                                                 _              
                                                                         
                                                                 CHAPITRE N°23                                                                         

- Bon sang, Horst...! Réponds...! 
    Le Commandant Sachs, l'air inquiet, retira le micro-casque qu'il avait à l'oreille, puis se passa les mains dans les cheveux pour se rafraichir les tempes. Il leva ensuite les yeux vers l’écran de contrôle pour observer les citoyens prisonniers à l’intérieur de l’amphithéâtre. Tout était calme. La plupart d'entre eux s'était endormie, recroquevillés les uns contre les autres. Idem dans les salles d’études où les plus jeunes étaient retenus avec leurs maitres. Du sous-sol au plus haut étage de la Cité Eterna, les couloirs étaient tous exempts de vie et rien ne bougeait.    
                                                                              _

     Tout le contraire de la Cité Proxima, mise au branle-bas-de-combat depuis le retour de Claire Baron. Tous les Gaelhiens en âge de se battre se préparaient au conflit armé. Nombre d'entre eux s'entrainaient au combat; d'autres s'activaient sur les claviers d'ordinateur pour planifier la défense de la Cité; d'autres encore, officiers et haut-gradés, s'étaient réunis dans les différentes salles de commandes afin de décider de la stratégie à adopter. La Mère de la Cité avait retrouvé ses quartiers et s'y affairait à sa manière. 
                                                                                _

    Claire Baron finit de rincer la petite pince coupante du Lieutenant Gobbi, puis la posa sur le bord de l’évier auprès des différents instruments qu’elle venait d’utiliser. Elle se lava ensuite les mains soigneusement pour se débarrasser des résidus de sang acides qui lui avaient giclés dessus.
- Vous auriez pu vous épargner toutes ses souffrances, Lieutenant…!  
-  Humf...! Glaire...! Humf…! Glaire ...! cracha le Lieutenant Gobbi pour toute réponse.
     Nu, couché et attaché par des lanières sur une table d’opération, il gémissait en balançant sa tête ensanglantée de gauche à droite, toutes gencives apparentes. Ses deux lèvres lui avaient été proprement retirées de la bouche, cisaillées de la base du nez jusqu’au menton, et toutes ses incisives avaient été arrachées. Deux trous béants emplis de sang coagulé lui faisaient désormais office de nez et des petites bulles y explosaient en surface à chaque expiration. Sa paupière droite avait disparu, découpée à la cisaille, et son œil tournait en tous sens à l’intérieur de son orbite. Fichée sur son crâne rasé, une vingtaine de récepteurs reliait son cerveau à un détecteur de mensonges.
- Je crois avoir bien fait d’employer votre méthode. Elle est toujours aussi efficace...! dit la technologue en se tournant vers le Lieutenant.  
    Ce dernier gargouilla quelque chose d’inaudible qui gicla hors de sa gorge. Elle fronça les sourcils en prenant un air dégoûté.  
- Dans quel piteux état vous vous êtes mis, mon pauvre ami. Vous êtes méconnaissable ! ironisa-t-elle en se rapprochant de lui.
    Elle détourna le regard en apercevant le rond de chair sanguinolente qui marquait l’emplacement de son sexe émasculé. Elle finit de s’essuyer les mains, puis jeta la serviette sur la plaie rougeoyante.      
- Je peux mettre fin à vos souffrances, si vous le désirez…! Ce serait cruel de vous laisser ainsi ! 
    Le Lieutenant cracha un caillot de sang, puis des petits gargouillis ressemblant à un rire jaillirent d’entre ses gencives édentées.
- Vous vous déciderez plus tard, rien ne presse…! dit la technologue en tapant un numéro sur son portable.
- Nous partons, Générale...! Il a parlé…! Faites le transporter en zone d’exclusion, il a besoin de soins intensifs, et rejoignez moi immédiatement sur le tarmac avec tous les volontaires....! Combien sont-ils…? Félicitations… ! Est-ce que l’infanterie est prête…? Parfait, parfait…! Et le vaisseau…? Très bien, faites vite...! 
_

CHAPITRE N°24

    La Reine-Mère se figea quelques secondes en sortant du sas lorsqu'elle découvrit la scène de désolation qui s’étalait sous ses yeux. Elle sentit l’odeur acre de la mort mêlée aux résidus de gaz qui flottaient dans l’air et se mit machinalement la main devant la bouche. Les trois grand mâles sauvages gémirent et cliquetèrent en secouant la tête comme des désespérés, puis ils se mirent à flairer et à fouiller les tas de cadavres en espérant y trouver un survivant. En vain. Tous leurs congénères avaient péri. Il ne leur restait plus, désormais, que la Reine-Mère pour toute famille. Les trois grands mâles se retournèrent instinctivement vers elle pour exprimer leur désarroi. Leurs cliquetis ininterrompus finirent pas l'agacer et celle-ci les fit taire d'un claquement de langue. Fini de se lamenter...! Il fallait agir.     
    La Reine-Mère verrouilla l'entrée du sas. Les visions d'horreur dont elle venait d'être témoin lui hantaient l'esprit et elle dut faire un intense effort de concentration pour reprendre le contrôle de ses pensées. Elle se débarrassa de sa toge. Elle finit de la déchirer jusqu’au col, puis arracha ce dernier en tirant dessus. Son corps tortueux apparut, alors, dans toute sa splendeur. Ses muscles saillaient sous le tissu de sa combinaison entre les protubérances de son squelette et ses longs membres effilés comme des fuseaux achevaient de lui donner une apparence de mante religieuse.         
    Elle se fraya un chemin entre les tas de cadavres amoncelés devant elle et traversa le hall jusqu’à l’embarcadère. Les trois grands mâles sauvages bondirent à sa suite en zigzaguant avec elle au milieu des dépouilles. C’est avec d’infinies précautions, après avoir fait reculer ses protecteurs de quelques pas et s’être mise à couvert, qu’elle déverrouilla le sas de sortie. Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur avant d’aller ouvrir la seconde porte, puis enfin elle s’avança prudemment sur l'embarcadère, suivie de ses trois fidèles protecteurs. Ils s’empressèrent de rejoindre le sas-mobile. 
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    Enfermés dans la salle d’observation n°1, les huit xénomorphes qui avaient survécu se remettaient de leurs blessures. Cinq d’entre eux trépignaient déjà d’impatience auprès du sas de sortie. Les trois autres inspectaient scrupuleusement chaque centimètre carré de la surface du sol, à la recherche du passe disparu, flairant de ci, de là, les bouts de chair qui trainaient dans la poussière. La phalange d’Ardan fit bientôt l’objet d’une sérieuse discorde. Se l’approprier était devenu l’enjeu n°1 pour affirmer son ascendance sur les autres, et quand, enfin, l’un deux tomba dessus, la querelle commença. Le "chef de meute", qui pouvait pourtant en revendiquer la possession, resta en dehors de la dispute et regarda ses deux rivaux se chamailler comme des enfants pour le petit bout de chair. L’un d’eux finit par s’en emparer et fila vers le sas. Une fois devant, il eut beau fouiller dans sa mémoire, aucun code d’ouverture n’en surgit, et toutes ses hasardeuses tentatives échouèrent.
    Le "chef de meute" en profita pour montrer sa supériorité. Il cliqueta sévèrement pour faire reculer ses congénères, s’y reprenant à plusieurs fois pour les empêcher de s’approcher, puis entra discrètement le code du bout des griffes, déclenchant instantanément l’ouverture du sas. La meute se précipita au dehors. Il récupéra la phalange sous l’œil inquisiteur de ses deux rivaux les plus dangereux, la rangea dans la boite de métal cabossé retrouvée un peu plus tôt, puis força ces derniers à passer devant lui.
    Il suivit le mouvement. La petite troupe de xénomorphes-mutants traversa le hall jonché de cadavres et atteignit bientôt l’embarcadère. 
                                                                               _

    Dans la salle de contrôle de la cité Eterna, le Commandant Sachs avait les yeux rivés sur l’écran holographique et sur la lente progression du sas-mobile. Il espérait que Horst et sa bande de xénomorphes-mutants en étaient les occupants et rejoignaient enfin la Cité, mais il avait besoin d'une confirmation qu'il n'obtenait pas. Il décida de se prémunir de toute mauvaise surprise et ordonna :       
- Envoyez un escadron de police à l’embarcadère n° 7… !  
                                                                                _
    
    Une minute plus tard, le sas-mobile transportant la Reine-Mère et les trois grands mâles sauvages atteignit la Cité Eterna. L'embarcadère s'illumina lorsque le véhicule finit de s'encastrer dans le portique de verrouillage. Divisés en deux groupes, la troupe de robot-cops envoyée par le Commandant Sachs se trouvaient déjà postés de chaque côté de l'accès au sas. Plaqués au mur, leur "Multi" sous tension, ils attendaient qu'un ordre leur soit donné.
    La Reine-Mère découvrit la présence des policiers-androïdes à travers le hublot du sas-mobile. Elle en comptabilisa une vingtaine, tous lourdement armés. Ils constituaient un obstacle qu'elle jugea presque insurmontable et d'autant plus difficile à franchir, qu'il exigeait un nouveau sacrifice. Elle eut presque du dégoût pour elle-même en imaginant la façon dont elle allait devoir sacrifier l'un ou l'autre de ses protecteurs et peut-être les trois; elle n'avait pourtant pas d'autre choix.   
    D'un claquement de langue la Reine-Mère attira l'attention des grands mâles sauvages pour qu'ils se connectent à elle par la pensée. Leurs lobes frontaux pointés dans sa direction, ils sondèrent son esprit pour en extraire les ordres et les visions qu'elle leur envoyait. Une main posée sur le museau du plus corpulent d'entre eux, elle ferma les yeux et ordonna. 
                                                                               _   
     
    Dans la salle de commande de la Cité Eterna, le commandant Sachs attendait avec anxiété de voir qui allait sortir du sas-mobile. Il espérait voir apparaitre, non pas Horst qu'il savait disparu à jamais, mais la couvée de xénomorphes-mutants que la part de Foller qu'il avait en lui avait tant désirée. Le choc fut intense et il sentit son coeur bondir dans sa cage thoracique lorsque la porte du sas-mobile s'ouvrit enfin. 
                                                                                _

    Les trois grands mâles sauvages sortirent en trombe et balayèrent les deux policiers-androïdes qui tentèrent de leur barrer le passage. Le gros de l'escadron balança une salve d'infra-basse à l'unisson et s'élança à la poursuite des trois fuyards pour les prendre en tenaille. Les grands mâles sauvages se mirent à vaciller dangeureusement sous la puissance des jets d'infra-basses, puis l'un d'eux chuta dans sa course. Aussitôt rejoint par une des colonnes de robot-cops, ce dernier, désormais à portée d'électrochocs, encaissa près de 100 000 volts dans les crocs. L'intensité de la charge le paralysa un court instant, et il lui fallut toute la volonté du monde pour se remettre debout. Des arcs électriques s'étaient formés et fusaient de son corps vers les "Multi" pointés sur lui; il se redressa sur ses pattes comme s'il cherchait à s'en arracher, ouvrit son immense gueule d'où jaillissaient des étincelles, puis soudain, il chargea.             Tournoyant comme une toupie, il balança sa puissante queue dardée vers la troupe de policiers-androïdes et en projeta plusieurs au tapis; fracassant, au passage, quelques crânes et armures de son dard et faisant perdre la tête à deux d'entre eux. Il en démembra quelques autres à coups de crocs, les harponnant de sa machoire préhensile, les secouant en tous sens et les frappant contre le sol. Le combat dura quelques secondes, jusqu'au moment où l'ordre fut donné aux policiers-androïdes de tirer leurs seringues hypodermiques. Les quelques policiers-androïdes qui pouvaient encore le faire, vidèrent leur chargeur et y ajoutèrent une volée d'infra-basses. Les seringues qui ne se brisèrent pas sur sa carapace, se fichèrent dans le corps du grand mâle et diffusèrent l'anesthésiant instantanément; ne laissant à ce dernier que quelques secondes de semi-conscience avant de le faire s'écrouler.            
     Les deux autres grands mâles sauvages avaient poursuivi leur course éfrennée vers le sas d'accès; l'un protégeant l'autre de son corps des puissantes salves d'infra-basses que la seconde colonne de policiers-androïdes leur balançait. Gravement secoués, ils l'atteignirent en titubant et en trainant la patte; là, le plus corpulent des deux, qui jusqu'ici avait porté la Reine-Mère entre ses bras pour la protéger, la posa à terre. Les deux grands mâles restèrent collés l'un contre l'autre, dos à leurs adversaires, pour lui faire un rempart de leurs corps. Leur épaisse carapace de carbone les protégeant, non seulement des tirs de seringues hypodermiques, mais aussi d'une part importante de l'intensité des infra-basses, ils tinrent assez longtemps pour que la Reine-Mère puisse entrer son code sur le clavier de commande mural et appose son index sur la languette de détection. Le panneau de la porte coulissa et celle-ci s'engouffra aussitôt à l'intérieur du sas.   
     Quand elle se retourna, elle trouva les deux grands mâles en très mauvaise posture. Le plus faible ne bougeait plus. Paralysé par les électrochocs, il s'affalait peu à peu. Des arcs électriques se formèrent entre ses longs crocs étincelants quand il ouvrit sa gueule pour exprimer sa douleur et son impuissance. Le plus résistant, à moitié engourdi, battait encore les airs de sa queue dardée pour éloigner les policiers-androïdes qui tentaient de l'électrocuter. La Reine-Mère se précipita vers lui, appuya sa main blessée sur l’acier de l’encadrement et de l’autre lui toucha le museau. La décharge la traversa de part en part pour aller se perdre dans les structures métalliques du sas. Son geste libéra le grand mâle de sa paralysie. Elle enclencha la fermeture du sas, puis recula en l'attirant à elle avec des claquements de langue. Le panneau se referma derrière lui; malheureusement pas assez rapidement pour éviter qu'un policier-androïde ne glisse son bras dans l'entrebaillement et leur envoie une volée d'infra-basses.  
    La Reine-Mère se figea sur l'instant, puis tomba à la renverse. Le grand mâle se retourna aussitôt et bondit vers le policier-androïde en projetant sa queue dardée de toutes ses forces. Frappés de plein fouet, le Multi vola en éclats et le bras qui le tenait se brisa net contre l'angle du mur en crachant des étincelles. De rage, le grand mâle y planta ses crocs, tira dessus en le secouant violemment, et l'arracha à son propriétaire. Le panneau se referma alors instantanément, offrant ainsi un temps de répit providentiel à la Reine-Mère qui en avait grand besoin. 
   Gravement blessée, elle se tenait à quatre pattes et se trainait en suffoquant pour tenter d'atteindre la seconde porte du sas. Du sang coulait de son nez et de ses oreilles. Se sentant trop faible, elle appela le grand mâle à son secours d'un claquement de langue; d'un bond, celui-ci se rua auprès d'elle pour lui prêter main forte. Elle souleva lentement un bras, incitant son protecteur à le saisir pour l'aider à se redresser, puis enfin, elle se releva dans un ultime effort, fit les quelques pas qui la séparait du clavier de commande mural et déclencha l'ouverture du sas. Elle referma aussitôt derrière elle et verrouilla l’accès manuellement.    
    Accrochée au bras de son dernier et fidèle protecteur, elle traversa le hall d'accueil pour rejoindre l'accès à la "zone de survie". Dépourvus de commande électronique, tous les accès qui y menaient ne s'ouvraient et ne se fermaient que manuellement, à l'aide d'un volant. Tout un chacun pouvait y pénétrer tant que les portes n'étaient pas verrouillées de l'intérieur. 
    La relative sécurité que la "zone de survie" lui procura, lui redonna un peu d’espoir. La porte une fois verrouillée, elle laissa échapper un soupir de soulagement, respira plusieurs fois à plein poumons en fermant les yeux, puis elle étira tous son corps pour lui redonner forme. L'esprit plus clair et un peu d'énergie retrouvée, sa volonté reprit le dessus. Elle se tourna vers le grand mâle et d’un claquement de langue lui ordonna de la suivre. Ils disparurent tous deux au détour d’un couloir plongé dans la pénombre.       
_

        
   Dans la salle de contrôle, le désœuvrement pouvait se lire sur certains visages.  
- Envoyez tout de suite une escouade de police dans la zone de survie pour les intercepter…! ordonna le Commandant Sachs. Puis, il ajouta : Je crois qu’elle a décidé de sacrifier Eterna...! 
    Il se pencha sur son pupitre et fit réapparaitre l’ordre de destruction à l’écran. L’encart clignotait avec insistance : « Confirmez mise à feu  X.P.R 1, 2, 3, 4... ». Il fit revenir les images de l’amphithéâtre et observa les citoyens qui dormaient serrés les uns à côté des autres. Il posa son doigt sur le curseur de commande. Il hésita une seconde, avant de taper un nouveau code d’accès.
    Il connecta le micro et parla :
- Vous voilà bien avancé, Ellen… ! Si vous allez plus loin, vous ne verrez plus vos enfants. J’ai le doigt sur le petit bouton rouge à l’instant où je vous parle et je n’hésiterai pas à appuyer dessus. Alors, adieu la colonie… ! Vous serez seule...! Rendez-vous et je serai magnanime !
                                                                               _

        Dans la zone de survie, la Reine-Mère s’était arrêtée de courir en entendant l’annonce du Commandant Sachs à travers les haut-parleurs. Elle savait qu’il était capable de tout, mais elle pensait avant tout à la survie de la Cité... de l’entité que celle-ci représentait. Le sacrifice de la colonie, même s’il la désolait et l’attristait au plus haut point, semblait, non pas nécessaire, mais secondaire. Sachs le savait et il ne tentait là que de la ralentir dans sa fuite. Elle repartit, suivie de ses deux fidèles protecteurs, sans plus prêter attention aux paroles du commandant. 
_

    Le Commandant Sachs coupa le micro, puis remit son doigt au dessus du curseur de mise à feu. Il posa une dernière fois son regard froid et calculateur sur les otages qu’il allait sacrifier. Un officier s’exclama soudain :
- Commandant…! Le sas-mobile est reparti vers le zoo...! C'est sûrement notre couvée...!
    Sachs hésita un instant. Cette folle idée que Foller avait eu de renaitre sous cette forme, lui sembla si
soudainement dérisoire qu'il en douta de lui-même. Voulait-il vraiment se sacrifier pour ces monstres...?  Des monstres, certes, surpuissants et dotés d'une rare intelligence, mais tellement déloyaux. Il pressa le
bouton en disant :  
- Ils se contenteront d’un seul garde-manger...!   
_

    Les bombes éclatèrent à l’unisson. Les cylindres d’acier se fracassèrent en des milliers de morceaux que le souffle des explosions projeta à travers tout l’amphithéâtre, éjectant du même coup le cordon de policiers-androïdes qui gardait la scène. Une énorme boule de gaz enflammé emplit l’espace en un dixième de seconde. Les citoyens endormis furent comme aspirés par le souffle brûlant et disparurent dans un tonnerre de feu. 
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    La Reine-Mère s’arrêta soudainement de courir. Un léger tremblement fit vibrer le sol de béton sous ses pieds, suivi d’un grondement sourd qui dura l’espace d’une seconde. Le grand mâle sauvage l’observa d’un air inquiet, surpris par ce brusque arrêt, et soudainement effrayé par les vibrations que l’énorme explosion avait propagées à travers les enceintes de la cité.
   La Reine-Mère était tout à fait consciente des conséquences désastreuses de son geste et se savait entièrement responsable de cet abominable massacre. Elle comptait tout faire pour rendre la vie à ces malheureux sacrifiés; à chacun d’eux, sans exception. Elle repartit de plus belle et se remit à courir le long du couloir circulaire qui ceinturait la zone de survie, suivie de son fidèle protecteur.   
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    De leur côté, les xénomorphes-mutants infestés par l'ignoble mémoire de Foller, impatients de se remettre à la poursuite de leur proie, se précipitèrent à l’intérieur du sas-mobile qui revenait à l'instant de la Cité. Le "chef de meute" rangea la phalange d’Ardan dans sa petite boite cabossée avant d'y pénétrer à son tour, puis il enclencha la fermeture du bout des griffes. Le sas-mobile quitta l'embarcadère pour regagner la Cité.
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CHAPITRE N°25
  
    Claire Baron était debout face aux responsables civils de Proxima. La jeune Générale en chef se tenait un pas derrière elle, au côté de son état-major. La technologue commença son discours d’adieu.
- Mes enfants, vous savez qu’un abandon total de la colonie n'est pas envisageable…! Nous sommes venus ici pour garantir la survie de l’Humanité et son influence au sein de la Voie-lactée. Notre premier devoir est de défendre Proxima et les sites d’extractions contre toute tentative d’invasion…! Je ne vous cache pas que la menace est sérieuse; notre ennemi est décidé à tous nous éliminer, il n’y a aucun doute là-dessus, et il fera tout pour y arriver...! Il faut s’attendre à un siège interminable et à une guerre d’usure permanente, mais il n’est pas dit, cependant, que nous en sortions vaincus. Et pour cela, nous avons besoin de toutes nos forces…! Je veux que tous les citoyens restent mobilisés…! Il ne s’agit pas de se sacrifier. Nous avons toutes nos chances. D’autant plus, si nous réagissons avant que l’ennemi ne soit opérationnel…! Si toutefois mon plan ne fonctionnait pas, il vous reviendrait à vous, en tant que responsables civils, de lutter aussi longtemps que possible, dix mille ans s’il le faut, contre la folie meurtrière de ce Foller. Il vous faudra, alors, user de la même cruauté, pour vous en sortir. Comprenez bien qu’abandonner la Neutrinite à ce dégénéré serait un désastre pour l’Humanité. Nous y laisserions nos consciences et nos diversités, tout ce qui fait notre richesse, au profit d’un seul et unique esprit malfaisant…! Nous sommes les gardiens de l’Humanité, mes chers enfants. Alors, soyons courageux et gardons foi en l’avenir !   
    L’un des responsables civils intervint :
- Mère, cet assaut n’est qu’un coup de poker hasardeux. Et le sacrifice de ce vaisseau retardera le départ d’un équipage pour la Terre…! Reformons d’abord nos forces aériennes et renforçons notre armement. Nous attaquerons quand les conditions seront plus favorables…! s’exclama un des responsables civils gaïahels.    
- Justement, elles le sont…! Et bien plus qu’ils ne le pensent. Nos ennemis nous ont pris pour des lâches et ont omis d’assurer tous leurs arrières. C’est maintenant qu’il faut en profiter. Il faut tuer le serpent dans l’œuf…! Faites-moi confiance. Je le fais pour nous éviter le pire…! Si je n’en reviens pas vivante, alors finissez de construire nos vaisseaux et envoyez tous les stocks de Neutrinite vers la Terre, puis préparez vous à défendre la Cité. Vous aurez assez de temps pour ça. Soyez forts, mes enfants et gardez espoir ! 
- Je crois que nous aurons du mal à vous faire entendre raison, Mère, et peut-être aurions nous tort. Nous ne pouvons que nous résigner à vous souhaiter bonne chance…!    
- Restez confiants. Rien n’est encore joué et la chance est peut-être de notre côté…! Dans le cas contraire, je sais que vous accomplirez votre devoir jusqu’au bout et je pars sans craintes. À très bientôt, mes enfants ! 
- À bientôt, Mère…! 
    La technologue se retourna vers son état-major et lança :
- Allons-y…! 
   La Générale en chef lui emboita le pas, suivie de ses lieutenants, et ils quittèrent la salle. Un des responsables civils murmura en les regardant partir :
- Nous voilà livrés à nous même…! 
- Je crois que nous devons d’ores et déjà nous préparer à la faire renaitre de ses cendres…! suggéra un autre.

CHAPITRE N°26

    Dans la salle de commandement de la cité Eterna, la stupeur était à son comble.
- Ce sont les Gaïahels, mon Général…! Ils viennent de sortir un de leurs vaisseaux supra-luminiques...! lança un des officiers.
    Le général Ayaki ne put retenir sa colère.
- Bordel de merde…! Ces connards ont refusé d’abdiquer ! 
- Ils cherchent, peut-être, à fuir !   
- Pas sans leur stocks…! Le Lieutenant Gobbi aurait dû donner signe de vie depuis longtemps. Ils l’ont sûrement arrêté…! Faites sortir l’infanterie et tenez la prête à intervenir. Ils vont certainement tenter de nous attaquer…! 
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    Le Commandant Sachs n’avait pas encore été mis au courant par le Général Ayaki de la probable attaque que les Gaïahels préparait. Il s’intéressait, au moment présent, à l’accostage du sas-mobile provenant du "Zoo", et il fut, malgré la défiance qu'ils lui inspiraient, satisfait d’en voir sortir une meute de xénomorphes-mutants parfaitement mâtures; d’autant plus satisfait que ceux-ci semblaient avoir réussi à rejoindre la Cité sans l’aide du défunt Horst; de leur propre chef, pour ainsi dire. Horst avait très certainement été dévoré, pensa t-il. L’idée de finir ainsi le fit frémir et lui fit presque regretter de ne pas être à leur place. Foller pouvait être fier de sa création.   
_

    Les huit xénomorphes-mutants sortirent prudemment du sas-mobile et pénétrèrent dans la Cité. Les deux grands mâles sauvages qui s’étaient sacrifiés pour la Reine-Mère, gisaient à terre parmi les carcasses de policiers-androïdes. Le "chef de meute" sonda les environs et avança en flairant les effluves corporelles de la Reine-Mère. Elles les menèrent, lui et sa meute, jusqu’à l’endroit où celle-ci avait disparu; face à une porte blindée. Aucune languette de détection ne lui permit, ici, de faire usage du passe-magique. Le volant de verrouillage, bloqué de l'intérieur, était comme soudé à la porte, et aucun des xénomorphes-mutants qui tenta sa chance ne le fit bouger d'un millimètre. Il fouilla alors dans sa mémoire, puis décida après quelques secondes de réflexion de trouver une autre issue. 
_

    Après avoir parcouru une grande partie des interminables couloirs qui menaient à la zone de survie, la Reine-Mère et son dernier protecteur se retrouvèrent à l’intérieur d’une immense salle de stockage. Des tonnes de nourriture y étaient entreposées sur toute la hauteur des murs. Le grand mâle sauvage détecta les milles effluves qui s’en dégageaient et se jeta dessus immédiatement. Il déchira un carton avec ses crocs, en flaira le contenu, puis projeta sa mâchoire préhensile à l’intérieur pour y prendre une bouchée qu’il recracha aussitôt jusqu’au dernier grain. 
    Le choix de la Reine-Mère s’avéra bien plus judicieux. Elle attrapa un énorme bidon dont elle descella et retira le couvercle en un tournemain avant de le mettre sous le nez du grand mâle sauvage. La pâte épaisse et odorante fut tout à fait au goût de celui-ci qui y plongea le museau jusqu’au ras des babines pour s’en gaver. La Reine-Mère n’attendit pas qu’il ait fini son petit pot et traversa la salle en courant pour aller ouvrir le dernier accès qui la séparait encore de la salle de haut-commandement.              Elle entra son code, puis déclencha l’ouverture de l'accès. La porte s’ouvrit sur un long et étroit couloir qui s’illumina progressivement. Quand elle se retourna pour l’appeler, elle trouva le grand mâle en plein festin, le museau enfoui au fond du bidon jusqu’à la moitié du crâne. Le claquement de langue émis par la Reine-Mère le fit se redresser brusquement et il secoua sa lourde tête comme un forcené pour tenter de se dégager. En vain. Le métal s’était parfaitement adapté à la forme de son crâne oblong, la pâte collante finissant d’en sceller les contours et d’en augmenter l’effet d’aspiration, le piégeant tout-à-fait.  
    Il eut beau se démener et user de ses griffes, il ne réussit pas à s’en débarrasser. C’est la Reine-Mère qui vint à son secours. Elle s’empressa d'aller rejoindre le grand mâle, fit claquer sa langue plusieurs fois pour le calmer, puis perça le fond du bidon avec l’ongle de son pouce valide pour y faire entrer un peu d’air. Le récipient se décolla aussitôt du museau de l’animal. La Reine-Mère tira dessus pour libérer ce dernier, puis  jeta le bidon vide dans un coin.
     La cuve de métal rebondit sur le sol en tambourinant, puis roula en zigzaguant pour finir sa course un peu plus loin, pile entre les pattes du "chef de meute". Ce dernier avait vite découvert un nouvel accès menant à la zone de survie et n'avait eu ensuite qu'à user de son flair pour parvenir jusqu'ici. Suivi de près par les sept autres xénomorphes-mutants, il sortait à l'instant d'une étroite et sombre allée, et s'arrêta net en voyant le bidon de métal rouler vers lui.         
    Le "chef de meute" dut soudainement sauter pour éviter l’obstacle et il trébucha dessus. Le bidon continua sa course et se transforma en piège pour le xénomorphe-mutant qui suivait. Ce dernier enfonça sa patte à l’intérieur du récipient, puis glissa avec sur les éclaboussures qui tâchaient le sol, avant de chuter en arrière et de s’affaler comme une merde. Quelques autres, emportés par leur élan, trébuchèrent sur lui et tombèrent, coinçant le reste de la meute dans l’étroite allée qu’ils avaient empruntée.             
    Le chef de meute se retrouva seul face au grand mâle sauvage et à la Reine-Mère. Il profita de l’effet de surprise pour attaquer. Son dard frappa la cuisse du grand mâle qui sursauta et qui en perdit l’équilibre. Il l’atteignit une seconde fois en pleine face, lui arrachant un bout de mâchoire inférieure, avant d'être, lui-même, projeté avec force sur le côté par un puissant coup de queue.         
    La Reine-Mère recula de quelques pas, puis se retourna pour courir vers le sas qu’elle venait d’ouvrir. Tout se passa, ensuite, très vite. 
    Blessé, le grand mâle sauvage laissa exploser sa colère et fonça tête baissée vers la meute de xénomorphes-mutants qui lui faisait face. Il transperça le crâne du plus proche avec son dard, le tuant sur le coup, puis planta ses crocs dans le flanc d’un autre, lui arrachant la moitié du torse. Il continua avec l’énergie du désespoir et bondit sur le premier de ceux qui étaient restés coincés dans l'allée. Il le coucha au sol, puis se mit à le piétiner, lui enfonçant ses griffes acérées dans les chairs et le frappant de toutes ses forces pour briser son exo-squelette.        
    Les couleurs fluorescentes qui ornaient les proéminences de ses articulations flamboyaient et ses sifflements stridents se mêlaient aux violentes saccades de cliquetis qu’il émettait. Effrayés par la violence de leur agresseur et sa corpulence, les survivants de la meute reculèrent à bonne distance, puis le voyant s'avancer vers eux, rebroussèrent chemin.  
    Le "chef de meute" n’avait pas attendu son reste et après avoir retrouvé ses esprits, s’était précipité à la poursuite de la Reine-Mère. Celle-ci se trouvait déjà dans le couloir qui menait à la salle de haut-commandement et elle tentait, à l'instant, d’en refermer l’accès. Il se jeta sur elle alors qu’elle appuyait sur le bouton de commande du clavier mural. Les crocs du xénomorphe-mutant claquèrent dans le vide à un centimètre de son visage. La Reine-Mère en aurait perdu une part de sa beauté si le grand mâle sauvage ne l'avait saisi par la queue avec sa gueule pour le ramener à lui. Le "chef de meute" réussit in-extrémis à attraper le poignet blessé de la Reine-Mère. Il lui planta ses griffes dans la chair. Le lourd panneau d'acier finit par se refermer, lui écrasant les os du bras en retour.
    La Reine-Mère saisit l’avant-bras du "chef de meute" de son autre main, appuya dessus de tout son poids, et dans un cri, le brisa en deux. Elle se libéra ensuite des griffes acérées de son adversaire d’un geste brusque, avant de repartir en courant vers la salle de haut-commandement. 
    De son côté, le dernier grand mâle sauvage tirait le chef de meute à lui avec l’espoir de lui faire lâcher prise. Ce dernier résistait, se servant de tous ses autres bras pour tenter de repousser le panneau d’acier qui l'écrasait. Accaparé par sa lutte, le grand mâle sauvage ne pouvait se défendre sur plusieurs front à la fois et se savait condamné à l'avance. Il n'essaya pas de se retourner contre ses assaillants et fit le choix de tenir coûte que coûte. Revenue de sa frayeur, ce qu'il restait de la meute se regroupa derrière lui en cliquetant de colère, puis lui bondit sur le râble pour le déchiqueter.  
                                                                         
CHAPITRE N°27

    Claire Baron se tenait, seule, face à l’écran central, engoncée dans son siège, son clavier de commande sous la main. Aucun équipage n’avait pris place à ses côtés dans le demi-cercle que formait le pupitre de commande. À quelques mètres derrière elle, se dressait l’hyper-télescope. Ce qui ressemblait tant à un canon, n’était en fait qu’un pacifique instrument de navigation, un simple récepteur de données qui permettait la programmation et la correction de trajectoire pour les voyages supra-luminiques. Il fonctionnait, désormais, à l’aide de la cybernétique, et un réseau de câblage avait remplacé le siège du "rectificateur".     
- Encore deux minutes, Générale, tenez vous prête…! ordonna la technologue à travers son micro.
    Le vaisseau approchait de la Cité Eterna. À l’extérieur, les lignes de défense se mirent soudain à cracher le feu. Des dizaines de faisceaux laser convergèrent vers le vaisseau supra-luminique et frappèrent son bouclier magnétique en un seul point. La colonne de feu se mit à crépiter au contact des ondes surpuissantes, puis explosa à la surface du bouclier en une multitude de flèches incandescentes. Le vaisseau, qui semblait flotter au milieu d’une bulle indestructible, traversa le feu ennemi sans subir aucun dommage.        
_

    La nervosité était plus que palpable dans la salle de commandement de la cité Eterna.
- Mettez toute la gomme...! On va les faire bouillir dans leur cafetière, ces demeurés…! s’écria le Général Ayaki.
    Cette contre-attaque de la Cité Proxima à l'aide d'un vaisseau supraluminique le surprenait désagréablement. L'existence d'un second vaisseau supraluminique en état de fonctionner n'avait jamais été mentionnée, et encore moins pris en compte dans l'élaboration du projet. Les forces étaient inégales à présent et le retournement de situation pouvait profiter à leurs adversaires. La Cité risquait d'être investie s'ils ne réussissaient pas à abattre ce satané vaisseau.  
- Sachs...! J'ai besoin de renforts policiers. Nous allons être attaqué et un bataillon d'infanterie ne suffira pas à les arrêter...!   
_

    Le commandant Sachs, le regard fixé sur son écran holographique, suivait la progression de son escouade de policiers-androïdes envoyée en renfort dans la zone de survie. Celle-ci arrivait à l’instant dans l’entrepôt de stockage et il recut aussitôt les images de l'action en cours. Il découvrit la présence des trois xénomorphes-mutants qui avaient survécu au lynchage du dernier grand mâle sauvage et ce dernier qui gisait au sol. Le commandant répondit au Général Ayaki :
- Je viens d'envoyer une escouade dans la zone de survie pour aider notre chère petites couvée à gagner le haut-commandement. Ils ne sont plus que trois et je crois qu'elle ne sera pas de trop...! Il me reste l'escouade de secours que je peux mettre à disposition...!
    Le commandant avait parlé machinalement sans quitter l'écran des yeux. Il ajouta :
- Vous devriez les voir...! Ils sont magnifique... ment terrifiants...!  
_

    Sur les douze xénomorphes-mutants infestés par la mémoire de Foller, il n’en restait plus que trois. Le "chef de meute", piégé avec un des trois bras de son flanc gauche coincés dans l’entrebâillement du panneau que la Reine-Mère avait refermée sur lui; ainsi que deux autres, perchés sur le corps agonisant du dernier grand mâle sauvage et qui s'activaient à lui larder le crâne à coups de dards pour l’achever. Ce dernier, anéanti, rendit lâme après avoir lutté jusqu’à la dernière goutte de sang. Harassés, ses deux vainqueurs restèrent quelques instants sans réaction.
    L’appel insistant du chef de meute finit par les faire réagir et ils se précipitèrent vers lui pour lui prêter main forte. En vain. C’est à peine s’ils purent faire reculer le panneau d’un millimètre.   
    L’escouade de policiers-androïdes arrivait à point nommé et ordre lui fut donné de dégager l’accès. Aucun d’entre eux n’étant équipé pour cela, ils trouvèrent une solution, certes, assez peu orthodoxe, mais somme toute, efficace. Un des robot-cops passa ses mains dans l’entrebâillement et s’agrippa au panneau par la tranche. Les autres se positionnèrent en file indienne derrière lui en se saisissant par la taille, le premier d’entre eux attrapa les jambes de l’androïde qui s’était ancré à la porte, puis ils se mirent tous à le tirer en arrière, au risque de le démembrer.  
    Le panneau résista un instant, la tôle se déchira légèrement sous la puissante traction qu'il subissait, puis enfin, le claquement métallique d'un cran de sureté qui rompt se fit entendre et il recula de quelques centimètres. Cela suffit pour que le "chef de meute" se libère. Il poussa de toutes ses forces sur la tranche du panneau, passa son large crâne dans l’entrebâillement, puis bondit dans le couloir à la poursuite de la Reine-Mère, aussitôt suivi par ses deux congénères. L'escouade de policiers-androïdes s’engouffra, elle aussi, sur leurs traces.
_

    La Reine-Mère avait atteint l’ascenseur personnel qui menait à la salle de haut-commandement. Elle se faufila dans l’ouverture avant même que les panneauxs coulissant soient totalement ouvert et se jeta sur le clavier de commande mural pour enclencher la fermeture. C’est à cet instant qu’elle les vit débarquer en trombe à l’autre bout du couloir. Les trois xénomorphes-mutants, la bave aux lèvres, fonçèrent vers elle en bondissant. Les deux panneaux se rejoignirent un dixième de seconde avant que le "chef de meute" ne les percute de plein fouet. La cabine d’ascenseur trembla sous le choc, dans un fracas de métal, puis s’éleva à toute vitesse en emportant la Reine-Mère vers la salle de haut-commandement. Celle-ci entendit résonner les coups de boutoir donnés par ses poursuivants contre l'acier des panneaux métalliques. Le bruit s’estompa au fur et à mesure de la montée, puis s’évanouit tout-à-fait.

CHAPITRE N°28

    Claire Baron fit descendre le vaisseau supraluminique vers le champ d’aéroliennes qui alimentait la Cité Éterna en électricité. Les lasers, tirés des miradors défensifs situés aux quatre points cardinaux de la Cité, se concentraient toujours en un endroit précis du bouclier magnétique. Des gerbes de feu étincelantes jaillissaient du point de fusion, plus aveuglantes qu'un soleil. La technologue pensait y échapper, au moins durant un temps, en traversant la barrière d'aéroliennes, et faire d'une pierre deux coups en détruisant une partie du parc électrique.    
    Des centaines de gros ballons emplis d’hélium s’étendaient en un vaste cercle, sur des dizaines de rangées et sur différents niveaux, tout autour de la Cité, avalant les vents puissants au travers de leurs réacteurs. Un rideau de câbles ancrés au sol et qui les reliaient entre eux pour plus de stabilité, les empêchait de s’envoler et de s’entrechoquer. Claire Baron se dirigea droit dessus.
    Le bouclier magnétique du vaisseau supraluminique balaya tout sur son passage. Il projeta les ballons les uns contre les autres, provoquant des dizaines d’explosions. Plus il en explosait, plus les réacteurs et les câbles se faisaient lourds et tiraient sur la trame toute entière. Des pans entiers s’écroulèrent autour du vaisseau en s’enflammant et la technologue continua ainsi à éjecter des rangées entières de réacteurs fixés à leurs ballons sur des centaines de mètres avant d'atteindre l'enceinte de la Cité.        
_

- Les laissez pas faire, bordel ! cria le Général Ayaki. Brûlez-leur la carcasse…! 
    Les lumières de la salle de commandement vacillèrent, s’éteignirent une seconde, puis se rallumèrent. 
- On vient de passer sur le relais de sécurité…! annonça un des officiers.
- J’en ai rien à foutre, mettez le paquet, qu’on en finisse...! 
_

     Le vaisseau supraluminique se retrouva à nouveau sous le feu des lasers. Les quatre faisceaux de lumière se réunirent en un seul et frappèrent le bouclier magnétique en explosant à sa surface et en se propageant tout autour. Un point de fusion aveuglant se forma très vite, puis soudain se résorba, laissant place à un éclair de feu rougeoyant qui transperça la barrière invisible du bouclier magnétique et se dispersa instantanément en mince filaments, emporté par les ondes surpuissantes.    
    Tous les canons-lasers dont l’angle de tir était adéquat crachèrent leur feu sans discontinuer, emplissant peu à peu la bulle magnétique d’un voile de plasma surchauffé. Claire Baron avait, maintenant, de quoi s’inquiéter.   


    La technologue consulta ses écrans de contrôle. Le bouclier magnétique fonctionnait à cent pour cent de ses capacités, mais une dangereuse surchauffe venait d’être décelée. La température s’affichait en rouge et augmentait à toute vitesse, atteignant rapidement le stade de fusion de nombreux métaux.
- C’est maintenant ou jamais…! se murmura-t-elle à elle-même.
    Claire Baron repéra les brèches faite par les tunneliers sur le flanc est du dôme central. Deux larges ouvertures circulaires percées dans les parois de diamantine aspiraient et recrachaient les brumes de gaz empoisonnées qui emplissait l'intérieur du hall. Elle se dirigea vers l'un des deux accès.
- Générale…! Débarquement dans trente secondes ! 
    La Cité apparaissait sur son écran de contrôle et les deux ouvertures pratiquées à travers le dôme de protection par les tunneliers étaient parfaitement visibles. Elle se dirigea dessus, ralentit le vaisseau et, enfin, réduisit le bouclier magnétique pour s’approcher au plus près de la paroi du dôme. Les conséquences furent immédiates et l’alarme signala une surchauffe à la surface de la coque. 2800 degrés venaient d’être atteints. Pas suffisant pour les faire fondre, se rassura la technologue. Elle programma rapidement une sortie en urgence, puis attendit que ses troupes soient prêtes à débarquer avant de désarmer le vaisseau.    
 

     L'armée Gaïahelle se trouvait réunie dans la soute du vaisseau, sur la plate-forme de débarquement. La jeune Générale-en-chef marchait de long en large avec son casque sous le bras. Sa troupe formait deux rangs et derrière chaque volontaire se trouvait un soldat-androïde prêt à le prendre en charge. Elle parla dans son micro d’une voix posée. 
- Restez groupés auprès de votre supérieur et attendez ses ordres…! Laissez vous porter par vos androïdes et tout ira bien, le débarquement ne prendra que quelques secondes. Messieurs, dames, verrouillez vos combinaisons...!          
    La centaine de civils s’exécuta aussitôt. Leur armement fixé à la ceinture, ils enfilèrent leur casque et le verrouillèrent soigneusement, puis chacun vérifia les attaches du harnais qui le maintenaient au soldat dont il était tributaire. Les soldats-androïdes, de taille et de corpulence identiques à celles des Gaïahels, recelaient en eux une puissance de feu et des fonctions hors du commun et chacun d'eux faisait office d'ange-gardien pour le civil dont il avait la charge.   
- Mère...! Nous sommes prêts...!

    Claire Baron programma la stabilisation du vaisseau ainsi que le désarmement du bouclier magnétique.
- À vous de jouer, les enfants…! lança-t-elle avant d'enclencher le compte à rebours. 
     Elle détacha sa ceinture et quitta son siège pour se mettre aussitôt à courir. Le tremblement qui traversa alors le vaisseau faillit la renverser. Elle se retint à une paroi pour ne pas tomber, puis repartit de plus belle. 
                                                                               _

    Au dehors, le surpuissant faisceau-laser de l'ennemi, une fois libéré de la tempête magnétique qui protégeait le vaisseau, pénétra la coque directement et s'enfonça au coeur de l'armature en provoquant maintes explosions. 
                                                                               _
 
   La Générale-en-chef, la peur au ventre, entra l’ordre d’ouverture sur le clavier de commande mural. Un souffle d’air brûlant investit le pont lorsque la rampe de débarquement s'abaissa. Une explosion fit à nouveau trembler le vaisseau. Les visages des civils se figèrent de frayeur et des sueurs froides les enveloppèrent des pieds à la tête.        
- Colonne 1…! Ok...! ordonna la Générale à travers son micro. 
    La première colonne de l’infanterie-androïde qui se trouvait postée en avant-garde sur la plate-forme de débarquement s’élança en éclaireur. La colonne qui comptait deux milles soldats-androïdes, quitta le vaisseau, puis se sépara en deux files qui fonçèrent, chacune de leur côté, vers les ouvertures percées par les tunneliers-laser dans la façade de l’amphithéâtre. Ils traversèrent l'épais brouillard de gaz empoisonné que l'intense chaleur diffusée par la coque du vaisseau chauffée à blanc avait transformé en fournaise, puis pénétrèrent sans encombre à l’intérieur de la Cité. 
    Une dizaine de secondes plus tard, la seconde colonne, celle des volontaires Gaïahels et de leurs soldats-androïdes, prit son envol. La jeune Générale-en-chef, angoissée par l’absence de la technologue, l'appela sans attendre.
- Où êtes-vous, Mère…?! Répondez...!   
    La technologue apparut au même instant dans l’encadrement du sas, vêtue de sa combinaison et avec son casque verrouillé sur la tête. Le pont se mit subitement à trembler sous leur pieds, les forçant toutes deux à se raccrocher à quelque chose pour ne pas tomber. Puis les alarmes se mirent à sonner l’ordre d’évacuation d’urgence.
- Fais venir les soldats jusqu’à nous...! s’exclama la technologue.
    La Générale-en-chef réagit instantanément :   
- Canal 13...! Soldats 75, 76, sauvetage d’urgence demandé pour "1" et "2" !
    Les deux soldats-androïdes, postés un plus loin sur un côté de la plate-forme de débarquement, se mirent en mode sustentation et les rejoignirent aussitôt. Ils vinrent se coller à elles par derrière et leur fixèrent le harnais de sécurité autour de la taille. Toutes deux prirent soins d'en vérifier le verrouillage.
- Débarquement immédiat…! ordonna la Générale-en-chef.
      Les deux soldats décollèrent et quittèrent le pont, emportant les deux femmes avec eux. Ils plongèrent vers la Cité et c'est en arrivant à mi-chemin de leur parcours qu'une gigantesque explosion détruisit le vaisseau. Fracassé en deux, celui-ci chuta immédiatement, comme une pierre, pour s'écraser un peu plus bas sur le dôme de diamantine. Le feu des lasers trouva alors la voie libre pour frapper la façade percée de l'amphithéâtre. Les faisceaux-lasers se séparèrent et allèrent frapper les parois du dôme en quatre points. Ils firent ensuite littéralement office de chalumeau. Transperçant les deux épais vitrages de diamantine, les lasers commençèrent à les découper en ligne droite, à l'horizontale et à la verticale. La diamantine éclata sous l'effet de la chaleur en milliers de petits bouts incandescents qui jaillirent en gerbe et qui, mêlés aux étincelles, s'éparpillèrent aussi bien vers l'extérieur que vers l'intérieur du dôme. Le hasard, heureux et malheureux à la fois, fit que l'ennemi ne put détecter la présence des deux femmes et de leur équipage à cause de la chaleur intense qui les entourait, et qu'il ne chercha pas à les abattre; c'est par hasard qu'un laser, dans sa course, toucha gravement le soldat-androïde qui transportait la Générale-en-chef. La tête de celui-ci explosa sous l'effet de l'intense chaleur, et en éclatant, fractura le casque de la jeune femme.  
    Celle-ci sentit aussitôt, en plus du choc dû à l'explosion, la forte chaleur environnante et les gaz empoisonnés envahir sa combinaison. Son casque se remplit d'une brume jaunâtre qui la fit suffoquer. Elle arrêta de respirer et pria pour ne pas brûler vivante avant d'être arrivée à destination. Le soldat-androïde, lui... bien qu'il soit dépourvu de sa tête... continua sur sa lancée par la grâce de ses cartes mémoires sécurisées.     
    Le visage de la jeune Générale avait entièrement disparu derrière l'épais voile de gaz qui emplissait son casque. La chaleur et les gaz, mêlés à l'oxygène qui circulait dans sa combinaison, créèrent un cocktail détonnant qui s’embrasa subitement. La chaleur des flammes fit éclater la visière de son casque et elle se mit à brûler comme une torche. Elle périt dans l’instant. Le soldat-androïde réussit à pénétrer dans le hall de l’amphithéâtre; il percuta le sol et tomba à la renverse avec son fardeau sous une pluie de diamantine incandescente.
    La technologue qui la précédait ne s’en aperçut qu’après avoir atterri. Découvrant la scène à travers la visio-sonde de son casque, elle en resta pétrifiée un bref instant. Un des soldats-androïdes de l'infanterie se jeta sur le corps en flamme pour l’asperger de gel absorbant. Le feu s'éteignit aussitôt en crachotant des bulles. 
    Claire Baron mit quelques secondes à pouvoir détacher son regard du corps sans vie de sa Générale-en-chef. Elle se dégagea de son harnais, puis s’empressa de lui porter secours. En vain. Elle se pencha sur le cadavre et comprit en découvrant le visage carbonisé de la jeune femme, qu’il n’y avait plus rien à faire. Le courage lui manqua un instant, mais elle finit par réagir et sa colère reprit le dessus. Elle se redressa. 
- Général Hendricks…! Vous prenez le commandement...! lança-t-elle au micro.   
    Le feu des lasers sur les parois du dôme de diamantine créait un jeu de lumière qui illuminait le brouillard de gaz empoisonné à l'intérieur du hall. De courtes et multiples explosions se faisaient entendre lorsque la diamantine éclatait sous l'intense brûlure des faisceaux-laser. Les éclats de diamantine incandescents qui arrosaient l'intérieur du hall d'une pluie de feu, avait forcé les deux bataillons à se rabattre sur le côté du hall le moins exposé. Ils tambourinaient aux oreilles de Claire Baron au travers de son casque. Sa solide combinaison blindée et ignufigée la protégeait pour le moment, mais elle savait que le temps était compté avant que la façade du hall ne s'écroule sur l'Armée Gaïahelle. La technologue rejoignit les bataillons, puis elle reprit le commandement.
- Hendricks...! Un commando d'éclaireurs avec moi...! ordonna-t-elle.  
     Le Général Hendricks lui affecta une escouade de vingt soldats-androïdes et l'accompagna jusqu'au sas de sécurité qui donnait sur l'amphithéâtre. Là, la technologue entra son code sur le clavier de commande mural, puis apposa son index sur la languette de détection. Le lourd panneau d'acier s'ouvrit aussitôt en coulissant sur le côté. Le Général Hendricks stoppa la technologue dans son élan. Il lui fit signe de rester en arrière et pénétra à l'intérieur du sas, suivi de son escouade. La porte située à l'autre bout était presque sortie de ses rails. Il constata en s'approchant que le panneau d'acier s'était tordu par le milieu lors de l'explosion et ne pouvait plus coulisser. Il rendit son verdict :
- Accès impossible, Mère...! Je m'en occupe...!
   Son escouade s’affaira aussitôt à découper l'acier au laser.          
_

    Dans la salle de contrôle de la cité Eterna, le Commandant Sachs perdit son sang froid en entendant la nouvelle. 
- Commandant…! Quelqu’un vient d’ordonner l’ouverture du sas de l’amphi ! 
- Quoi…?! Impossible...! 
- C’est signalé à l’écran...! 
- Tu es sûr...? demanda-t-il machinalement alors qu'il connaissait la réponse. Il attendit pourtant que l'officier lui réponde, si minime que soit l'espoir qu'il lui restait. L'officier haussa les épaules d'un air désemparé. 
- C’est la Baronne…! Ces enfoirés de terriens lui ont collé le même virus que la Reine-Mère. Il faut l’éliminer en priorité...! Envoyez l'infanterie à leur rencontre...!
                                                                                _

     Le vaisseau supra-luminique venait de rendre l’âme. Le feu des lasers avait fini par faire exploser tous les systèmes de commandes, rendant les 16 000 tonnes du vaisseau à l’influence de la gravité. Dans la salle de commandement de l’Armée, le Général Ayaki résumait parfaitement la situation. 
- Putain de bordel de merde…! ENFIN...! Abattez-moi ce putain de dôme, maintenant... et écrasez-moi cette foutue bande d’humanoïdes...! ordonna-t-il à ses officiers d'une voix rageuse.
    L'ordre du commandant Sachs lui arriva au même instant. Il se connecta à l'aide de son bracelet-modem.
- Ayaki...! annonça-t-il.
    Il écouta la demande du commandant et ses explications, puis répondit.
- C'est déjà fait...! Je viens de la poster dans l'amphithéâtre. J'en prends le commandement...!      
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